La TVA au taux normal sur les contenus numériques n’est pas jugée discriminatoire
Publié le 08/03/2017 par Etienne Wery
Pour la Cour, le principe d’égalité de traitement ne s’oppose pas à ce que les livres, les journaux et les périodiques numériques fournis par voie électronique soient exclus de l’application d’un taux réduit de TVA, dont bénéficient les éditeurs-papier. La directive TVA est valide de ce point de vue.
Conformément à la directive TVA, les États membres peuvent appliquer un taux réduit de TVA aux publications imprimées telles que les livres, les journaux et les périodiques.
En revanche, les publications numériques doivent être soumises au taux normal de TVA.
Toutefois, pour les livres numériques fournis sur un support physique (cédérom par exemple), on en revient au taux réduit.
Si vous trouvez cela compliqué, rassurez-vous : vous n’êtes pas le seul. Il n’est donc pas étonnant que le principe même d’un traitement différencié soit soumis un jour ou l’autre à la cour de justice. C’est à l’intermédiaire de la cour constitutionnelle polonaise que l’affaire a abouti à Luxembourg. Deux questions étaient posées : le principe d’égalité de traitement est-il violé ? La procédure, qui a assez peu impliqué le Parlement européen, est-elle valide ?
Il y a bien une différence de traitement
Par son arrêt du 7 mars 2017 (affaire C-390/15), la Cour constate, tout d’abord, que, dans la mesure où la directive TVA a pour effet d’exclure l’application d’un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques par voie électronique alors qu’une telle application est autorisée pour la fourniture de livres numériques sur tout type de support physique, les dispositions de cette directive doivent être regardées comme instaurant une différence de traitement entre deux situations pourtant comparables au regard de l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union lorsque ce dernier a permis l’application d’un taux réduit de TVA à certains types de livres, qui est de favoriser la lecture.
Cette différence est-elle justifiée ?
Ensuite, la Cour examine si cette différence est justifiée.
Elle rappelle qu’une différence de traitement est justifiée lorsqu’elle se rapporte à un objectif légalement admissible poursuivi par la mesure ayant pour effet de l’instaurer et qu’elle est proportionnée à cet objectif. Ainsi, dans le cas d’une mesure de nature fiscale, le législateur de l’Union est appelé, lorsqu’il l’adopte, à procéder à des choix de nature politique, économique et sociale et à hiérarchiser des intérêts divergents ou à effectuer des appréciations complexes. Par conséquent, il y a lieu de lui reconnaître, dans ce cadre, un large pouvoir d’appréciation, de telle sorte que le contrôle juridictionnel du respect de telles conditions doit se limiter à celui de l’erreur manifeste.
Dans ce contexte, la Cour observe que l’exclusion de l’application d’un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques par voie électronique est la conséquence du régime particulier de TVA applicable au commerce électronique.
En effet, eu égard aux évolutions perpétuelles auxquelles les services électroniques sont, dans leur ensemble, soumis, il a été jugé nécessaire de soumettre ces derniers à des règles claires, simples et uniformes afin que le taux de TVA qui leur est applicable puisse être établi avec certitude et que soit ainsi facilitée la gestion de cette taxe par les assujettis et les administrations fiscales nationales.
Or, en excluant l’application d’un taux réduit de TVA aux services électroniques, le législateur de l’Union évite aux assujettis et aux administrations fiscales nationales de devoir examiner, pour chaque type de ces services, si celui-ci relève de l’une des catégories de services susceptibles de bénéficier d’un tel taux en vertu de la directive TVA. Par conséquent, une telle mesure doit être regardée comme étant apte à réaliser l’objectif poursuivi par le régime particulier de TVA applicable au commerce électronique.
Par ailleurs, admettre que les États membres aient la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques par voie électronique, comme cela est permis pour la fourniture de tels livres sur tout type de support physique, reviendrait à porter atteinte à la cohérence d’ensemble de la mesure souhaitée par le législateur de l’Union, qui consiste à exclure tous les services électroniques de la possibilité d’application d’un taux réduit de TVA.
La procédure d’adoption de la directive a été respectée
S’agissant de l’obligation de consultation du Parlement européen au cours de la procédure législative, la Cour souligne que cette obligation implique que celui-ci soit à nouveau consulté à chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s’écarte, dans sa substance même, de celui sur lequel le Parlement a déjà été consulté, à l’exception des cas où les amendements correspondent, pour l’essentiel, à un souhait exprimé par le Parlement lui-même. La Cour examine ensuite si une nouvelle consultation du Parlement était nécessaire en ce qui concerne la disposition de la directive limitant l’application d’un taux réduit de TVA à la seule fourniture de livres sur support physique7. La Cour considère à cet égard que le texte final de la disposition concernée n’est rien d’autre qu’une simplification rédactionnelle du texte qui figurait dans la proposition de directive et dont la substance a été entièrement maintenue. Le Conseil n’était donc pas tenu de consulter à nouveau le Parlement. La Cour en conclut que cette disposition de la directive n’est pas invalide.
Commentaires
Cet arrêt n’est probablement pas la meilleure cuvée de la cour de justice. On sent dans la justification donnée, tout le malaise des juges à qui on demande de faire de la politique (ou de valider une politique).
Bien entendu qu’il y a une différence de traitement. Bien entendu que celle-ci pose question. Bien entendu que le problème est complexe. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les propos virulents de part et d’autre :
- Les pure players critiquent le fait que la presse-papier bénéficie dans plusieurs pays d’un taux de 0 %, alors qu’elle sort de plus en plus souvent du papier ou le complète avec des contenus numériques voire audiovisuels. Ils y voient une concurrence déloyale car ils sont, eux, 20 à 21 % plus chers.
- Inversement, les éditeurs papier insistent sur l’impact social et économique de leur présence sur un territoire donné, en comparaison avec des acteurs électroniques qui leur font une concurrence déloyale en optimisant les flux pour relever juridiquement et fiscalement de cieux plus cléments.
Le malaise est perceptible dans la justification que la cour donne à la différence de traitement.
D’un côté, la cour souligne que l’objectif poursuivi par le législateur qui autorise un taux réduit à l’égard de certains types de livres, est de favoriser la lecture.
D’un autre côté, quand elle justifie cette différence de traitement, elle se place essentiellement sur un plan pratico-pratique : l’administration et les assujettis doivent pouvoir percevoir la TVA facilement.
Il n’y a plus réellement de lien avec l’objectif initial consistant à favoriser la lecture (ou alors il est discret au point qu’on ne le voit pas clairement). Pourtant, lorsque la cour analyse une différence de traitement, elle doit vérifier que celle-ci est utile et proportionnée à cet objectif. On est mal à l’aise de lire que l’objectif est le soutien à la lecture, et de ne plus entendre parler de cet objectif louable au seul motif que la voie choisie est fiscale, et que dès lors « dans le cas d’une mesure de nature fiscale, le législateur de l’Union est appelé, lorsqu’il l’adopte, à procéder à des choix de nature politique, économique et sociale et à hiérarchiser des intérêts divergents ou à effectuer des appréciations complexes. »
Bref, le débat n’est probablement pas clos. Il ressurgira dans une enceinte moins juridique et plus politique. Du reste, la Commission européenne n’a pas caché qu’elle n’aimait pas la situation actuelle puisqu’elle propose, dans sa proposition de directive du 1er décembre 2016, l’alignement des taux pour les publications papier et électroniques.