Un an de prison ferme pour des faits de harcèlement.
Publié le 02/05/2016 par Etienne Wery
La relative clémence des juges à l’égard du cyber harcèlement est-elle sur le point de prendre fin ? C’est le chemin qu’indique un récent arrêt de la cour d’appel de Paris qui n’a pas hésité à appliquer la loi pénale avec sévérité. On peut se vraiment se retrouver en prison si l’on perd ses nerfs sur l’Internet. À bon entendeur.
Legalis publie un très intéressant arrêt du 13 avril 2016 de la cour d’appel de Paris en matière de harcèlement. La cour s’est en effet montrée non seulement très rigoureuse dans l’analyse des préventions, mais elle a surtout fait preuve d’une sévérité que l’on observe rarement. Deux ans de prison, dont un an ferme.
Les faits
Après une rupture très mal vécue, une femme décide de se venger sur son ex.
Sans entrer dans les détails, on signalera qu’elle a abondamment fait usage des nouvelles technologies et des moyens de communication, dans sa campagne de vengeance :
· La cour a compté 849 SMS d’insultes et/ou de menaces.
· L’amante éconduite a abondamment utilisé Facebook pour calomnier son ex ; elle a envoyé des e-mails à sa mère et à certains clients (apparemment son ex l’a quittée pour son associée, d’où l’implication du cadre professionnel).
· Ne s’arrêtant pas en aussi bon chemin, elle a créé de faux profils sur les réseaux sociaux au nom de son ex, qu’elle a utilisés pour entrer en contact avec des tiers (dont des clients) et donner de son ex une image peu flatteuse.
· La cour a également relevé des dénonciations calomnieuses.
Les faits sont plus complexes et comportent également des aspects financiers qui nous concernent moins pour l’analyse du harcèlement.
Le dossier est spécifique en ce sens où il a impliqué l’environnement professionnel, mais sous cette réserve, les faits, même s’ils peuvent paraître particulièrement méchants, ne sont pas exceptionnels dans ce genre de contexte (deux adultes qui ont formé un couple et se séparent, avec un des deux qui le vit très mal).
Sans prétendre à l’exactitude socio-criminelle, l’expérience semble indiquer que dès l’instant où une personne décide de basculer dans le harcèlement après une rupture et utilise les nouvelles technologies à cette fin, les choses prennent vite une proportion démesurée. C’est un peu le tout ou rien. Soit le conflit reste confiné au couple et à son entourage direct, soit un des ex décide de le faire sortir de ce cadre confiné et les choses prennent alors très vite des proportions inimaginables.
On fera remarquer en passant que cette affaire démontre également que contrairement à une croyance, il n’y a pas que les hommes qui se rendent coupables de ce genre de comportement. Peut-être représentent-t-ils la majorité des cas de harcèlement (?), mais ils n’en ont pas le monopole.
Le premier jugement
En première instance, la dame est condamnée à une peine de deux ans avec sursis.
Si elle ne recommence pas endéans les trois ans, le sursis devait donc lui permettre d’échapper à la prison.
L’arrêt rendu
Les parties se retrouvent devant la cour d’appel.
La lecture de l’arrêt est frappante dans le sens où toute personne qui a côtoyé des dossiers de harcèlement va y retrouver des mots, des expressions, des sentiments quasi universels :
· Du côté des faits, on pourrait écrire un catalogue des expressions méchantes, insultantes et calomnieuses utilisées. On n’en retrouverait au final que quelques dizaines qui permettraient de décliner l’immense majorité des dossiers de harcèlement. Cela va de la remise en cause de l’utilité sociale de la personne (« tu ne sers à rien », « tu n’es qu’une merde inutile ») aux propos relatifs au physique (« tu es laid », « tu es grosse ») ou au psychologique, en passant par la vie sexuelle (« mal baisée » qui s’accompagne souvent de « mauvais baiseur », « PD refoulé », « gouine », « pédophile »). On retrouve aussi régulièrement des promesses de malheur ou des incitations voilées à commettre l’irréparable (« si tu crèves personne ne pleurera », « tu aurais mieux fait de mourir », « qu’est-ce que tu attends pour te pendre »).
· Du côté de la victime, elle explique que sa « vie est pourrie ». L’expression est touchante car on la retrouve quasiment systématiquement dans les cas de harcèlement.
· Enfin, du côté du harceleur, on retrouve souvent une absence de remise en question, voire un sentiment d’injustice d’être celui ou celle qui se retrouve devant un tribunal (« il doit payer pour le mal qu’il m’a fait », « c’est moi la victime »). Quand il y a une prise de conscience, elle est aussitôt balayée par l’impossibilité de résister à la pulsion de haine (« j’ai pété les plombs », « j’avais trop la rage »).
La cour en vient alors à l’analyse juridique.
L’arrêt est long car les faits sont nombreux. Nous y renvoyons le lecteur et nous limitons aux éléments suivants :
· par rapport aux SMS, la cour estime « qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’appels téléphoniques mais d’agressions sonores prévues par l’article 222-16 du Code pénal, puisque M. B. a indiqué lors de son audition du 12 avril 2011 ‘j’ai été inondé de SMS d’avril 2010 au 7 novembre 2010, […] je ne pouvais plus laisser mon téléphone allumé par moments tant c’était infernal’ ». La cour poursuit : « le contenu le plus souvent insultant de messages répétés suffit à établir leur caractère malveillant et l’intention de troubler la tranquillité du destinataire ».
· La cour fait application du harcèlement par conjoint : « l’article 222-33-2-1 du Code pénal punit de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende le fait de harceler son conjoint ou son concubin par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale et ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours. Le deuxième alinéa du même article indique que les mêmes peines sont encourues lorsque cette infraction est commise par l’ancien conjoint ou l’ancien concubin de la victime. »
La peine
C’est sur la peine que la cour se montre novatrice.
Il faut dire que l’affaire est remarquable en ce sens où Madame n’avait manifestement pas cessé ses agissements après le jugement rendu, violant de la sorte le sursis qui lui avait été accordé.
La cour est formelle : « L. A. a été, lors des deux procédures diligentées, jointes par les premiers juges, plusieurs fois avertie par les fonctionnaires de police puis lors de sa mise en examen avec placement sous contrôle judiciaire ; Elle n’a pas tenu compte des avertissements réalisés ;
L. A., condamnée en première instance, à une peine d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve, assortie de l’exécution provisoire, ne respecte pas les obligations mises à sa charge, selon les déclarations faites les parties civiles intimées ;
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour confirmera la peine de deux ans d’emprisonnement prononcée par les premiers juges, toute autre sanction étant manifestement inadéquate, mais infirmant le jugement déféré, cette peine ne sera assortie que pour une durée d’un an d’un sursis et mise à l’épreuve ».
En d’autres termes, les deux ans de prison sont confirmés, mais le sursis n’est prononcé que pour la moitié de la peine. Quant à l’autre moitié … la harceleuse la passera en prison.
Plus d’infos ?
En lisant l’arrêt, disponible sur le site de legalis.net.