Vers une évolution de la législation française sur la vente en ligne de médicaments ?
Publié le 25/04/2010 par Thibault Verbiest, Patrick Cuignet
Les pharmacies en ligne ont en général une mauvaise image en raison des nombreux spams que les internautes reçoivent et qui présentent des risques élevés de contrefaçon et de danger pour la santé. Au même titre que les vêtements, produits numériques, téléphones, livres et autres articles, les médicaments pourraient bientôt être disponibles sur le Web français. Cette possibilité, suscitant quelques polémiques en France, alors qu’elle existe déjà en Belgique depuis le 9 février 2009, est en effet étudiée par le ministre de la Santé.
Le ministre de la Santé souhaite légaliser la vente de produits pharmaceutiques sur Internet. La proposition n’est encore qu’au stade de la réflexion mais suscite déjà quelques contestations. Cette question a fait l’objet d’une réunion le 7 avril 2010 entre le ministère de la santé, la direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, l’ordre des pharmaciens, les syndicats d’officines et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et le syndicat des laboratoires pharmaceutiques. Pour le moment les pourparlers sont encore en cours et aucun calendrier n’a été fixé. Il n’est donc pas inutile de rappeler le cadre juridique en vigueur dès lors que l’évolution de la législation sur la vente de médicaments en ligne pourrait intervenir rapidement.
Le cadre juridique de la vente de médicaments
La directive 2001/83/CE définit le médicament comme : « toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines. Toute substance ou composition pouvant être administrée à l’homme en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier des fonctions physiologiques chez l’homme est également considérée comme médicament. » La Cour de justice a indiqué que la preuve scientifique de la qualité d’un médicament n’a pas à être établie (CJUE, 16 avril 1991, UPJOHN, Aff. C-112/89). Dans la même ligne, l’article L.5111-1 du Code de la santé publique définit le médicament comme un produit ayant des propriétés préventives ou curatives ou un produit présenté comme tel.
Un médicament se distingue d’un complément alimentaire. La directive 2002/46 définit les compléments alimentaires comme des denrées alimentaires concentrées en nutriments (vitamines, sels minéraux) qui sont commercialisées sous forme de doses (gélules, comprimés, sachets de poudre, etc.) afin de compléter l’apport de nutriments dans un régime alimentaire normal. En 2005, la France est condamnée pour ne pas avoir transposé dans les délais cette directive. Un décret du 20 mars 2006 est finalement adopté, il vise non seulement les vitamines et les minéraux mais aussi les substances à but nutritionnel ou physiologique autres que les vitamines et minéraux ainsi que les plantes et les préparations de plantes.
Un produit présenté comme un complément alimentaire pourra recevoir la qualité de médicament dès lors qu’il remplit les conditions posées par la loi. La Cour de cassation a d’ailleurs jugé que « lorsque, eu égard à l’ensemble de ces caractéristiques, un produit est susceptible de répondre à la fois à la définition du médicament et à celle de complément alimentaire résultant du décret du 20 mars 2006, il est, en cas de doute considéré comme un médicament » (Cour de cassation, chambre criminelle, 19 mai 2009).
En France, la loi organise un monopole sur la vente de médicaments au profit des pharmaciens (Article L4211-1 du Code la santé publique). Les justifications avancées pour la justification de ce monopole sont le contrôle de l’intégrité des produits tout au long du circuit de distribution. En s’approvisionnant sur le marché, les professionnels vérifient que le médicament dispose d’une autorisation de mise sur le marché. Ainsi, l’encadrement de la distribution des médicaments (confiée à des grossistes-répartiteurs et des dépositaires exerçant des missions de service public) permet d’éviter les risques de contrefaçon.
Pour pouvoir vendre des médicaments il est nécessaire d’être pharmacien, c’est-à-dire titulaire du diplôme de pharmacien. Il faut ensuite exercer cette activité dans une officine en tant que pharmacien titulaire (i.e. propriétaire de l’officine) ou pharmacien adjoint (i.e. salarié de l’officine). Selon l’article L5125-20 du Code de la santé publique, la vente de médicaments doit s’exercer sous la surveillance attentive du pharmacien. Quant à l’officine, elle se définit comme « l’établissement affecté à la dispensation au détail de médicaments, produits et objets mentionnés à l’article L4211-1 ainsi qu’à l’exécution des préparations magistrales ou officinales » (article L 5125-1 du Code de la santé publique).
L’officine du pharmacien doit s’analyser comme un fond de commerce dont l’ouverture est soumise à l’octroi d’une licence. D’après la loi, il correspond à un endroit géographique précis : l’endroit où l’acte pharmaceutique est effectué. La législation évoque des conditions minimales d’installation et de stockage des médicaments. Pour pouvoir ouvrir une officine, il faut être pharmacien diplômé inscrit à l’ordre des pharmaciens et obtenir une licence (article L 5125-4 du Code de la santé publique). La législation en vigueur n’interdit pas expressément les officines virtuelles mais semble présupposer le caractère physique de l’officine dès lors que « la licence fixe l’emplacement où l’officine sera exploitée ». De plus, le représentant de l’Etat peut « déterminer le ou les secteurs de la commune dans lesquels l’officine devra être située » (Article L5125-6 du Code de la santé publique).
La légalité de la vente en ligne de médicaments, quels sont les enjeux ?
Les médicaments ne sont pas exclus de la directive 97/7 sur la protection du consommateur en matière de contrats à distance. Il est toutefois prévu par cette directive qu’un Etat membre puisse interdire la commercialisation de certains produits, dont les médicaments, pour des raisons d’intérêt général. Cette analyse est d’ailleurs classique en ce qui concerne la libre circulation des marchandises. L’article 28 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne interdit les restrictions à la circulation de marchandises en Etats membres. A titre d’exception, l’article 36 du même traité ne fait obstacle à de telles restrictions dès lors qu’elles sont justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, pour autant que le principe de non-discrimination reste inviolé.
Interprétant l’article 36 du traité, la Cour de Justice de l’Union Européenne a estimé dans un arrêt du 11 décembre 2003 (Arrêt du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband EV / 0800 DocMorris NV et Jacques Waterval, C-322/01) que cet article pouvait être invoqué « pour justifier une interdiction nationale de vente par correspondance de médicaments dont la vente est réservée exclusivement aux pharmacies dans l’Etat membre concerné, pour autant qu’elle vise les médicaments soumis à prescription médicale ». L’article 36 du traité ne peut toutefois pas être invoqué « pour justifier une interdiction absolue de vente par correspondance de médicaments qui ne sont pas soumis à prescription médicale dans l’Etat membre concerné ». La position de la Cour de justice se résume en trois points : La Cour prend nettement position contre la vente par Internet de médicaments non autorisés dans le pays acheteur. Elle se montre favorable au commerce électronique, lorsque le médicament ne présente pas de risques particuliers pour la santé et a été conçu pour être utilisé sans l’intervention d’un médecin. Toutefois, elle se prononce en faveur du monopole pharmaceutique. Ceci implique que les sites proposant des médicaments ne pourront être que pharmaceutiques sans pour autant qu’il soit possible pour un pharmacien d’exercer exclusivement ses fonctions dans la vente électronique. Celle-ci ne peut-être qu’une extension virtuelle d’officines de pharmacie régulièrement autorisées à exercer sur le territoire.
En droit français, le Code de la santé publique n’interdit pas explicitement la vente en ligne de médicaments. Il ressort toutefois de la définition de l’officine (voir supra) que celle-ci est particulièrement inadaptée au monde virtuel. A la lecture des textes, il semblerait que rien n’interdise la mise en place d’une officine virtuelle à la condition expresse que celle-ci soit rattachée à une officine physique.
Selon l’article L.5125-25 alinéa 3 du Code de la santé publique, une commande de médicaments peut être livrée à domicile sous certaines conditions : « toutes commandes livrée en dehors de l’officine par toute autre personne ne peut être remise qu’en paquet scellé portant le nom et l’adresse du client ». Ainsi, commander des médicaments sur Internet devrait être possible. Pour se faire, il faudrait que la préparation soit effectuée dans une officine physique et qu’elle soit délivrée dans le respect des conditions précitées. Les modalités de commande en ligne et de délivrance du produit devront toutefois être précisées pour que la qualité des médicaments soit garantie.
L’article R. 4235-48 du Code de la santé publique exige du pharmacien qu’il informe le patient lors de la délivrance de certains médicaments. Ce devoir de conseil s’exerce par un contact physique avec le client. On peut se demander si cette obligation peut être correctement remplie lorsque le pharmacien n’a pas la possibilité de voir un patient qui achète un médicament sur Internet. Toutefois, de nombreuses solutions existent. La télétransmission sécurisée de l’ordonnance tout comme l’utilisation de la signature électronique permettrait de garantir l’identité du médecin prescripteur, du patient et du pharmacien. Le pharmacien pourra avoir recours à plusieurs outils : un questionnaire en ligne, le courrier électronique, le téléphone ou le dialogue en ligne par webcam. Il est aussi possible d’envisager un contact physique avec le patient uniquement au moment de la délivrance des médicaments pour ainsi remplir cette obligation. Dans tous les cas, il faut noter qu’en l’état actuel, un contact physique avec le patient n’est pas toujours possible, par exemple lorsqu’un tiers vient chercher des médicaments pour le compte d’une personne. Ainsi, l’obligation de conseil devrait pouvoir être facilement aménagée pour prendre en compte l’usage d’Internet.
Les règles relatives à la publicité en faveur des médicaments figurent aux articles L 5122-1 ets. du Code de la santé publique. La publicité est définie comme : « toute forme d’information, y compris le démarchage, de prospection ou d’incitation qui vise à promouvoir la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de ces médicaments, à l’exception de l’information dispensée, dans le cadre de leurs fonctions, par les pharmaciens gérant une pharmacie à usage intérieur ». La publicité pour les médicaments doit être objective, c’est-à-dire présenter les caractéristiques du produit en favorisant le bon usage de celui-ci. Elle n’est autorisée que pour les médicaments bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché. Il est nécessaire que les médicaments faisant l’objet d’une publicité ne soient pas soumis à prescriptions médicales. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé est habilitée à délivrer des visas permettant de diffuser de la publicité en faveur des médicaments auprès du public.
Sur Internet, la frontière entre information et publicité peut paraitre subtile. Un professionnel sera tenu de présenter un médicament en indiquant son prix sans le mettre en avant par rapport aux autres et de le présenter de manière neutre. La publicité en faveur d’un site Internet devrait pouvoir se faire dans les mêmes conditions que celles qui existent en matière d’officines physiques. Ainsi, un tel site internet devrait pouvoir figurer dans un annuaire en ligne. La question du référencement est également importante dès lors que celui-ci pourra s’analyser en une démarche publicitaire.
En matière de données personnelles, les données de santé sont qualifiées de sensibles en vertu de l’article 8 de la loi informatiques et libertés du 6 janvier 1978. La collecte de ces données est strictement encadrée dans la mesure où il existe un principe général d’interdiction et des exceptions prévues en cas de « traitements nécessaires aux fins de la médecine préventive, des diagnostics médicaux, de l’administration de soins ou de traitements, ou de la gestion de services de santé et mis en œuvre par un membre d’une profession de santé, ou par une autre personne à laquelle s’impose en raison de ses fonctions l’obligation de secret professionnel prévue par l’article 226-13 du code pénal ».
La protection des données personnelles qui transitent sur Internet doit être garantie notamment en ce qui concerne la confidentialité et la sécurité de l’échange entre un professionnel et un patient. Ainsi, cet échange devra s’attacher à identifier les parties : d’un côté, la qualité de pharmacien devrait pouvoir être vérifié immédiatement (à l’image de l’identification des officines physiques par un logo facilement reconnaissable), d’un autre côté, l’identité du patient devra être vérifiée au moyen d’un code d’accès ou de tout autre moyen. De même, la gestion des bases de données peut avoir des conséquences en termes de responsabilité dès lors que celles-ci sont utilisées à des fins de prospection commerciale.
En matière de vente à distance, la possibilité pour le consommateur d’exercer un droit de rétractation pourrait poser certaines difficultés dans le cadre du commerce électronique de médicaments. Toutefois, l’article L.121-20-2 du Code de la consommation prévoit que ce droit de rétractation ne peut être exercé pour les biens qui sont spécialement conçus selon les spécificités du consommateur ou qui ne peuvent pas être réexpédiés. Il n’est pas certain que les médicaments puissent entrer dans le cadre de cette exception.
En conclusion, nous pouvons constater l’inadéquation du cadre juridique en vigueur à la vente en ligne de médicament. Dés lors qu’il existe des contraintes règlementaires et déontologiques qui rendent difficile la mise en œuvre d’une telle commercialisation, on ne peut en déduire une véritable autorisation de principe. La législation pourrait toutefois prendre en compte la spécificité de la vente en ligne sans induire de profondes modifications. Reste à résoudre les difficultés juridiques en conciliant l’intérêt des patients et l’intérêt des pharmaciens. Telle est la tâche à laquelle s’attèle actuellement le ministre de la santé.