Cabinet d’avocats franco-belge, moderne et humain,
au service de la création et de l’innovation

9 pôles d’activités dédiés au
droit de la création et de l’innovation

Nos activités scientifiques & académiques

Faisons connaissance !

Un procès en vue ?
Lisez le guide destiné à mieux vous préparer

Le portail du droit des technologies, depuis 1997
Powered by

Un site pour tout savoir sur le RGPD
Powered by

Taxation au kilomètre et protection des données : un équilibre à inventer

Publié le par

On nous parle de plus en plus de fiscalité intelligente. Si. C’est possible, en matière automobile notamment où l’on envisage la taxation au kilomètre. L’idée est intéressante mais attention à sa mise en oeuvre. La vie privée des usagers doit être préservée car il est exclu de pister les déplacements des citoyens. Prudence donc.

En tous cas, si l’on en croit les pouvoirs publics, soutenu par le secteur automobile, la taxation intelligente serait possible en matière de mobilité. On ne taxerait plus la possession du véhicule mais bien son utilisation en fonction de divers critères comme le lieu , le temps et d’autres critères écologiques. Outre une taxation plus équitable, cela permettrait de modifier les comportements des automobilistes – éviter, par exemple, les déplacements inutiles en heure de pointe – tout en décongestionnant nos routes. La solution passerait par l’utilisation des nouvelles technologies de géolocalisation. Et la nécessaire prise en compte de la protection des données des utilisateurs des véhicules.

L’Echo annonçait le 2 août dernier qu’une taxe au kilomètre concernant les particuliers dans la future zone RER serait testée en 2014. Un consortium mené par PwC, Touring et les trois Régions concernées se lancera en effet dans la phase expérimentale de ce nouveau projet de taxation des automobilistes afin d’en décider de l’opportunité. 

Toujours selon l’Echo, le porte-parole de la ministre bruxelloise Brigitte Grouwels aurait expliqué les objectifs poursuivis par une telle mesure :

– Que tous les utilisateurs de la voie publique contribuent à son entretien ;
– Inciter à utiliser la voiture de façon plus rationnelle ;
– Réduire les émissions polluantes, en privilégiant également l’usage des transports en commun.


Ce système de taxation au kilomètre existe déjà dans différents pays et sous différentes formes.

A Stockholm, une balise est fixée sur le pare-brise des véhicules voulant entrer en ville. Ce sont des portails placés le long de la route qui réceptionnent les informations des balises. Ce système nécessite de lourds investissements en infrastructure.

A Londres, le péage urbain fonctionne avec des caméras. Deux zones coexistent : la Low Emission Zone (LEZ) comprend la Congestion Charge Zone (CCZ). La LEZ taxe les camions et bus, les véhicules les plus polluants. La CCZ vise à décongestionner le centre de Londres et s’applique donc à tous les véhicules. Dans ces zones, les caméras scannent le numéro des plaques d’immatriculation en vue de la taxation des propriétaires de ces véhicules. Double bénéfice : la ville décourage les pollueurs et les embouteillages ont diminué.

Dans ces deux cas, le suivi et le contrôle des véhicules paraît rester ponctuel. C’est le passage à certains lieux prédéterminés (par exemple, les principales voies d’accès à la ville) qui collecte une information limitée en temps et lieu.

En Belgique, le 23 mai dernier, les trois Régions ont publié l’avis de marché public « relatif au développement d’un système de prélèvement kilométrique pour les poids lourds ». Il s’agit de mettre en place une nouvelle taxe, remplaçant l’Eurovignette, qui se baserait elle aussi sur le nombre de kilomètres réellement parcourus. A cette fin, les camions seraient équipés d’un compteur kilométrique.

Le système belge en projet en ce qui concerne les particuliers serait radicalement différent. D’après les informations publiées dans la presse, une boîte noire, basée sur la technologie GPS, serait installée dans le véhicule du contribuable afin d’enregistrer le nombre de kilomètres, le trajet parcouru et le moment où il est effectué. « Rouler le lundi à 8h vers Bruxelles coûtera plus cher que circuler en campagne le week-end » exemplifie l’Echo. Evidemment, on peut aussi s’imaginer qu’à cette heure matinale, le trajet sur l’E411 ou l’E40 donnerait lieu à une taxe maximale tandis que le passage par certaines routes secondaires serait moins ou non taxé.

Ces données seraient transmises à un bureau d’encaissement qui se chargerait de calculer les montants dus au titre de la taxe et transmettrait alors la facture/avertissement extrait de rôle. Ce système serait déjà utilisé en Allemagne… mais uniquement pour le calcul des taxes de circulation des camions.

Quelles que soient les modalités finalement retenues, le projet belge devra assurément tenir compte de deux catégories de difficultés juridiques.

D’abord, au niveau fiscal, il existe déjà la taxe de circulation qui s’applique à tous les conducteurs de voiture. « Il ne peut être question d’additionner les deux prélèvements » assure Touring. Au risque d’imposer doublement les navetteurs, la taxe à la circulation devrait donc être supprimée. Plus naïvement, Touring indique que pour des raisons financières évidentes et par souci d’égalité devant l’impôt, ce principe de taxation au kilomètre devrait de facto s’étendre à l’ensemble du territoire national . Pour le VAB, le système devrait être neutre en termes de coûts pour l’automobiliste moyen qui parcourt environ 15 000 kilomètres par an .

Ensuite, il faudra nécessairement tenir compte des lois sur la protection des données et de la vie privée. Le système tel que décrit par l’Echo permettrait de contrôler à tout moment les déplacements d’un véhicules et de son conducteur sur un territoire donné. Cette surveillance continue serait certes nécessaire à l’établissement de l’impôt puisque ce dernier serait fonction des kilomètres parcourus, des routes empruntées et du moment où elles le sont. Mais, elle serait ainsi fortement intrusive. On imagine sans peine les discussions qui pourraient avoir lieu dans nos chaumières à la réception de l’avertissement extrait de rôle ou des informations détaillées nécessaires au contrôle de l’impôt …

On pense aussi aux risques de réutilisation de ces données soit par les autres départements du fisc (un merveilleux moyen de traquer les utilisations privées de véhicules professionnels), par une autre administration (on imagine sans mal l’utilisation qui pourrait en être faite par les autorités judiciaires et policières) voire, mais c’est à l’heure actuelle plus théorique un tiers privé (l’employeur ?).

D’où la nécessité qu’il y aura de tenir compte du cadre juridique de l’utilisation de données de géolocalisation en général et de ceux liés aux dispositifs mobiles intelligents en particulier. Celui-ci est fourni principalement par la loi belge du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel.

La technologie GPS fait partie de ce qu’on appelle les Systèmes de Transports Intelligents (STI). Les STI ont fait l’objet d’une réflexion européenne, qui a abouti à la directive 2010/40/UE dont la loi en assurant la transposition est sur le point d’être publiée au Moniteur . Ces textes prévoient que les fournisseurs de STI doivent prévoir le recours à des données anonymes, éventuellement codées. Le principe d’anonymisation serait cependant inapplicable dans le cadre du projet belge où le fisc doit nécessairement mettre les informations en rapport avec un contribuable identifié. Le fisc ne serait pas un fournisseur de STI au sens de ces dispositions.

A l’occasion de l’adoption de ces textes que des avis ont été émis aussi bien par le Groupe 29 que par la Commission de la protection de la vie privée .On retient de ceux-ci quelques éléments essentiels.

Les données récoltées à l’occasion d’une telle taxation sont considérées comme des données particulièrement sensibles sur les automobilistes. Sur base de la géolocalisation, on peut obtenir une vision intime des habitudes de vie de l’utilisateur du véhicule, de façon à en établir le profil très détaillé. A partir du schéma de trajets effectués, on peut retrouver par exemple l’employeur de la personne concernée. Un schéma de comportement peut également générer des données « sensibles » dont le traitement est a priori interdit par la loi. Par exemple, il pourrait révéler des visites à des hôpitaux, à des lieux de cultes, la présence à des manifestations politiques, ou à d’autres lieux spécifiques révélant des informations concernant la vie sexuelle par exemple.

Dans ce contexte, les autorités de contrôles indiquent qu’il faut être extrêmement prudent à l’occasion du traitement de ces données et appliquer strictement les dispositions légales applicables.

En ce qui concerne le motif légitime du traitement de données, on ne peut pas, dans un contexte fiscal, se baser sur le consentement de la personne concernée. Cependant, l’article 5, e) de la loi permet aux pouvoirs publics d’effectuer un traitement de données lorsque celui-ci est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique.

Mais le véritable problème sera de faire la preuve du caractère nécessaire de l’intrusion continue, systématisée et organisée du fisc dans l’intimité du contribuable. On devra alors mettre en œuvre un principe de proportionnalité qui aura bien du mal à passer la rampe si des garanties spécifiques ne sont pas intégrées dans le système afin de réduire l’intrusion. Difficile de démontrer la nécessité d’un contrôle continu et systématique de tous les déplacements des contribuables au nom d’une finalité de taxation, fût-elle plus écologique ou répondant à une politique de mobilité dans l’intérêt général.

De plus, le risque de détournement de finalité paraît important : quels que soient les beaux discours initiales, gageons que la tentation sera très forte pour l’Etat d’utiliser ces données pour d’autres buts d’intérêt public…

Bref, les concepteurs du projet auraient tout intérêt à tenir compte des contraintes de la protection des données dans la conception et la mise en oeuvre de leur projet. Sous peine de mettre en péril ce qui à la base, apparaît comme une excellente idée d’utilisation des TIC pour la gestion du trafic et la création d’une taxation plus équitable des automobilistes.

Cela étant, le projet de système de taxation étant lié à la finalisation du RER, il n’est pas prêt d’être mis en place. Infrabel l’annonçait déjà pour « l’horizon 2019 ». Le nouveau plan pluriannuel d’investissement (PPI) du rail belge annonce désormais les derniers chantiers du réseau régional pour 2025 indiquait Le Soir . Du temps pour réfléchir encore un peu…

Droit & Technologies

Soyez le premier au courant !

Inscrivez-vous à notre lettre d’informations

close

En poursuivant votre navigation sur notre site, vous acceptez l’utilisation de cookies afin de nous permettre d’améliorer votre expérience utilisateur. En savoir plus

OK