An 2000 : une nouvelle décision française
Publié le 14/10/1999 par Thibault Verbiest
L’excellent site officiel « An 2000 » du gouvernement français a récemment mis en ligne un nouveau jugement en matière de conformité d’un progiciel à l’an 2000. Il s’agit d’une décision du 6 juillet 1999 du Tribunal de grande instance d’Annecy. Les faits Le 10 janvier 1990, la SA BRICARD, société spécialisée dans la fabrication de serrures…
L’excellent site officiel « An 2000 » du gouvernement français a récemment mis en ligne un nouveau jugement en matière de conformité d’un progiciel à l’an 2000. Il s’agit d’une décision du 6 juillet 1999 du Tribunal de grande instance d’Annecy.
Les faits
Le 10 janvier 1990, la SA BRICARD, société spécialisée dans la fabrication de serrures et d’accessoires de quincaillerie pour portes, acquiert de la société CDFI la concession de licence d’utilisation du progiciel dénommé CLIPPER, destiné à la gestion de la paie et des ressources humaines des entreprises. Au terme de ce contrat, le fournisseur s’engageait également à la maintenance du progiciel.
Le 25 janvier 1990, la SA SOPRA, spécialisée dans l’édition de progiciels et les services en ingénierie informatique, acquiert une partie du fonds de commerce de la société CDFI, comprenant notamment le progiciel CLIPPER.
Courant 1992, la SA BRICARD commande auprès de la SA SOPRA la nouvelle version 5.1 du progiciel CLIPPER.
Le 16 juin 1998, la SA BRICARD fait assigner la SA SOPRA devant le tribunal de grande instance d’ANNECY statuant en matière commerciale. Elle expose en effet, dans son exploit introductif d’instance, que par courrier du 5.12.1995, elle a averti la SA SOPRA de son intention de conserver le progiciel CLIPPER au-delà de l’an 2000 et l’a interrogée sur la capacité de ce produit à passer ce cap.
Ce courrier étant resté sans réponse, elle relance la SA SOPRA jusqu’à ce que celle-ci finisse, par courrier du 17 avril 1997, par lui indiquer qu’elle ne disposait pas encore de tous les éléments pour lui répondre mais qu’elle le ferait » d’ici quelques semaines « .
La SA SOPRA formule ensuite diverses propositions commerciales concernant un de ses nouveaux produits dénommé PLEIADES.
Suite à de nouvelles mises en demeure de la SA BRICARD, la SA SOPRA lui fait finalement savoir, par courrier du 12.05.1998, qu’elle avait décidé d’abandonner le développement de son progiciel CLIPPER, dont elle n’assurait pas la maintenance au-delà de l’année 1998.
Les moyens invoqués : violation de l’obligation d’information du fournisseur et de l’obligation de maintenance
La SA BRICARD fait grief à la SA SOPRA :
1. d’avoir manqué à son obligation de mise en garde en tardant à l’informer de l’inaptitude de son progiciel CLIPPER à passer le cap de l’an 2000.
2. d’avoir manqué à son obligation de maintenance, alors que l’adaptation de son progiciel CLIPPER à l’an 2000 relevait, d’après elle, de cette prestation contractuelle.
En conséquence, la SA BRICARD sollicite la condamnation de la SA SOPRA à lui verser, avec exécution provisoire, la somme de 500.000 F à valoir sur son préjudice lié à la remise en cause de son plan informatique et, avant-dire-droit sur l’évaluation de ce préjudice, demande la désignation d’un expert judiciaire.
Sur la question de l’obligation de mise en garde :
Le tribunal commence par rappeler la portée de l’obligation de conseil du fournisseur informatique, en particulier dans son aspect « mise en garde » :
« Attendu qu’au titre de son obligation générale d’information, le fournisseur de produits informatiques est tenu, vis-à-vis de son client, d’une obligation plus spécifique de mise en garde, au terme de laquelle il doit l’informer des risques inhérents à l’utilisation de son produit ; que dès lors, le fournisseur manque à cette obligation s’il s’abstient de signaler ces risques ou s’il ne le fait que dans un délai ne permettant pas à l’utilisateur de prendre, suffisamment à temps au regard des contraintes de son activité, les mesures adaptées à leur prévention »
Le tribunal considère ensuite que la SA COPRA n’a pas violé son obligation de mise en garde dans la mesure où « …en adressant à la SA BRICARD son courrier du 17.04.1997, en l’invitant à la réunion annuelle du club utilisateurs du 27.04.1997, et en lui communiquant, au cours du deuxième semestre de l’année 1997, des propositions substitutives compatibles avec l’an 2000, la SA SOPRA a informé la SA BRICARD suffisamment à temps, au regard de la prévention du risque An 2000, sur l’inaptitude de son logiciel CLIPPER à franchir ce cap et le fait qu’elle ne poursuivrait pas son exploitation à cette date, tout en la mettant en mesure d’adapter utilement son système informatique à cette contrainte par le biais du progiciel PLEIADES ; que ce faisant, elle a amplement et suffisamment respecté son obligation de mise en garde ; que dès lors, le SA BRICARD doit être déboutée de ses demandes formées de ce chef »
Sur la question de l’obligation de maintenance :
Le tribunal commence par qualifier l’obligation de maintenance : «… il convient de rappeler qu’au terme du contrat liant les parties, la SA SOPRA était tenue, en premier lieu, à une obligation de maintenance corrective définie à l’article 4.1 du contrat ; que la mise en jeu de cette obligation suppose que l’on se trouve en présence d’un problème dont la cause est « un défaut de programme » » ;
Après avoir rappelé que, de 1992 à 1998, le progiciel CLIPPER version 5.1 n’a présenté aucun problème de fonctionnement, le tribunal considère qu’ » on ne saurait sérieusement soutenir que cette programmation en deux digits constituerait une erreur de programmation, dès lors que, non seulement ce mode de programmation n’a en rien affecté le bon fonctionnement du produit depuis sa conception, mais que, loin d’être le fruit d’une erreur, il s’agissait d’un choix délibéré, conforme aux standards alors en vigueur dans la communauté informatique, et motivé par des contraintes techniques (souci d’économiser de l’espace mémoire) »
De plus, le tribunal note qu »’il s’agissait d’un produit ancien, largement obsolète, fiscalement amorti, et pour lequel elle bénéficiait d’une licence d’utilisation depuis déjà 1992 s’agissant de sa dernière version » ;
Il est à noter que la SA BRICARD tenta également de situer le débat sur le terrain de la maintenance évolutive prévue par les dispositions de l’article 4.3 du contrat, mais en vain, dans la mesure où pareille obligation « ne vise que les modifications de la législation, ce qui est sans rapport avec la survenance de l’an 2000 ».
Commentaires
Cette récente décision montre une fois de plus à quel point un examen au cas par cas est indispensable en la matière. Les généralités sont à proscrire. Sur le fond de l’affaire, les appréciations du tribunal doivent être approuvées :
1. Il n’était pas reproché au fournisseur d’avoir manqué à son devoir d’information lors de la fourniture du progiciel mais d’avoir tardé à mettre en garde le client sur l’inaptitude du programme à passer le cap de l’an 2000. Le tribunal a constaté à juste titre que la mise en garde avait été faite à temps (en 1997), permettant ainsi au client de se « retourner » dans des délais raisonnables.
2. Dans le même sens qu’une décision d’un tribunal néerlandais que nous avons déjà commentée, les juges d’’Annecy ont estimé que le bogue de l’an 2000 n’était pas une erreur de programmation couverte par l’obligation de maintenance corrective, s’agissant d’un choix délibéré, conforme aux standards alors en vigueur dans la communauté informatique, et motivé par des contraintes techniques, à savoir économiser de l’espace mémoire. C’est à notre sens correct, le programme datant de 1990.
3. Il ne peut être question non plus de maintenance évolutive pour des motifs explicités plus haut et que nous approuvons.
Pour une vue d’ensemble de la problématique et une synthèse de la jurisprudence existante : le dossier spécial d’Etienne WERY « L’an 2000 sous la loupe des contrats informatiques et notre article « An 2000 : quels risques risques juridiques ? Une synthèse »