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Vie privée au bureau : première décision belge

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Un jugement du tribunal du travail de Bruxelles de ce 2 mai 2000 (24e chambre-R.G. n°93.534/99) a examiné un curieux cas d’utilisation par un employé du courrier électronique de l’entreprise où il « travaillait ». Les faits Robert est responsable du système informatique de son employeur qui l’a engagé deux ans auparavant. A l’occasion de…

Un jugement du tribunal du travail de Bruxelles de ce 2 mai 2000 (24e chambre-R.G. n°93.534/99) a examiné un curieux cas d’utilisation par un employé du courrier électronique de l’entreprise où il « travaillait ».

Les faits

Robert est responsable du système informatique de son employeur qui l’a engagé deux ans auparavant. A l’occasion de l’implantation d’un nouveau système informatique, il a pour mission de convertir différentes données préexistantes dans l’entreprise et de les rendre opérationnelles en fonction de ce nouveau système. Rien de plus classique. La reconversion de cet outil informatique devait s’opérer de manière rationnelle et efficace, sur base d’une description de tâches. Cette responsabilité s’accompagnait d’une augmentation de rémunération et d’une qualification de cadre.

Quelques mois plus tard, l’employeur constate que les délais fixés pour cette adaptation ne sont pas respectés, et que ce cadre a une curieuse conception de l’effort, en quittant le service le premier et en ne réalisant pas des tâches lui incombant.

Un rapport d’activités lui est demandé. Le document qu’il remet ne répond pas à l’attente de l’employeur qui constate un retard certain dans l’avancement de la mission spécifique qui lui avait été confié.

En attendant, les autres membres du personnel poursuivent leurs fonctions habituelles avec un outil informatique obsolète ou inefficace.

Pourtant, Robert se plaint régulièrement d’être débordé et stressé.

Confronté à ce constat, l’employeur effectue un contrôle général de ses activités professionnelles et relève notamment les messages informatiques délivrés par le biais de la messagerie interne. Le résultat de ce contrôle est assez stupéfiant : par exemple, sur une seule période continue de 11 jours, Robert a transmis et/ou reçu plus de 600 messages , pendant les heures de travail. L’employeur peut en outre se procurer la teneur de ces messages réciproques : ceux-ci sont échangés entre Robert et Denise, autre employée de l’entreprise. Ces messages ne sont pas seulement chaleureux mais peuvent être qualifiés de « chauds », faisant apparaître en termes pudiques, selon l’employeur, des « pensées libertines ».

L’employeur estime qu’il a été dupé par Robert qui lui a tenu un double langage, celui du responsable débordé alors qu’en réalité il ne travaillait pas ou fort peu.

Robert est licencié pour motif grave, sans préavis ni indemnité.

Il conteste cette décision devant le tribunal du travail et réclame une indemnité compensatoire de préavis outre des dommages et intérêts pour licenciement abusif. L’employeur maintient sa décision et demande que Robert soit condamné à lui payer 200.000 frs de dommages et intérêts.

La protection de la vie privée

L’employeur pouvait-il, à l’appui de son argumentation, produire la copie des messages électroniques « éclairant » la teneur de ceux-ci et la qualité de la relation de Robert avec Denise ?

Selon lui, ne pas lui permettre de déposer ces messages au dossier du tribunal reviendrait à le priver de la possibilité de prouver la réalité du motif grave invoqué.

Telle est la première réponse à fournir par le tribunal. Selon le jugement prononcé, les messages échangés entre Robert et Denise, même sur les lieux du travail, appartiennent à leur vie privée. Il se réfère à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Selon la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’homme, il n’y a aucune raison de principe de considérer la manière de comprendre la notion « vie privée » comme excluant les activités professionnelles ou commerciales. Elle précise même que « c’est dans leur travail que la majorité des gens ont beaucoup, voire le maximum d’occasions de resserrer leurs liens avec le monde extérieur ».

Le tribunal du travail estime donc que les échanges privés qui se sont produits sur le lieu et pendant les heures de travail n’affectent pas leur protection.

Or, ces échanges de messages ont pu s’effectuer grâce au matériel de l’employeur. Cela change-t-il quelque chose ? Non, répond le tribunal, qui est d’avis que des actes de la vie privée sur le lieu et pendant les heures de travail se font « presque toujours » de cette manière…

La contradiction

Comment concilier droit de la vie privée et atteinte au droit de l’employeur qui voit son matériel informatique utilisé à des fins non conventionnelles ?

Il ne peut être contesté que l’employeur doit respecter la vie privée de ses travailleurs.
Par contre, l’employeur doit pouvoir exercer son droit de contrôle.

L’atteinte à la vie privée par ce contrôle n’est légitime , selon le jugement, qu’à deux conditions :

  1. le moyen de contrôle doit être nécessaire et indispensable;
  2. il doit être proportionnel.

En d’autres termes, il n’est plus admissible si des moyens moins « nuisibles » pouvaient réaliser le même objectif.

Reste à appliquer ces principes au cas d’espèce.

L’employeur avait le droit de contrôler l’emploi du temps de Robert, ainsi que l’usage de la messagerie interne, d’autant qu’une note la réservait à des messages professionnels. Ce droit pouvait d’autant plus s’exercer que Robert présentait un retard important dans l’exécution de son travail et se plaignait d’être surchargé.

Robert ne conteste pas l’importance de ces messages « intimes » mais s’oppose à leur dépôt au dossier.

Qu’en a fait le tribunal ? Il estime qu’il dispose d’éléments suffisants pour apprécier la réalité et la gravité du motif grave invoqué par l’employeur. En effet, le nombre de messages est connu, les dates et heures de ceux-ci sont repérables, leur caractère privé n’est pas contesté, leur durée peut être évaluée en octets.

Quant à leur objet, l’employeur est d’avis que ces « messages » sont le fruit d’une « relation amoureuse naissante ». Robert nuance et signale qu’il s’agit d’une relation personnelle « importante ».

Dès lors, le tribunal décide de ne pas se référer à la teneur précise des messages : leur contenu n’est pas de nature à mieux l’informer.

Mais, rétorque l’employeur, il n’y a pas seulement lieu de constater matériellement l’importance ou le nombre des messages : Robert, au moment de ces « échanges » était dans un état d’esprit tel qu’il était indisponible avant l’expédition ou après la réception de ceux-ci. En effet, à la lecture des textes ( « pensées libertines »), il est indéniable qu’en outre, il imaginait l’effet produit ou la réponse , tout en attendant celle-ci.

Peu importe, répond le tribunal, qui, s’il admet la réalité d’une « distraction »de Robert, confirme qu’il a une idée suffisante en sachant qu’il y avait au moins une « relation personnelle importante » et une « intensité des échanges ».

Motif grave ?

Il ne restait plus dès lors, sur base de ce dossier « expurgé » qu’à se prononcer sur la réalité ou la gravité du motif grave. Le rappel est classique : le motif grave est défini par la loi relative au contrat de travail, comme toute faute qui rend immédiatement et définitivement impossible toute relation professionnelle entre l’employeur et le travailleur.

Deux paragraphes suffisent au tribunal pour motiver sa décision. En l’espèce, l’employeur est l’arroseur arrosé. Avoir échangé un « très grand nombre » de messages avec Denise , par la messagerie interne, ne présente pas le degré de gravité suffisant.

Le tribunal signale toutefois que sa décision est « fortement » influencée par le fait que l’employeur s’est abstenu de tout contrôle sur le travail de Robert avant de lui demander un rapport sur son activité. Il n’a pas cherché auparavant à identifier les causes du retard dans l’exécution de la mission qui lui avait été confiée.

S’il pouvait ignorer ce que faisait Robert « penché sur son ordinateur », il ne pouvait que constater que celui-ci ne produisait pas ou trop peu. En conséquence, la persistance du laisser-faire a réduit la gravité de la faute, qui n’atteint plus le seuil de gravité suffisant pour justifier un motif grave.

Robert se voit donc allouer une indemnité compensatoire du préavis qui aurait dû lui être notifié .

Par contre, l’existence de cette faute dans le chef de Robert ne lui permet pas de qualifier son licenciement d’abusif.

Le dommage

L’employeur revendiquait le remboursement du dommage causé par Robert, soit avoir dû le payer alors qu’il ne faisait rien ou en tout cas faisait autre chose que le travail pour lequel il avait été engagé et rémunéré.

Là, le tribunal se montre plus sévère : selon le jugement, Robert a, chaque jour pendant plusieurs semaines, consacré « une partie exceptionnellement importante » de son temps de travail à des communications privées. Compte tenu de « l’intensité des échanges », il était nécessairement trop absorbé et distrait pour travailler, ou pour se concentrer. Robert devait « nécessairement » avoir conscience qu’il était anormal de consacrer autant de temps, avec une telle constance, à des occupations « étrangères » à l’objet de son contrat de travail.

Le souci « d’apporter du réconfort » à sa collègue ou de se « détendre » n’exclut pas la faute que le tribunal qualifie de légère au sens de la loi relative au contrat de travail. Cette faute légère répétée rend Robert responsable du dommage causé à son employeur qui se voit indemnisé à concurrence de …. 20.000 frs. Le tribunal estime que le défaut de rentabilité ne fait pas partie du dommage réparable. L’employeur a contribué au dommage en s’abstenant de tout contrôle sur la productivité de Robert pendant plusieurs mois.

Et Internet ?

Les mêmes principes pourraient être appliqués au personnel qui, surfant sur Internet, ou occupé à envoyer des courriers électroniques à des fins privées, en oublierait qu’il est au travail. Le jugement de ce 2 mai du tribunal du travail de Bruxelles semble privilégier le contrôle continu ou régulier.

Reste à en faire la preuve si un cas similaire se produit.

Quant au dommage, celui-ci peut s’avérer sérieux en cas d’usage abusif ou illicite du courrier électronique.

Quant au respect de la vie privée, le pharisaisme du jugement permet au tribunal de ne pas violer le secret des alcôves et de ne pas dévoiler la manière dont deux personnes de sexes opposés s’écrivent des choses plus que tendres.

Enfin, Robert pourra toujours méditer sur ce qu’écrivait E. Rey (De l’amour) : « les seules lettres d’amour qui aient quelque utilité sont les lettres de rupture ». Son employeur l’avait compris.

Plus d’infos

  1. En consultant le jugement, qui sera bientôt disponible sur ce site dans la nouvelle rubrique « jurisprudence »;

  2. En consultant le moteur de recherche sur le mot-clef « travail« .
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