Second Life sort indemne de son premier combat judiciaire en France
Publié le 10/07/2007 par Etienne Wery
Second life, le fameux site de réalité virtuelle persistante a échappé à une condamnation sollicitée par la Fédération des Familles de France, qui reprochait au site américain la présence de pornographie enfantine, de jeux interdits et de publicités pour l’alcool et le tabac. Certes, la présidente déboute en raison de l’absence de force probante des constats produits, mais il n’empêche que c’est un premier point marqué par le site américain.
Des milliers d’articles de presse consacrés à ce phénomène, 30.000 personnes de toutes nationalités simultanément connectées aux heures de pointe, 6,6 millions de résidents dont presque deux millions se sont connectés au cours des deux derniers mois.
Second Life est incontestablement un phénomène de société ; c’est aussi un formidable défi juridique.
Second Life ?
Mais au fait, qu’est ce que Second Life ?
A la base, Second Life est assez classique : il s’agit d’un chat virtuel dans lequel des individus, représentés par leur image appelée « avatar », dialoguent dans une reconstitution en 3D du monde réel ou dans un monde imaginaire créé par eux. SECOND LIFE n’est ni le premier, ni le dernier environnement de ce type (les moins jeunes se souviendront du « deuxième monde » produit par CANAL + à la fin des années 90).
Est-ce en raison de la pénétration de l’internet haut-débit dans les foyers, ou de la familiarisation de notre société avec la réalité virtuelle, ou encore grâce à la puissance des machines qui permettent aujourd’hui de réaliser facilement des animations en 3D ? Toujours est-il que Second Life, après un début difficile, réussi aujourd’hui là où beaucoup d’autres ont échoué.
Si Second Life est similaire, à la base, à un chat virtuel, il y a toutefois une différence avec les autres jeux de rôle en ligne (appelés MMORPG pour « massively multiplayer online role playing game »).
Les MMORPG obéissent en effet à un scénario établi par l’éditeur. Certes, les joueurs peuvent influencer sur le déroulement de l’histoire mais celui-ci est pré-écrit et la fin est programmée.
SECOND LIFE fonctionne différemment : seul le décor est planté, à charge pour les utilisateurs de créer le jeu qui n’obéit à aucun scénario particulier.
Cette caractéristique ont amenés certains à parler de « monde virtuel persistant » puisqu’il est modifié au fur et à mesure de son existence en fonction des envies et des réalisations des joueurs.
L’éditeur fournit donc une solution vide avec des outils de création, mais les créations elles-mêmes sont uniquement l’œuvre des joueurs.
Second Life présente également une deuxième caractéristique importante : il est doté d’une monnaie virtuelle, le LINDEN Dollar, lui-même convertible en Dollars américains lorsqu’il est échangé entre joueurs. Cela a amené un certain nombre de « résidents » (les utilisateurs de Second Life) à fréquenter ce monde virtuel avec un objectif déclaré de gagner de l’argent. Malheureusement, les travers de notre société n’ont par tardé à pénétrer ce monde virtuel : une des première millionnaire de Second Life n’est autre qu’une personne qui a programmé sont avatar pour se livrer à la prostitution, en se faisant rétribuer en LINDEN Dollars qu’elle a ensuite converti par échange avec d’autres joueurs. Heureusement, il y a d’autres histoires, moins glauques mais tout aussi successful.
Les faits soumis au TGI de Paris
La fédération des Familles de France a assigné LINDEN Research, la société américaine qui exploite le site de SECOND LIFE.
L’objet de l’action vise avant tout à « dire et juger que la société LINDEN Research est responsable en tant qu’éditeur de contenu du site internet www.secondlife.com qu’elle édite ».
Familles de France prétend avoir constaté la présence de pornographie enfantine sur le site, ainsi que des jeux non autorisés et de la publicité pour le tabac et l’alcool, et demande la condamnation de LINDEN Research sur la base des articles du Code Pénal qui sanctionnent ces infractions.
Le Tribunal commence par vérifier l’application de la loi française : « il convient d’examiner s’il existe un lien suffisamment substantiel de rattachement à l’ordre juridictionnel français, permettant de retenir que le contenu du service de communication au public en ligne s’adresse au public français ».
Et le juge de constater que même si l’usage de la langue française est minoritaire, il est certain que le site accueille un public international, et qu’on y trouve une présence non négligeable d’espaces virtuels mis en ligne par des acteurs de la vie économique, culturelle ou politique française, ce que LINDEN Research ne peut ignorer.
En outre, le Tribunal pointe l’existence d’un guide officiel d’utilisation, en langue française, réalisé avec la contribution d’employés de LINDEN Research et préfacé par le fondateur de celui-ci.
Le TGI estime en conséquence que la loi française s’applique.
Le juge aurait probablement été conforté dans son analyse s’il avait eu connaissance de l’étude réalisée par COMCSORE, qui estime que 19% seulement des visiteurs de Second Life proviennent d’Amérique du Nord, pour 60% d’européens. Dans cette étude, l’Allemagne arriverait en tête, avec 16% des avatars actifs, suivi de la France (un peu plus de 100.000 avatars actifs) et de la Grande-Bretagne.
Le Tribunal se penche ensuite sur les constats d’huissier produits par Familles de France.
Il n’est pas facile de comprendre, à la lecture de la décision, ce qui s’est réellement passé. Il semble que l’huissier instrumentant a créé de toute pièce un avatar, auquel il a entendu donner l’apparence d’un enfant, qu’il a ensuite dévêtu.
Le Tribunal apprécie peu !
La magistrate estime que « ces circonstances, qui permettent de s’interroger sur le respect par l’huissier instrumentaire d’une stricte neutralité dans l’établissement du procès verbal, ôte tout caractère démonstratif aux tentatives tendant à convaincre que le site litigieux donne aux mineurs un accès incontrôlé à des contenus réservés aux adultes, comme au fait que des avatars à l’apparence d’enfant puissent participer à des scènes animées ».
En outre, le Tribunal pointe que non seulement l’huissier a crée un avatar, mais qu’il a ensuite abandonné le contrôle de faits et gestes de celui-ci à son mandant : « suivant le procès verbal, le mandant se connecte alors pour se faire via le même réseau de connexion, mais à partir de son propre ordinateur, et sans pour autant que mention soit faite de la prise de l’une quelconque des précautions préalables exigées ».
Pour la TGI, « Que la manipulation par l’un (le mandant) de l’avatar créé par l’autre, et par l’huissier de l’autre avatar, ne relève alors plus de la mission de constat confiée, mais d’opérations en excédant le cadre et qui n’aurait pu le cas échant s’envisager qu’après en avoir soumis préalablement à l’autorité judiciaire compétente le principe et les modalités, permettant notamment d’apprécier leur légitimité et de tracer le cheminement suivi ».
Le constat est dès lors écarté.
Second Life est-il oui ou non éditeur ?
LINDEN Research soutient évidemment qu’il assure seulement l’hébergement des contenus présents créés par les utilisateurs.
Le Tribunal ne tranche pas réellement la question, estimant qu’en « l’état du caractère inexploitable du constat dressé et de l’imprécision des arguments des demanderesses relativement à la qualité d’éditeur de la société LINDEN Research, les pièces communiquées et les explications fournies ne permettent cependant pas de retenir avec la force de l’évidence que la société LINDEN Research se cantonne exclusivement dans un rôle de prestataire d’hébergement des contenus des espaces évoqués ».
Le Tribunal n’exclut donc pas que LINDEN Research soit éditeur, mais il ne l’affirme pas non plus.
Et le Tribunal, logiquement, de débouter les associations demanderesses en relevant encore que celles-ci ne sont pas en mesure de justifier de la réalisation effective d’un trouble grave à caractère manifestement illicite ou d’un risque de dommage imminent pouvant affecter les mineurs, de nature à justifier la prise de mesure immédiate, et cela une fois de plus parce qu’elles n’ont pas soumis au Tribunal de preuves fiables.
Plus d’infos ?
En lisant la décision rendue, disponible sur notre site.