Droit et réalité augmentée
Publié le 17/10/2010 par murielle cahen - 0 vues
D’abord, qu’est-ce que la réalité augmentée ? Elle consiste à superposer à des images issues du « monde réel » des informations provenant du monde numérique, et tout ceci, en « live ».
Par exemple, si nous sommes en train de filmer un monument avec un téléphone connecté à internet, de nouvelles fenêtres vont apparaître à l’écran, nous donnant des renseignements sur l’histoire du monument et sur les centres d’intérêt alentour : restaurants, musées, métro le plus proche, etc. Ce mélange d’images virtuelles et réelles donne l’illusion que deux univers fusionnent, c’est ce qu’on appelle la " réalité augmentée ".
Alors, comment fonctionne-t-elle techniquement ? Pour mêler images réelles et virtuelles, il faut relier entre eux un appareil numérique (ordinateur, Smartphone, console de jeu) et un moyen de prise de vue (appareil photo, webcam, caméra). Les applications peuvent également utiliser un système GPS ainsi qu’une connexion à internet.
Aujourd’hui, les applications de réalité augmentée les plus utilisées sont les applications pour Smartphones qui servent à nous aider dans nos déplacements. On peut citer entre autres" Métro Paris " (pour trouver la station de métro la plus proche)," Toit de Paris " (pour localiser les monuments)," iParking " (pour retrouver sa place de parking), ou encore" Nomao " (pour se rendre dans un restaurant).
Le concept se développe d’ailleurs à vitesse grand V. Pour preuve, on trouve désormais des applications pour à peu près tout ce qui fait notre quotidien, et les e-marchands cherchent bien entendu à en profiter, en mettant directement en place sur leur site internet des logiciels de réalité augmentée. Ainsi, l’on peut désormais « jouer » à faire des essayages, que ce soit pour les textiles, les montres, la joaillerie, les lunettes, les meubles, etc.
Preuve que l’engouement est énorme, déjà une vingtaine de distributeur ont testé la réalité augmentée sur leur site : Achatdesign, Auchan, Becquet (maison 3D avec 50 articles de linge de maison mis en situation), Castorama (maisons d’enfants dans un jardin), Conforama (meubles 3D), Darty, Fly, Ikéa, Jules (habiller un mannequin virtuel), ont numérisé, tout ou partie de leurs catalogues.
Toutes ces initiatives indiquent que la réalité augmentée est actuellement en phase de "hype", et il convient donc de s’interroger sur son interaction avec le droit des personnes.
A cet égard, il s’agira d’abord d’opposer les notions de réalité augmentée et de vie privée, pour ensuite montrer que la réalité augmentée présente des risques vis-à-vis des données à caractère personnel qui pourraient être réutilisées à des fins commerciales.
1. Réalité augmentée et vie privée : le dilemme
La réalité augmentée, ce concept superposant des images virtuelles à des clichés réels, est de plus en plus présente dans notre quotidien.
Forte de ce constat, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) rappelle quelques principes aux créateurs comme aux utilisateurs de ces applications. Principal motif de prudence pour la Commission : l’identification et la géolocalisation des individus, une fonction très souvent associée à la réalité augmentée.
L’organisme précise que tous les éditeurs de services mobiles basés en France ont pour obligation de se conformer à la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, modifiée par une loi du 6 août 2004. En ce sens, toutes les entreprises utilisant des données permettant d’identifier une personne directement ou indirectement doivent faire l’objet d’une déclaration à la Cnil. Elles peuvent en outre faire l’objet de contrôles.
Malgré cela, il existe un risque d’être « pisté » du fait de la géolocalisation. En effet, grâce à la puce GPS insérée dans la plupart des Smartphones, il est techniquement possible de « suivre » un téléphone, et par la même son utilisateur.
Toutefois, l’atteinte à la vie privée est à relativiser. Ainsi, dans quelques temps l’industrie du tourisme pourrait être complètement chamboulée. Opportunité ou menace, les « bon vieux » guides touristiques papiers, tels que les Routards, pourraient disparaitre au profit d’applications mobiles. La réalité augmentée apporte d’ailleurs déjà un plus aux visiteurs des Jardins du Château de Versailles.
Par ailleurs, la géolocalisation peut également permettre de calculer la position de l’utilisateur pour afficher sur son mobile les commerces et services disponibles à proximité : bar, cinéma, restaurant, transports public, banques, etc.
La réalité augmentée présente donc en effet des risques d’atteinte à la vie privée, dès lors que les personnes utilisant ces applications seront clairement identifiables, et directement localisables. Néanmoins, ce risque est potentiellement mineur, puisque la réalité augmentée permettra aussi d’accéder bien plus facilement à la consommation, à la culture, au tourisme, etc.
Toutefois, comme indiqué précédemment, la collecte des données personnelles par les applications de RA, et l’utilisation qui en sera faite, représente la menace la plus évidente.
2. Réalité augmentée et données personnelles : pour quelles fins ?
Avec la " réalité augmentée ", les activités ludiques se multiplient. Et la démarche commerciale derrière de nouveaux types de jeux ou de services est parfois insidieuse, voire sournoise. La CNIL est donc très vigilante concernant la réutilisation des données à des fins marketings et publicitaires.
En sachant où vous vous trouvez, vos données de géolocalisation pourraient être utilisées pour vous envoyer de la publicité ciblée. Par exemple, en sachant que vous vous trouvez dans un rayon de moins d’un kilomètre d’une grande enseigne de prêt à porter, vous pourriez recevoir un SMS vous indiquant les promotions de ce magasin.
Le marketing ciblé basé sur de la géolocalisation n’est pas interdit par la loi. Mais, il faut cependant que les personnes souscrivant à des services de géolocalisation ayant pour objet de localiser ses amis, aient conscience de la possible réutilisation de leurs données à des fins commerciales, et donc qu’elles puissent s’y opposer.
La création d’un véritable cadre juridique entourant cette nouvelle technologie semble donc inéluctable, et il s’agira donc de veiller à ce que la loi Informatique et Liberté lui soit bien appliquée. La Cnil, certes, contrôlera. Mais il faudra qu’elle soit efficace.
Car si la réalité augmentée se développe rapidement, le concept peine à s’imposer dans tous les secteurs professionnels, du fait des risques juridiques, et des coûts d’exploitation liés à son utilisation. La réalité augmentée n’est ainsi pas encore une technologie sûre, efficace, et rentable à 100%. Elle n’en est qu’à son commencement, et la conquête de nouveaux domaines qui pourraient tirer profit du potentiel de ces technologies est le défi des 5 ou 10 prochaines années.
Reste toutefois que la réalité augmentée n’est pas plus dangereuse qu’Internet ou que la téléphonie mobile, critiqués à leurs débuts, et dont quasi-personne ne pourrait se passer aujourd’hui. Les règles existent et les encadrent.
Tout dépendra donc du sérieux et de l’honnêteté des prestataires de services et des éditeurs d’applications de réalité augmentée, qui, sans nul doute, seront les acteurs du monde de demain.