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Responsabilités sur Internet : loi applicable et juridiction compétente

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Article paru dans L’Echo du 16 novembre 2000 (chronique « droit & multimédia ») Par nature, l’Internet abolit les frontières et met fréquemment en scène des parties situées aux quatre coins du monde. Ainsi, un internaute belge peut être victime de propos diffamatoires propagés depuis un serveur américain, des thèses révisionnistes diffusées depuis un site étranger peuvent…

Article paru dans L’Echo du 16 novembre 2000 (chronique « droit & multimédia »)

Par nature, l’Internet abolit les frontières et met fréquemment en scène des parties situées aux quatre coins du monde. Ainsi, un internaute belge peut être victime de propos diffamatoires propagés depuis un serveur américain, des thèses révisionnistes diffusées depuis un site étranger peuvent soulever l’ire d’associations anti-racistes, des actes de concurrence déloyale ou de contrefaçon sont susceptibles d’être commis depuis un site situé sur un autre territoire…

Si la personne, l’association ou la société qui se prétend lésée entend engager la responsabilité civile de l’auteur des faits incriminés, elle devra en premier lieu déterminer le tribunal qui sera compétent pour connaître de l’affaire et ensuite la loi qui régira le litige.

C’est le rôle du droit international privé : résoudre les conflits de juridiction et de loi surgissant dans des litiges à caractère international.

Les règles actuelles

En matière de compétence juridictionnelle, la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, et celle de Lugano du 16 septembre 1988 , établissent des règles communes, dès lors que le défendeur a son domicile (ou son siège s’il s’agit d’une personne morale) dans l´Union Européenne (Convention de Bruxelles) ou dans un État de l´AELE (Convention de Lugano).

Les règles de conflit des deux Conventions s’appliquent aux activités générées par l’internet dans la mesure où soit du commerce y est effectué, soit des actes dommageables y sont commis. Nous analyserons dans une prochaine chronique l’application de ces Conventions au commerce électronique, et en particulier aux contrats conclus avec les consommateurs.

En matière de responsabilité civile non contractuelle, selon l’article 5-3 de la Convention de Bruxelles, le défendeur peut être attrait devant le tribunal du « lieu où le fait dommageable s’est produit ».

Selon la jurisprudence constante de la Cour de Justice des Communautés Européennes, « le lieu où le fait dommageable s’est produit » vise à la fois le lieu de l’événement causal et le lieu où le dommage est survenu.

Le défendeur peut donc être attrait soit devant le tribunal du lieu où l’événement qui est à l’origine du dommage s’est produit (par exemple, le serveur à partir duquel l’information litigieuse a été diffusée), soit devant le tribunal du lieu où le dommage est survenu.

Saisie d’une affaire de diffamation internationale par voie de presse, la Cour de Justice a précisé que la victime peut intenter une action en réparation soit devant les juridictions de l’État contractant du lieu d’établissement de l’éditeur (ou de l’organisme de radiodiffusion), seules compétentes pour réparer l’intégralité des dommages résultant de la diffamation, soit devant les juridictions de chaque État contractant dans lequel la publication (ou le programme audiovisuel) a été diffusée et où la victime prétend avoir subi une atteinte à sa réputation, ces dernières n’étant compétentes que pour la portion du dommage subi sur le territoire dont elles relèvent.

En matière de loi applicable, aucune Convention internationale n’a été adoptée à ce jour. C’est donc le droit internet qui définit la loi applicable à la responsabilité civile. En droit belge, le critère du « lieu où le fait dommageable s’est produit » est également d’application mais est interprété par la Cour de Cassation comme visant exclusivement le lieu de l’événement causal (ou « fait dommageable »). En France, en revanche, le critère vise aussi le lieu de réalisation du dommage.

Application à la responsabilité sur l’Internet

Le critère de compétence de l’article 5 de la Convention de Bruxelles, tel qu’interprété par la Cour de justice des Communautés européennes, aboutit à une universalisation de la compétence des tribunaux dès lors que l’acte litigieux a été commis sur le réseau.

C’est précisément ce qu’a confirmé la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 1er mars 2000 : « lorsqu’une infraction aux droits de propriété intellectuelle ou un acte de concurrence déloyale a été commis par une diffusion sur le réseau Internet, le fait dommageable se produit en tous lieux où les informations litigieuses ont été mises à la disposition des utilisateurs éventuels du site ».

Dans une affaire de contrefaçon de marque mettant en cause le code minitel « FR 2″, la Cour de cassation de France a même emboîté le pas en décidant le 7 mars 2000 qu' »ayant constaté que le service télématique, dont le code d’appel est litigieux, était accessible à Paris, c’est à bon droit que la cour d’appel en a déduit que le dommage ayant été subi dans cette ville, le tribunal de grande instance de Paris était compétent ».

Illustration de l’inadéquation du régime actuel : l’affaire Yahoo !

Yahoo Inc. est une société américaine exploitant le portail bien connu www.yahoo.com, qui propose notamment un service gratuit d’enchères entre particuliers (voir notre précédente chronique « Ventes aux enchères électroniques : quel cadre juridique ? », L’Echo, 21 septembre 2000 disponible sur ce site). Les internautes qui souhaitent vendre des biens y déposent des annonces avec une description du bien, des photos, le prix minimal à payer.

Ceux qui souhaitent acheter peuvent consulter les annonces et y répondre en proposant le prix qu’ils sont prêts à payer. Tout ou à peu près tout peut être vendu sur le site d’enchères de Yahoo!, y compris des objets se rapportant directement ou indirectement à la mémoire ou au culte du nazisme, qu’il est possible de trouver grâce à un moteur de recherche, en utilisant par exemple les mots clés « Hitler » ou « nazi »…

Constatant la présence de ces annonces sur le site de Yahoo!, la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) et l’UEJF (Union des étudiants juifs de France), décidèrent d’assigner en France Yahoo! Inc. et sa filiale française Yahoo France, afin que soient ordonnées les mesures nécessaires pour empêcher l’exhibition-vente sur le site Yahoo.com d’objets nazis sur l’ensemble du territoire français.

Yahoo! Inc. souleva une exception d’incompétence, rejetée par le tribunal de grande de Paris au motif qu’ « en permettant la visualisation en France de ces objets et la participation éventuelle d’un internaute installé en France à une telle exposition-vente, Yahoo! Inc. commet donc une faute sur le territoire français, faute dont le caractère non intentionnel est avéré mais qui est à l’origine d’un dommage tant pour la LICRA que pour l’Union des étudiants Juifs de France qui ont, l’une et l’autre, vocation à poursuivre en France toute forme de banalisation du nazisme, peu importe au demeurant le caractère résiduel de l’activité litigieuse au regard de l’ensemble de l’activité du service de ventes aux enchères proposé sur son site Yahoo.com ».

Et le tribunal de conclure que « le dommage étant subi en France, notre juridiction est donc compétente pour connaître du présent litige en application de l’article 46 du Nouveau Code de Procédure Civile ».

Le 22 mai 2000, le juge français a ordonnéen conséquence à Yahoo! Inc. « de prendre toutes les mesures de nature à dissuader et à rendre impossible (sur le territoire français) toute consultation sur Yahoo.com du service de ventes aux enchères d’objets nazis et de tout autre site ou service qui constituent une apologie du nazisme ou une contestation des crimes nazis » (pour les deux ordonnances qui ont suivi dans cette affaire, voir notre rubrique « jurisprudence »)

Dans son appréciation, le juge a manifestement été marqué par le caractère particulièrement choquant des objets litigieux mis en vente.

Toutefois, au-delà des considérations morales et éthiques, le juriste doit recentrer ses réflexions sur le droit, et constater que, sur ce point, l’ordonnance est une boîte de Pandore dangereuse à plus d’un titre.

En effet, cette affaire se distingue des litiges habituels de l’internet, dans lesquels le dommage est en quelque sorte « dirigé » contre une ou plusieurs personnes (diffamation, contrefaçon, usage frauduleux d’un instrument de paiement, etc.).

En pareilles hypothèses, il est justifié que la victime saisisse son juge et que celui-ci se déclare compétent.

Tel n’est pas le cas dans l’affaire Yahoo! : les enchères litigieuses n’étaient nullement dirigées vers le public français (enchères essentiellement de proximité, offres en dollars américains, langue anglaise, disproportion entre les frais d’envois et la valeur de la majorité des biens, possibilité d’enchères « nationales » quasiment sur chaque site national de Yahoo!, etc.).

En réalité, le litige ne présentait que deux critères de rattachement avec la France : d’une part, le site était accessible à partir de la France, et d’autre part, les plaignants français étaient choqués par la banalisation du nazisme que ces enchères sous-tendent.

Si l’on fait abstraction du premier critère de rattachement – qui va de soi sur le web – il reste la désapprobation d’un plaignant français à l’égard d’un discours, dont il n’est pas contesté qu’il est une infraction en France, mais qui est en revanche légal aux Etats-Unis en vertu du premier amendement de la Constitution américaine.

Si pareille jurisprudence faisait des émules ailleurs, l’on verra peut-être un jour un tribunal saoudien, saisi par une association religieuse locale, interdire la promotion d’alcool sur un site français consacré aux vins de Bordeaux…

Il n’y a pas si longtemps, rappelons qu’à l’occasion d’un « conflit de valeurs » similaire, le monde occidental s’est mobilisé en faveur d’un célèbre écrivain condamné à mort par un tribunal religieux iranien pour l’écriture d’un livre jugé « hérétique » selon loi cornanique…

Par ailleurs, d’un point de vue plus pragmatique, l’ordonnance française devra passer par une procédure d’exequatur aux États-Unis, dont l’issue est quasiment certaine : constatant que la décision est contraire au premier amendement de la Constitution américaine, le juge américain refusera de lu donner force exécutoire sur son territoire…

Vers un nouveau critère de rattachement ?

La Confèrence de La Haye sur le droit international privé a récemment élaboré un avant-projet de Convention internationale sur la compétence juridictionnelle, dont l’article 10 reprend, dans son principe, le critère du lieu du fait dommageable tel qu’il a été interprété par la Cour de Justice, mais en introduisant une limitation importante : le tribunal du lieu de survenance du dommage ne sera pas compétent si le défendeur établit que « la personne dont la responsabilité est invoquée ne pouvait raisonnablement prévoir que l’acte ou l’omission était susceptible de produire un dommage de même nature dans cet État ».

Transposée aux activités de l’internet, cette limitation pourrait être invoquée pour prévenir certains excès de compétence.

Ainsi, il pourrait être défendu qu’un site américain ne pouvait raisonnablement prévoir qu’une activité licite dans son pays et conçue essentiellement pour le public américain violerait une loi française et causerait un préjudice à un résident français.

Il en irait bien entendu autrement si le site litigieux a été délocalisé dans un pays où l’activité est licite ou a été configuré de manière à donner l’impression que le site cible un autre public dans le seul but d’échapper à la loi dont la violation fonde l’action en réparation de la victime. Dans ce cas, la fraude à la loi pourra être invoquée.

Une réserve devrait également être retenue dans l’hypothèse où l’activité licite dans le pays d’origine cible une ou plusieurs personnes déterminées et leur cause fautivement un dommage selon le droit du pays de destination. Dans ce cas, l’activité étant spécifiquement dirigée, le responsable pouvait raisonnablement prévoir la survenance d’un dommage.

Le critère de « prévisibilité du dommage » préconisé par la Conférence de La Haye est proche du critère de « destination » proposé par d’autres instances internationales, et dont le droit américain connaît certaines applications, notamment en matière de compétence pénale (théorie des « minimum contacts »).

Dans un document de réflexion établi en novembre 1999 et relatif à l’utilisation des marques sur l’internet , le Bureau International de l’OMPI a préconisé d’adopter un critère de destination, à savoir que les tribunaux d’un Etat ne devraient être compétents que si l’auteur des faits litigieux a eu l’intention que ceux-ci produisent des effets dans le pays où la contrefaçon est invoquée, ou à tout le moins que les effets produits aient été prévisibles pour lui.

Dans le même sens , mais en matière d’offres de produits et services financiers via Internet, l’Organisation Internationale des Commissions de Valeur (OICV), regroupant les autorités de régulation des principaux pays industrialisés, a adopté une recommandation, dans laquelle elle préconise aux autorités bancaires et financières de n’exercer leur juridiction sur des sites étrangers qu’en fonction de certains critères de compétence, en particulier le critère de destination ( voir notre dossier sur l’offre de services et produits financiers)

En vertu de ce critère, le régulateur est en droit de s’estimer compétent si l’offre peut raisonnablement et objectivement être considérée comme adressée aux citoyens de sa juridiction. Les facteurs envisagés à cet égard par l’OICV tiennent principalement au contenu du site (langue utilisée, référence à une monnaie locale, présence d’un disclaimer etc.), à son caractère passif ou actif et à la facilité d’accès à la transaction.

En France, dans une affaire de diffamation par Internet, un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 novembre 1999 a ouvert la voie à la consécration jurisprudentielle du critère de destination : « Il convient de créer une prévisibilité pour l’auteur des propos. Celle-ci ne peut naître que du rattachement de la loi à un principe objectif et non à ce que chaque ordre juridique national prétend se donner comme compétence, ce qui peut exposer à toutes les incertitudes. Au premier rang des repères objectifs, et maîtrisables pour l’auteur des propos, figure le lieu du site sur lequel ils sont publiés, à l’inverse du lieu de réception qui est aléatoire. »

Limites du critère de destination

L’affaire Yahoo! pose le problème fondamental de la contradiction et de la confrontation par réseau mondial interposé des valeurs jugées fondamentales par les ordres juridiques concernés.

S’il est indubitablement raisonnable de limiter la compétence du juge par référence au critère de destination dans le cas de violations de lois régissant, par exemple, les pratiques du commerce, la protection du consommateur, les marques, la défense de la langue nationale ou la publicité, il sera certainement plus âpre pour un tribunal, fût-ce sur un plan moral, de renoncer à sa compétence lorsqu’il est saisi d’une action fondée sur la violation d’une règle relevant des principes fondamentaux de son ordre public.

A l’heure des réseaux mondiaux, ce problème restera toutefois insoluble tant que tous les États ne partageront pas les mêmes valeurs fondamentales, notamment en matière de liberté d’expression. D’aucuns diront néanmoins qu’il s’agit d’une douce utopie …

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