Surfer anonymement devient illégal en Belgique
Publié le 17/03/2002 par Etienne Wery
Il est exaspérant de voir le législateur adopter, en général en fin d’année ou de législature, des « lois programmes » comportant des centaines d’articles sans aucun lien les uns avec les autres. C’est d’autant plus exaspérant que c’est généralement dans ces lois là que les mesures les moins populaires sont adoptées. Hélas, cette vérité se confirme…
Il est exaspérant de voir le législateur adopter, en général en fin d’année ou de législature, des « lois programmes » comportant des centaines d’articles sans aucun lien les uns avec les autres. C’est d’autant plus exaspérant que c’est généralement dans ces lois là que les mesures les moins populaires sont adoptées.
Hélas, cette vérité se confirme une fois de plus avec l’adoption, le 31 décembre 2001, d’une loi passée quasiment inaperçue mais dont les articles 150 et 151 feront bondir plus d’un internaute. La loi du 31 décembre 2001 modifie en effet la loi du 21 mars 1991 qui fixe le cadre juridique des opérateurs et prestataires de services de télécommunication en Belgique.
L’article 109 ter E est complété notamment par ce qui suit :
§ 6. Le Roi fixe, après avoir recueilli l’avis de la Commission de la protection de la vie privée et de l’Institut, les mesures techniques et administratives d’applications aux abonnés et aux utilisateurs finals des opérateurs et des autres fournisseurs de services de télécommunications, pour permettre l’identification de l’appelant dans le cadre d’un appel d’urgence ou en vue d’interdire la fourniture de services qui empêchent ou entravent les mesures prévues dans la loi du 10 juin 1998 modifiant la loi du 30 juin 1994 relative à la protection de la vie privée contre les écoutes, la prise de connaissance et l’enregistrement de communications et de télécommunications privées.
Ces mesures imposées sont à charge des abonnés et des utilisateurs finals (sic) concernés et ne peuvent aller plus loin que ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs mentionnés dans le paragraphe précédent.
Les opérateurs et les autres fournisseurs de services de télécommunications déconnectent les abonnés ou les utilisateurs finals, qui ne se conforment pas aux mesures qui leur sont imposées, de leurs réseaux et services auxquels s’appliquent les mesures imposées. Ces abonnés ou ces utilisateurs finals ne reçoivent aucun dédommagement.
Si les opérateurs et les autres fournisseurs de services de télécommunications ne procèdent pas dans le délai qui leur est imposé à la déconnexion des abonnés ou des utilisateurs finals qui ne se conforment pas aux mesures qui leur sont imposées, il leur est interdit de fournir ledit service jusqu’à ce que l’identification de l’appelant soit rendue possible.
§ 7. Le Roi peut interdire, partiellement ou entièrement, l’exploitation de services de télécommunications quand ces services rendent difficile ou impossible l’identification de l’appelant, le repérage, la localisation, les écoutes, la prise de connaissance et l’enregistrement des télécommunications privées aux conditions prévues par les articles 46bis, 88bis et 90ter à 90decies du Code d’instruction criminelle.
§ 8. Le Roi fixe les délais dans lesquels les parties concernées doivent se conformer aux mesures qu’Il fixe conformément aux §§ 5, 6 et 7. « .
Par ailleurs, il est rétabli un nouvel article 111 (supprimé pourtant en 1997) stipulant ce qui suit :
Nul ne peut, dans le Royaume, via l’infrastructure des télécommunications, donner ou tenter de donner des communications portant atteinte au respect des lois, à la sécurité de l’Etat, à l’ordre public ou aux bonnes moeurs ou constituant une offense à l’égard d’un Etat étranger
Le nouvel article 111 peut prêter à sourire puisque le législateur confirme, en somme, que les télécommunications ne peuvent être utilisées à des fins illégales. Précision réellement fondamentale ! Demain, il faudra penser à préciser la même chose pour les voitures (vive le temps des braquages à cheval), les cutters (plus d’attentats comme ceux du 11 septembre), les stylos (que de fausses signatures ils permettent), et tous ces objets de chaque jour qui peuvent aussi accessoirement servir à des fins illégales. Quand quelque chose va de soi, est-il vraiment nécessaire de le redire ?
L’article 109 ter E complété est plus problématique, car il permet au gouvernement (c’est-à-dire sans le « contrôle » du parlement) d’interdire les services qui empêchent ou entravent l’application de la loi sur les écoutes des communications et télécommunications privées, ainsi que ceux qui rendent difficile ou impossible l’identification de l’appelant, le repérage, la localisation, les écoutes, la prise de connaissance et l’enregistrement des télécommunications privées aux conditions prévues par les articles 46bis, 88bis et 90ter à 90decies du Code d’instruction criminelle.
Bien entendu, il faut attendre les mesures concrètes pour savoir ce que le gouvernement interdira, mais a priori cette formulation très vague permet d’inclure à peu près tous les outils d’anonymisation. Surfer anonymement va-t-il devenir illégal ? L’usage de pseudos sera-t-il répréhensible ? Les proxys vont-ils être bannis ? Les systèmes de call-back sont-ils visés ? Tous ces systèmes et services « rendent difficile » l’identification ou le repérage.
Un internaute averti en vaut deux.