RGPD et transidentité : le droit de rectification de données relatives à l’identité de genre ne peut être subordonné à la preuve d’un traitement chirurgical
Publié le 13/03/2025 par
Etienne Wery
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Aux fins de l’exercice du droit de rectification une personne peut être tenue de fournir les éléments de preuve pertinents et suffisants qui peuvent raisonnablement être exigés pour établir l’inexactitude de ces données. Cependant, un État membre ne peut en aucun cas subordonner, par une pratique administrative, l’exercice de ce droit à la production de…
Aux fins de l’exercice du droit de rectification une personne peut être tenue de fournir les éléments de preuve pertinents et suffisants qui peuvent raisonnablement être exigés pour établir l’inexactitude de ces données. Cependant, un État membre ne peut en aucun cas subordonner, par une pratique administrative, l’exercice de ce droit à la production de preuves d’un traitement chirurgical de réassignation sexuelle.
Cette affaire soulève la question du cadre juridique applicable à la reconnaissance de l’identité de genre et, plus particulièrement, du rôle du Règlement général sur la protection des données (RGPD) dans la modification d’informations officielles. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a été amenée à se prononcer sur l’interprétation de ce règlement dans un contexte où un État membre impose certaines conditions pour la rectification de la mention du genre dans un registre public.
En 2014, VP, une personne de nationalité iranienne, a obtenu le statut de réfugié en Hongrie en invoquant sa transidentité et en produisant des attestations médicales établies par des spécialistes en psychiatrie et en gynécologie. Selon ces attestations, si cette personne était née femme, son identité de genre était masculine. À la suite de la reconnaissance de son statut de réfugié sur cette base, ladite personne a toutefois été enregistrée en tant que femme dans le registre de l’asile, qui est tenu par l’autorité hongroise en charge de l’asile et qui comporte les données d’identification, y compris le genre, des personnes ayant obtenu ce statut en Hongrie.
En 2022, sur la base des mêmes attestations médicales, VP a notamment demandé à cette autorité de rectifier la mention de son genre dans ce registre, au titre du règlement général sur la protection des données (RGPD).
Le RGPD, adopté en 2016, encadre le traitement des données personnelles dans l’Union européenne. Parmi ses principes fondamentaux figure celui de l’« exactitude », qui permet à une personne de demander la correction d’une information la concernant si celle-ci est erronée. La question posée à la CJUE était donc de savoir si une donnée relative au genre devait être considérée sous cet angle et dans quelles conditions une rectification pouvait être demandée.
Cependant, cette demande a été rejetée, au motif que VP n’avait pas prouvé avoir subi de traitement chirurgical de réassignation sexuelle.
VP a formé un recours contre ce rejet devant la cour de Budapest-Capitale (Hongrie). Tout en précisant que le droit hongrois ne prévoit pas de procédure de reconnaissance juridique de la transidentité, cette juridiction demande à la Cour de justice si, d’une part, le RGPD impose à une autorité nationale chargée de la tenue d’un registre public de rectifier les données à caractère personnel relatives à l’identité de genre d’une personne physique lorsque ces données ne sont pas exactes et, d’autre part, si un État membre peut subordonner, par une pratique administrative, l’exercice du droit de rectification de telles données à la production de preuves, notamment, d’un traitement chirurgical de réassignation sexuelle.
L’analyse de la Cour de justice
En premier lieu, la Cour observe que, en vertu du RGPD et, notamment, du principe d’exactitude énoncé par celui-ci, la personne concernée a le droit d’obtenir du responsable du traitement, dans les meilleurs délais, la rectification des données à caractère personnel la concernant qui sont inexactes. Ce règlement concrétise ainsi le droit fondamental, consacré par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), selon lequel toute personne a le droit d’accéder aux données collectées la concernant et d’en obtenir la rectification. À cet égard, la Cour rappelle que le caractère exact et complet de ces données doit être apprécié au regard de la finalité pour laquelle elles ont été collectées.
L’enjeu central était donc de déterminer si l’exactitude d’une donnée relative au genre devait être appréciée selon l’identité vécue par la personne concernée ou selon les critères définis par l’État membre concerné. La Cour a examiné cette question à la lumière des finalités du registre dans lequel la donnée avait été collectée.
En l’occurrence, après avoir observé que le traitement concerné relève du champ d’application matériel du RGPD, la Cour indique qu’il incombe à la juridiction hongroise de vérifier l’exactitude de la donnée en cause au regard de la finalité pour laquelle celle-ci a été collectée. Si la collecte de cette donnée avait pour but d’identifier la personne concernée, ladite donnée semblerait viser l’identité de genre vécue par cette personne, et non celle qui lui aurait été assignée à la naissance. Dans ce contexte, la Cour précise qu’un État membre ne peut invoquer l’absence, dans son droit national, de procédure de reconnaissance juridique de la transidentité pour faire obstacle à l’exercice du droit de rectification.
Cela signifie que l’existence ou l’absence d’un cadre juridique national spécifique à la reconnaissance de l’identité de genre ne peut empêcher l’application du RGPD et du droit de rectification qu’il prévoit.
En effet, si le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence des États membres dans le domaine de l’état civil des personnes et de la reconnaissance juridique de leur identité de genre, ces États doivent toutefois, dans l’exercice de cette compétence, respecter le droit de l’Union, en ce compris le RGPD, lu à la lumière de la Charte.
Par conséquent, la Cour conclut que le RGPD doit être interprété en ce sens qu’il impose à une autorité nationale chargée de la tenue d’un registre public de rectifier les données à caractère personnel relatives à l’identité de genre d’une personne physique lorsque ces données ne sont pas exactes, au sens de ce règlement.
Les limites des exigences de preuve imposées par un État membre
En second lieu, la Cour constate que, aux fins de l’exercice de son droit de rectification, cette personne peut être tenue de fournir les éléments de preuve pertinents et suffisants qui peuvent raisonnablement être exigés pour établir l’inexactitude desdites données. Cependant, un État membre ne peut en aucun cas subordonner l’exercice du droit de rectification à la production de preuves d’un traitement chirurgical de réassignation sexuelle.
L’enjeu ici était de savoir si une intervention médicale pouvait être exigée comme condition préalable à la modification d’une donnée personnelle. La Cour a estimé que cela n’était ni nécessaire ni proportionné au regard des objectifs poursuivis par le RGPD et les droits fondamentaux protégés par la Charte.
En effet, une telle exigence porte atteinte, notamment, à l’essence du droit à l’intégrité de la personne et du droit au respect de la vie privée, respectivement visés aux articles 3 et 7 de la Charte. En outre, une telle exigence n’est, en tout état de cause, pas nécessaire ni proportionnée afin de garantir la fiabilité et la cohérence d’un registre public, tel que le registre de l’asile, dès lors qu’une attestation médicale, y compris un psychodiagnostic préalable, peut constituer un élément de preuve pertinent et suffisant à cet égard.
En conséquence, la Cour juge qu’aux fins de l’exercice du droit de rectification des données à caractère personnel relatives à l’identité de genre d’une personne physique, contenues dans un registre public, cette personne peut être tenue de fournir les éléments de preuve pertinents et suffisants qui peuvent raisonnablement être exigés de ladite personne pour établir l’inexactitude de ces données. Cependant, un État membre ne peut en aucun cas subordonner, par une pratique administrative, l’exercice de ce droit à la production de preuves d’un traitement chirurgical de réassignation sexuelle.
Plus d’infos
En lisant l’arrêt et les conclusions de l’avocat général, disponibles en annexe.