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Youtube est-il coupable et/ou responsable de contrefaçon ?

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La Cour suprême allemande veut y voir clair. Elle réfère à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) plusieurs affaires concernant des plateformes, toutes avec le même enjeu : les plateformes basées sur le User Generated Content (UGC), telles Youtube, sont-elles responsables lorsque les contenus postés par leurs utilisateurs violent le droit d’auteur (ou les droits voisins) ?

Cette question se situe au carrefour de plusieurs régimes de responsabilité : celui applicable en matière de droit d’auteur (notamment les directives 2001/29 et 2004/48), et celui en matière d’e-commerce (responsabilité des intermédiaires issue de la directive sur le commerce électronique).

La première affaire, et sans doute la plus emblématique, concerne Youtube. Cette plateforme Internet, basée sur le UGC, permet effectivement aux utilisateurs de télécharger gratuitement leurs propres vidéos et les mettre à la disposition de la communauté Internet.

Dans le cas d’espèce, un producteur de musique se plaint de la présence sur la plateforme de titres sur lesquels il détient les droits. Après une première mise en demeure, ces titres sont bloqués par la plateforme puis à nouveau disponibles car republiés par des utilisateurs. Le producteur réclame, devant les tribunaux allemands, la cessation du comportement, la communication de renseignements sur les utilisateurs, et l’octroi de dommages et intérêts. La Cour d’appel fit droit à ses demandes à l’exception du paiement de dommages et intérêts.

Saisie à son tour, la Cour suprême allemande sursoit à statuer en vue d’obtenir des clarifications de la CJUE. Rapidement saisie de litiges similaires concernant d’autres plateformes de partage, la BGH s’en réfère systématiquement à la CJUE.

Premier volet : les plateformes violent-elles (elles-mêmes) le droit d’auteur ? La question de la responsabilité directe

La législation relative au droit d’auteur décrit dans quelles circonstances l’usage d’une œuvre tombe sous le coup du droit d’auteur et nécessite, à ce titre, une autorisation. Selon la directive, sont notamment soumis à l’autorisation des auteurs, les actes de communication au public.

La question est donc de savoir si une plateforme peut être considérée comme commettant elle-même un acte un acte de communication au public lorsqu’elle permet la publication d’UGC ?

Au fil des années, la CJUE a interprété la notion de communication au public de manière extrêmement large et pas toujours simple à appréhender.

En effet, selon la Cour, la notion requiert une appréciation individuelle et de tenir compte d’une série de critères qui sont interdépendants les uns par rapport aux autres et qui peuvent se présenter avec une intensité très variable selon les cas….   Parmi ces critères, la Cour a tout de même souligné le rôle central de l’utilisateur et le caractère intentionnel de son action, supposant que l’utilisateur  agisse en ayant pleinement conscience des conséquences de son comportement afin de fournir à des tiers un accès à une œuvre protégée.

Dans le cadre de l’affaire Youtube, la BGH pose la question suivante (traduction libre car les questions ne sont pas encore publiées):

« L’exploitant d’une plateforme vidéo en ligne sur laquelle les utilisateurs mettent à disposition du public des vidéos comportant des contenus protégés par le droit d’auteur sans l’accord des titulaires de droits, procède-t-il à un acte de communication au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE lorsque :

  • il tire des recettes publicitaires de la plateforme,
  • le téléchargement s’effectue automatiquement et sans visualisation ou contrôle préalable par l’exploitant,
  • l’exploitant obtient en application des conditions d’utilisation et pour la durée du placement de la vidéo sur la plateforme une licence mondiale, non-exclusive et libre de redevance à l’égard des vidéos,
  • l’exploitant signale dans les conditions d’utilisation et dans le cadre du processus de téléchargement que les contenus portant atteinte au droit d’auteur ne sauraient être placés sur la plateforme,
  • l’exploitant met à disposition des outils grâce auxquels les titulaires de droits peuvent agir pour faire bloquer l’accès aux vidéos portant atteinte à leurs droits,
  • l’exploitant procède sur la plateforme à un traitement des résultats de recherche sous forme de listes de classement et de rubriques de contenus et présente aux utilisateurs enregistrés un aperçu de vidéos recommandées en fonction des vidéos déjà vues par ces utilisateurs,

s’il n’a pas concrètement connaissance de la disponibilité de contenus violant le droit d’auteur ou élimine immédiatement ou bloque sans délai l’accès à ces contenus lorsqu’il en prend connaissance ? »

La BGH a clairement un avis : selon elle, Youtube n’endosserait pas un tel rôle central, au motif que, le téléchargement de vidéos s’opérant de façon automatisée, Youtube n’aurait ainsi pas connaissance de la disponibilité de contenus portant atteinte au droit d’auteur avant que le titulaire de droit ne le lui signale.  De surcroît, elle signale aux utilisateurs dans ses conditions d’utilisation, ainsi qu’au cours du processus de téléchargement, qu’il est interdit de charger des contenus contrefaisants. Elle met, en outre, à disposition des outils grâce auxquels les titulaires de droits peuvent agir contre la disponibilité de contenus contrefaisants.

Indépendamment de cette affaire judiciaire, la question pourrait très bien être réglée bientôt … par la loi ! En effet, en vue de mettre fin au Value Gap, la proposition de directive visant à reformer le droit d’auteur vise précisément à prévoir expressément que les plateformes de partage de contenus commettent bien des actes de communication au public, avec pour conséquence la nécessité de conclure des accords avec les ayants droits, ou à défaut , de mettre en place des mesures de filtrage. Toutefois, l’adoption de cette directive est incertaine, tant les lobbies pro/contra sont déchainés.

Second volet :  les plateformes sont-elles responsables pour les violations commises par des tiers ? La question de la responsabilité indirecte

Si une plateforme n’est pas jugée comme commettant elle-même des actes soumis au droit d’auteur, peut-elle toutefois encourir une responsabilité pour les actes commis par des tiers via sa plateforme ?

Intervient ici la législation e-commerce et ses safe-harbors.  La directive e-commerce prévoit, en effet, des exonérations (conditionnelles) de responsabilité en faveur de certains prestataires intermédiaires de l’Internet pour les contenus postés par des tiers.

Sont notamment visés : les hébergeurs.

Est ainsi exonéré de toute responsabilité (notamment pour contrefaçon) l’hébergeur statut dont les plateformes réclament le bénéfice – pour les informations stockées  à condition que :

« a) [il] n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente

ou

b) dès le moment où il a de telles connaissances, [il] agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible. »

En vertu d’une jurisprudence constante, ce privilège n’est toutefois accordé qu’aux véritables prestataires « intermédiaires » endossant un rôle neutre et passif, à l’exclusion de tout prestataire jouant un rôle actif dans la gestion des contenus, qui peut lui accorder une connaissance de ces données et un contrôle à leur égard.

Ici également, l’application de ce privilège dépendra d’une application au cas par cas , et pourra varier d’un type de plateforme à l’autre.

La  BGH  ne manque pas de poser plusieurs questions sur les conditions d’application de ce safe harbor, et sur le type de responsabilité encouru à défaut de son application (traduction libre):

«  2. En cas de réponse négative à la première question :

L’activité de l’exploitant d’une plateforme vidéo en ligne relève-t-elle dans les circonstances décrites dans la première question du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE ?

3. En cas de réponse positive à la deuxième question :

La connaissance effective de l’activité ou de l’information illicites ou la connaissance des faits ou des circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicites est apparente doivent elles, en vertu de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE, concerner des activités ou informations illicites concrètes ?              

4. Toujours dans l’hypothèse d’une réponse positive à la deuxième question :

Est-il conforme à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE que le titulaire de droit ne peut obtenir une ordonnance sur requête à l’encontre d’un prestataire de services dont le service consiste à stocker des informations fournies par un utilisateur et utilisées par un utilisateur pour porter atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin,  que lorsque, après qu’une infraction claire a été signalée, il y a récidive ?

5. Dans l’hypothèse où il serait répondu par la négative à la première et à la deuxième questions :

L’exploitant d’une plateforme vidéo en ligne est-il dans les circonstances décrites dans la première question un contrevenant au sens de l’article 11, première phrase et de l’article 13 de la directive 2004/48/CE ?

6. En cas de réponse positive à la cinquième question :

L’obligation d’un tel contrevenant de verser des dommages-intérêts au titre de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48/CE peut-elle être soumise à la condition que celui-ci ait agi intentionnellement en ce qui concerne tant sa propre activité contrefaisante que celle d’un tiers et qu’il savait ou aurait raisonnablement dû savoir que les utilisateurs utilisent la plateforme pour commettre des infractions concrètes ? »

Affaire(s) à suivre !

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