Sonneries musicales sur téléphones portables et droit d’auteur : conflits en perspective
Publié le 02/12/2001 par gerard Haas
Le TGI de Paris vient d’interdire à titre provisoire aux sociétés 123 MEDIA et MEDIA CONSULTING d’exploiter en tant que sonnerie musicale pour téléphone mobile les œuvres « Hasta la Vista » et « Solaar Pleure » (TGI Paris Ordonnance de référé 11 octobre 2001). Cette affaire intervient alors qu’en France, le marché de sonneries…
Le TGI de Paris vient d’interdire à titre provisoire aux sociétés 123 MEDIA et MEDIA CONSULTING d’exploiter en tant que sonnerie musicale pour téléphone mobile les œuvres « Hasta la Vista » et « Solaar Pleure » (TGI Paris Ordonnance de référé 11 octobre 2001).
Cette affaire intervient alors qu’en France, le marché de sonneries musicales d’airs connus est florissant et qu’aucun accord avec les sociétés de gestion collective n’a encore été conclu.
Un français sur deux dispose d’un téléphone portable, chacun d’eux pouvant personnaliser son mobile avec une sonnerie reprenant son air préféré. En Europe, le marché du téléchargement de sonneries numérisées a été estimé pour l’année 2001 à 1 milliard d’Euros. Le téléchargement est payant, il revient à 1,35 € l’appel + 0,34 €/minute, et il faut environ 3 minutes pour un téléchargement.
Il n’est donc pas anormal que les acteurs du marché (éditeurs, producteurs, auteurs, compositeurs, sociétés de gestion collective, etc.) entendent tirer profit de cette manne financière.
Sur le plan technique, on peut télécharger des sonneries sur des mobiles compatibles à partir d’un serveur vocal interactif proposant différentes mélodies après présélection et écoute.
Un code identifie chaque sonnerie, l’utilisateur en sélectionne une, compose un numéro de téléphone déterminé et suit les instructions données par le serveur vocal. Ensuite, le téléchargement s’effectue en composant sur les touches du téléphone le code étant affecté à la sonnerie choisie. Techniquement, c’est la simplicité même.
Sur le plan juridique, l’opération est plus complexe et il convient de résoudre au préalable les questions de :
- capacité juridique de l’utilisateur,
- condition de fourniture du service,
- nature du service,
- responsabilités du prestataire,
- respect des droits de propriété intellectuelle.
Remarquons que les éditeurs de sites Internet dédiés aux sonneries musicales n’ont pas cru devoir garantir aux utilisateurs une jouissance paisible. Pourtant, l’utilisation illicite d’une sonnerie originale expose son utilisateur à des poursuites pour contrefaçon.
Une sonnerie originale bénéficiera de la protection du droit d’auteur. Elle est bien plus qu’une simple illustration de l’œuvre car les éléments caractérisant l’œuvre sont réunis (harmonie, mélodie, rythme), et c’est du reste pour cela qu’elle a été choisie.
L’exception de courte citation d’œuvres divulguées visée par l’article L. 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle ne trouve pas ici à s’appliquer. En effet, doctrine et jurisprudence considèrent que cette disposition exceptionnelle aboutissant à une expropriation de l’auteur, doit être interprétée restrictivement, et la limite à la citation littéraire (TGI Paris 30 septembre 1983, D. 1984 somm. 290, obs. Colombet), elle n’est donc pas transposable en matière musicale. Matériellement, il est impossible de faire figurer le nom du compositeur sur un air, condition sine qua non à la dispense du consentement du compositeur (TGI Paris 10 mai 1996 RIDA oct. 1996, p. 324), bien que le téléphone mobile permette de surmonter cette difficulté.
Reste encore l’exception de parodie (T.Com.Seine 26 juin 1934 Gaz.Pal. 1934 2.59), mais elle a toujours été retenue pour des œuvres citées dans des œuvres du même genre ce qui n’est pas le cas d’une sonnerie pour téléphone portable.
Par conséquent, il faut recueillir le consentement du compositeur, de ses ayant droits ou ayant causes avant toute exploitation du message musical.
Si les droits de la composition musicale ont été apportés à la SACEM ou à la SDRM, celles-ci ont qualité pour représenter les droits patrimoniaux du compositeur et ester en justice pour la défense de ces droits (article L. 131-1 et suivants du CPI), le compositeur et ses ayant droits conservant la gestion du droit moral (article L. 121-1 du CPI).
L’affaire MC Solaar
Dans ces conditions, la question qui se posait au juge des référés était double : En l’absence d’autorisation, l’exploitation d’œuvres musicales sous forme de sonneries numérisées à l’usage de téléphones mobiles est-elle une contrefaçon ? Les messages musicaux sur mobiles éprouvent-ils le droit moral du compositeur qui jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre ?
Concernant les droits patrimoniaux, le tribunal a rappelé que les demandeurs avaient adhéré aux statuts de la SACEM et de la SDRM, adhésion emportant dévolution des droits patrimoniaux à son profit ainsi que l’exercice des prérogatives attachées aux œuvres en cause.
Juge de l’évidence, il a ensuite considéré que l’auteur et les compositeurs des œuvres litigieuses étaient irrecevables à présenter des demandes au titre des droits patrimoniaux dont la défense relevait de la SACEM et de la SDRM dont ils sont membres.
Le conflit probablement interne entre la SACEM et ses membres n’avait pas à éclater devant le Tribunal. D’autant plus que la carence de la SACEM alléguée n’était pas justifiée puisque des négociations étaient en cours avec les défenderesses, à tout le moins imprudentes en exploitant des droits qu’elles ne détenaient pas, surtout dans un domaine où l’écrit est la condition essentielle de la cession (article L. 131-2 du CPI).
Concernant le droit moral, on pourra regretter que les demandeurs n’aient pas axé leur action sur la violation de leur droit de paternité qui relevait de l’évidence. En revanche, le juge des référés ne pouvait pas être compétent pour apprécier si l’usage en boucle d’un extrait de quelques secondes d’une ligne mélodique simplifiée des œuvres musicales numérisées litigieuses constituait une contrefaçon, question de fond ne relevant pas de cette instance.
En revanche, il a sanctionné l’absence de formalisation d’un accord en interdisant provisoirement aux défenderesses, jusqu’à décision définitive du juge du fond ou meilleur accord des parties, d’utiliser ces sonneries mais celles-ci avaient déjà pris l’initiative de les supprimer.
Nul doute que le marché des sonneries numérisées est prometteur mais il n’en demeure pas moins qu’il ne peut prospérer sans respecter les droits de propriété intellectuelle, à défaut il est probable que sonneries musicales sur téléphones mobiles et droits d’auteur ne feront pas bon ménage et c’est l’ère du conflit qui retentira.
Plus d’infos
En consultant l’ordonnance de référé dans l’affaire MC Solaar, en ligne sur notre site