Skype poursuivie pénalement car elle refuse de se déclarer en France en tant qu’opérateur ?
Publié le 11/03/2013 par Etienne Wery
L’ARCEP estime que certains services fournis par la société Skype constituent des services de communications électroniques et rappelle que ceci requiert une déclaration préalable. La méconnaissance de cette obligation constitue une infraction pénale. Devant le refus de Skype, le président de l’ARCEP a informé le Procureur de la République de Paris d’un manquement possible de la société SKYPE à son obligation de se déclarer en tant qu’opérateur de communications électroniques en France.
I. L’obligation de déclaration
L’exercice en France d’une activité d’opérateur de communications électroniques ne requiert pas d’autorisation administrative, mais seulement une déclaration préalable, conformément à l’article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques (CPCE). La méconnaissance de cette obligation constitue cependant une infraction pénale.
La portée de cette disposition doit être examinée à la lumière de la directive 2002/20/CE du 7 mars 2002 relative à l’autorisation de réseaux et de services de communication électroniques (ci-après Directive 2002/20).
a. L’objet de la directive est de garantir la liberté de prestation
Le troisième considérant de la Directive 2002/20/CE défini clairement les objectifs du législateur européen :
« (3) La présente directive a pour objet la création d’un cadre juridique garantissant la liberté de fournir des réseaux et des services de communications électroniques sous la seule réserve des conditions qu’elle fixe et de toute restriction découlant de l’article 46, paragraphe 1, du traité, et notamment des mesures concernant l’ordre public, la sécurité publique et la santé publique. »
La règle est donc la liberté de fournir des réseaux et des services de communication électronique.
Les aménagements ou conditions qui l’assortissent sont les exceptions, et sont donc d’interprétation restrictive.
b. L’autorisation générale est la règle. La déclaration est une formalité que les Etats membres ne sont pas obligés d’imposer
Les septième et huitième considérants de la directive 2002/20 confirment que la règle est la liberté de prestation, le régime dit « d’autorisation générale » :
« (7) Il convient de choisir le système d’autorisation le moins onéreux possible pour assurer la fourniture de réseaux et de services de communications électroniques afin de stimuler le développement de nouveaux services de communications électroniques ainsi que de réseaux et services paneuropéens de communications et de permettre aux fournisseurs de services et aux consommateurs de bénéficier des économies d’échelle réalisées sur le marché unique.
(8) Le meilleur moyen d’atteindre ces objectifs consiste à instaurer un système d’autorisation générale pour tous les réseaux et services de communications électroniques, sans exiger de décision expresse ou d’acte administratif de la part de l’autorité réglementaire nationale, et à limiter les procédures à la seule notification. Lorsque les États membres exigent des fournisseurs de réseaux ou de services de communications électroniques qu’ils notifient la prise d’activités, ils peuvent aussi exiger que la preuve de cette notification soit fournie par un accusé de réception ou récépissé postal ou électronique légalement reconnu. Cette preuve ne devrait en aucun cas être ou nécessiter un acte administratif de l’autorité réglementaire nationale à laquelle la notification doit être faite. »
Dans la lignée de ces considérants, l’article 3 de la Directive dispose :
« 1. Les États membres garantissent la liberté de fournir des réseaux et des services de communications électroniques, sous réserve des conditions fixées dans la présente directive. À cette fin, les États membres n’empêchent pas une entreprise de fournir des réseaux ou des services de communications électroniques, sauf pour les raisons visées à l’article 46, paragraphe 1, du traité.
2. La fourniture de réseaux de communications électroniques ou la fourniture de services de communications électroniques ne peut faire l’objet, sans préjudice des obligations spécifiques visées à l’article 6, paragraphe 2, ou des droits d’utilisation visés à l’article 5, que d’une autorisation générale. L’entreprise concernée peut être invitée à soumettre une notification, mais ne peut être tenue d’obtenir une décision expresse ou tout autre acte administratif de l’autorité réglementaire nationale avant d’exercer les droits découlant de l’autorisation. Après notification, s’il y a lieu, une entreprise peut commencer son activité, sous réserve, le cas échéant, des dispositions applicables aux droits d’utilisation visées aux articles 5, 6 et 7.
3. La notification visée au paragraphe 2 se limite à une déclaration établie par une personne physique ou morale à l’attention de l’autorité réglementaire nationale, l’informant de son intention de commencer à fournir des réseaux ou des services de communications électroniques, ainsi qu’à la communication des informations minimales nécessaires pour permettre à l’autorité réglementaire nationale de tenir un registre ou une liste des fournisseurs de réseaux et de services de communications électroniques. Ces informations doivent se limiter au strict nécessaire pour identifier le fournisseur, comme le numéro d’enregistrement de la société et ses points de contact, son adresse, une brève description du réseau ou du service ainsi que la date prévue du lancement de l’activité. »
La notification ne peut être ni une décision expresse, ni un acte administratif de la part de l’autorité réglementaire et ne peut donc impliquer un quelconque pouvoir de décision de l’autorité nationale.
II. La sanction de l’absence de déclaration
Le plus grand désordre règne. Ceci est d’autant plus étonnant qu’il s’agit, rappelons-le, d’une simple formalité administrative sans aucun pouvoir de décision de l’autorité nationale. Or, assortir la violation de cette formalité de sanctions importantes crée, dans les faits, une obligation forte.
En France, la méconnaissance de cette obligation constitue une infraction pénale.
Dans d’autres pays, les juges n’ont pas hésiter à aller plus loin encore.
Saisi d’un litige commercial entre opérateurs dont l’un n’avait pas accompli à temps sa déclaration et avait régularisé ensuite, un juge belge a été jusqu’à y voir la violation de l’ordre public entrainant la nullité du contrat commercial conclu par ledit opérateur. (L’affaire est en appel, donc prudence !) :
« Il s’agit d’une disposition légale relative à l’accès et à l’exercice d’une activité réglementée ;
Il est de jurisprudence constante que ces dispositions sont d’ordre public et que les contrats qui ont été conclus en violation de ces règles par le prestataire sont frappés de nullité absolue, de sorte que le cocontractant ne peut être débiteur d’aucune somme à l’égard du prestataire.
Les lois d’ordre public sont celles qui touchent aux intérêts essentiels de l’état, de la collectivité ou qui fixent dans le droit privé les bases juridiques sur lesquels reposent l’ordre économique ;
Le but de ces lois est de protéger l’intérêt général ;
Tel est bien le cas de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques et qui a créé l’institut belge des services postaux et des télécommunications. L’argumentation de la demanderesse sur l’absence de caractère d’ordre public de la loi est développée en vain ;
Il résulte de ce qui précède que le contrat est nul et que la défenderesse n’est redevable d’aucune somme ;
Au contraire, la demanderesse doit lui rembourser les sommes payées en vertu du contrat frappé de nullité. »
III. L’affaire Skype
Le président de l’ARCEP a informé le Procureur de la République de Paris d’un manquement possible de la société SKYPE à son obligation de se déclarer en tant qu’opérateur de communications électroniques en France
La société Skype Communications S.à.r.l. (ci-après, « la société Skype »), dont le siège social est établi au Luxembourg, propose aux internautes français des services qui permettent de passer des appels téléphoniques, depuis ou vers un terminal connecté à internet, par exemple un ordinateur ou un smartphone, au moyen du logiciel proposé par une autre société du groupe Skype, la société Skype Software S.à.r.l.
Pour l’ARCEP, « Si tous les services fournis par la société Skype ne constituent pas des services de communications électroniques, tel paraît en revanche être le cas du service permettant aux internautes situés en France d’appeler, depuis leur ordinateur ou leur smartphone, des numéros fixes et mobiles, situés en France ou ailleurs dans le monde. En effet, ce service consiste à fournir un service téléphonique au public. »
L’ARCEP rappelle que « l’exercice en France d’une activité d’opérateur de communications électroniques ne requiert pas d’autorisation administrative, mais seulement une déclaration préalable, conformément à l’article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques (CPCE). La méconnaissance de cette obligation constitue cependant une infraction pénale.(…)
L’ARCEP a par conséquent demandé, à plusieurs reprises, à la société Skype de se déclarer auprès d’elle en tant qu’opérateur de communications électroniques, ce que la société Skype n’a pas fait à ce jour.
Afin de veiller au respect de ces dispositions essentielles du droit des communications électroniques en France, le président de l’ARCEP vient d’informer, conformément à l’article L. 36-10 du CPCE, le Procureur de la République de Paris de ces faits, qui sont susceptibles de recevoir une qualification pénale. »
IV. Commentaires
Alors que dans le dossier belge décrit ci-dessus la déclaration avait été oubliée, dans le cas de Skype c’est la société qui refuse obstinément de s’y plier.
Pourquoi cette obstination ?
La réponse est dans le communiqué de l’ARCEP : « Le fait d’exercer une activité d’opérateur de communications électroniques, en particulier le fait de fournir un service téléphonique au public, implique également le respect de certaines obligations, parmi lesquelles figurent notamment l’acheminement des appels d’urgence et la mise en œuvre des moyens nécessaires à la réalisation des interceptions judiciaires. »
Ce n’est donc pas l’envoi d’une lettre qui est en cause. L’enjeu est nettement supérieur. Stratégiquement, si Skype accepte de faire cette déclaration elle reconnait son statut d’opérateur de communications électroniques qu’elle refuse car elle a toujours combattu devoir se soumettre aux obligations accessoires décrites ci-dessus.
Il reste que le dossier Skynet n’est pas simple et l’issue des poursuites pas évidente.
Il est malaisé de définir ce qui relève de l’activité de d’opérateur de communications électroniques. La définition européenne est quasiment incompréhensible pour le commun des mortels. L’ARCEP elle-même le reconnait même si elle estime que certains services ne souffrent pas à discussion : « Si tous les services fournis par la société Skype ne constituent pas des services de communications électroniques, tel paraît en revanche être le cas du service permettant aux internautes situés en France d’appeler, depuis leur ordinateur ou leur smartphone, des numéros fixes et mobiles, situés en France ou ailleurs dans le monde. En effet, ce service consiste à fournir un service téléphonique au public. »
Il faudra aussi voir si la déclaration contrainte et forcée vaudra reconnaissance du statut d’opérateur de communications électroniques.
Enfin, la légalité même de la sanction de la violation de l’article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques peut poser problème. Une sanction pénale est-elle compatible avec l’esprit de la directive, et plus encore quand l’opérateur est étranger ?
Les juristes vont s’amuser …