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Télétravail : l’employeur ne peut pas imposer au salarié un retour au sein de l’entreprise

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Dans un arrêt du 31 mai 2006, la Chambre sociale de la Cour de Cassation considère que l’employeur ne peut unilatéralement imposer au travailleur à domicile d’exécuter sa prestation au siège de la société, une telle décision modifiant l’organisation contractuelle du travail. L’accord du salarié est ainsi requis quand bien même son contrat de travail…

Dans un arrêt du 31 mai 2006, la Chambre sociale de la Cour de Cassation considère que l’employeur ne peut unilatéralement imposer au travailleur à domicile d’exécuter sa prestation au siège de la société, une telle décision modifiant l’organisation contractuelle du travail. L’accord du salarié est ainsi requis quand bien même son contrat de travail comporterait une clause de mobilité (Cass. soc., 31 mai 2006, n°04-43.592).

Dématérialisation des échanges et du travail, performances exponentielles de l’outil informatique et des télécommunications, le salarié effleure aujourd’hui du bout des doigts le don d’ubiquité. Travailler dans l’entreprise ou sur la route, chez un client ou encore à son domicile, l’extrême mobilité rendue possible par le développement des nouvelles technologies fait d’ailleurs naître paradoxalement une nouvelle préoccupation chez les employeurs : la géolocalisation de leurs salariés.

Toutefois, si cette révolution des conditions de travail tend à brouiller les frontières de la vie professionnelle et de la vie personnelle et semble permettre à chacun d’établir son bureau virtuel dans presque tout endroit, le domicile du salarié reste une enceinte particulière. Travailler chez soi n’est pas réductible au seul choix d’un lieu de travail : c’est un choix de vie.

Consciente de cette spécificité, la Cour de Cassation a rappelé dans son arrêt du 31 mai 2006 que le retour du télétravailleur au siège de l’entreprise n’implique pas seulement pour ce dernier un changement de son lieu de travail mais, de manière plus profonde, modifie l’ensemble de l’organisation contractuelle du travail et rend ainsi l’accord de ce salarié incontournable.

Dans cette affaire, une salariée responsable de communication avait convenu avec son employeur après un détachement de plusieurs années au sein d’une filiale, d’exercer ses fonctions à partir de son domicile situé dans les Pyrénées orientales, la société prenant à sa charge les frais de déplacement nécessités par un aller-retour hebdomadaire au siège social situé en région parisienne. Toutefois, la société demande à sa salariée après quelques mois de reprendre ses fonctions de manière permanente dans les locaux de l’entreprise et, devant le refus de cette dernière de mettre fin son exercice à domicile, la licencie pour faute grave.

La Chambre sociale de la Cour de Cassation voit dans ce litige une occasion de rappeler clairement un principe : « lorsque les parties sont convenues d’une exécution de tout ou partie de la prestation de travail par le salarié à son domicile, l’employeur ne peut modifier cette organisation contractuelle du travail sans l’accord du salarié ».

La Haute juridiction approuve ainsi la Cour d’appel de Versailles qui, après avoir constaté que « tant lors de son détachement dans la société filiale qu’à son retour dans la maison mère, les parties étaient convenues que la salariée effectuerait, aux frais de l’employeur, son travail à son domicile deux jours par semaine », a jugé que « le fait pour l’employeur de lui imposer de travailler désormais tous les jours de la semaine au siège de la société constituait, peu important l’existence d’une clause de mobilité, une modification du contrat de travail que la salariée était en droit de refuser ».

Cette décision reprend une jurisprudence déjà ancienne, inaugurée par un arrêt du 12 décembre 2000 où la Cour de Cassation avait considéré qu’une salariée exécutant en accord avec son employeur sa prestation de travail à domicile, ne pouvait se voir imposer d’assurer ses fonctions au siège de l’entreprise, une telle décision constituant une modification de son contrat de travail nécessitant son accord (Cass. soc., 12 décembre 2000, n°98-44.580, Bull. 2000 V, n°417, p.319)

La Chambre Sociale a d’ailleurs eu récemment l’occasion de réaffirmer sa position. Un directeur commercial effectuant en accord avec son employeur son travail administratif à son domicile, s’était vu par la suite contraint par sa société de se rendre deux jours par semaine au siège de la société situé à plus de 200 kms de sa résidence pour exécuter ces taches administratives. La Cour de Cassation, fidèle à sa jurisprudence, a estimé que cette décision de l’employeur constituait une modification du contrat de travail que le salarié était en droit de refuser (Cass. soc., 13 avril 2005, n°02-47.621, Bull.2005 V, n°137, p.117).

L’arrêt de la Cour de Cassation du 31 mai 2006 vient ainsi confirmer un principe solidement établi selon lequel l’employeur ne peut unilatéralement imposer au travailleur à domicile d’exercer ses fonctions au siège de l’entreprise.

Un tel raisonnement doit d’ailleurs s’appliquer également à la situation inverse dans la mesure où « le salarié n’est tenu ni d’accepter de travailler à son domicile, ni d’y installer ses dossiers et ses instruments de travail » (Cass. soc., 2 octobre 2001, n°99-42.727, Bull. 201 V, n°292, p.234).

Toutefois, l’affaire faisant l’objet de la décision commentée apporte un nouvel élément dans le débat juridique : l’existence d’une clause de mobilité dans le contrat de travail de la salariée.

Pour justifier sa décision unilatérale, l’employeur soutenait habilement dans son pourvoi que la mention du lieu de travail au domicile de la salariée n’avait qu’une valeur indicative, et que le changement de localisation intervenu postérieurement constituait un simple changement des conditions de travail auquel la salariée ne pouvait s’opposer, et non une modification du contrat de travail, dans la mesure où ce changement ne résultait que de la mise en œuvre de la clause de mobilité contenue dans le contrat de travail.

La clause de mobilité a en effet essentiellement pour objet de permettre à l’employeur d’affecter son salarié en différents lieux sans pour autant que le contrat de travail ne soit modifié et l’accord du salarié requis.

Néanmoins, la Cour de Cassation écarte purement et simplement cette clause de mobilité.

Les magistrats se refusent à considérer que le travail à domicile se limite à la seule question de la modification du lieu de travail et jugent, à juste titre, que c’est « l’organisation contractuelle du travail » dans son ensemble qui est modifiée.

La clause de mobilité dont les effets sont circonscrits à la détermination de la localisation du salarié est ainsi inopérante à imposer le travail à domicile ou le retour du télétravailleur au siège social de l’entreprise car une telle décision impacte de manière plus générale l’ensemble de la relation contractuelle et non le seul lieu de travail.

De tels litiges sur la nécessité de solliciter l’accord du télétravailleur sur l’organisation de son retour au sein des bureaux de l’entreprise devraient voir leur nombre se réduire avec l’adoption de l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 sur le télétravail. En dessinant un cadre spécifique au télétravail, cadre fortement inspiré par l’accord intervenu en 2002 entre les partenaires sociaux européen, ce texte envisage notamment cette question épineuse de la réversibilité de la situation du travailleur à domicile.

L’article 3 de cet accord prévoit en effet que « si le télétravail ne fait pas partie des conditions d’embauche, l’employeur et le salarié peuvent, à l’initiative de l’un ou de l’autre, convenir par accord d’y mettre fin et d’organiser le retour du salarié dans les locaux de l’entreprise. Les modalités de cette réversibilité sont établies par accord individuel et/ou collectif ». Les partenaires sociaux ont également envisagé la situation du salarié embauché initialement en tant que télétravailleur : « si le télétravail fait partie des conditions d’embauche, le salarié peut ultérieurement postuler à tout emploi vacant, s’exerçant dans les locaux de l’entreprise et correspondant à sa qualification. Il bénéficie d’une priorité d’accès à ce poste ».

On l’a compris. Si la nécessité d’un accord pour la mise en place du travail à domicile, ou le retour du télétravailleur dans l’entreprise, ne fait plus aucun doute, le débat sera certainement déplacé sur d’autres points liés à cette réversibilité de ce statut si particulier. Au regard de l’ardeur des discussions qui peuvent entourer la notion de reclassement en droit social, les différends liés aux conditions de retour dans l’entreprise alimenteront certainement très prochainement le contentieux judiciaire.

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