Responsabilité des moteurs de recherche : les hostilités ont commencé …
Publié le 28/01/2001 par Thibault Verbiest
L’actualité judiciaire récente confirme l’avènement d’un nouveau contentieux que nous avions annoncé il y a plus de deux années déjà : celui de la responsabilité des moteurs de recherche (voir sur ce site notre dossier Entre bonnes et mauvaises références. A propos des outils de recherche sur internet »). En effet, dans plusieurs affaires qui ont…
L’actualité judiciaire récente confirme l’avènement d’un nouveau contentieux que nous avions annoncé il y a plus de deux années déjà : celui de la responsabilité des moteurs de recherche (voir sur ce site notre dossier Entre bonnes et mauvaises références. A propos des outils de recherche sur internet »).
En effet, dans plusieurs affaires qui ont éclaté en Inde, aux Pays-Bas, et en France, des moteurs de recherche ont vu leur responsabilité mise en cause en raison soit du contenu illicite dc sites référencés soit en raison du référencement par liens profonds.
Responsabilité en raison du contenu illicite de sites référencés : les affaires Alta Vista (France) et Rediff.com (Inde)
Dans la première affaire, le politicien Bertrand Delanoe a assigné les sociétés propriétaires d’un site à caractère pornographique dont l’adresse reproduisait sans autorisation son nom, ainsi que la société Alta Vista qui référençait le site litigieux sur son moteur de recherche sur le fondement de l’article 1384 du code civil. Dans une ordonnance du 31 juillet 2000 , le tribunal a rejeté la demande sur ce dernier point, estimant qu’il s’agissait d’un débat relevant du juge du fond.
La presse en ligne rapporte qu’en Inde des poursuites pénales ont été initiées en décembre 2000 à l’encontre des dirigeants d’une société gestionnaire d’un moteur de recherche (Rediff.com) du chef de complicité de diffusion de « matériel pornographique » mettant en scène des mineurs.
En effet, un étudiant indien avait porté plainte après avoir constaté que des sites pédophiles étaient référencés dans la base de données du moteur.
Ainsi que nous l’avons déjà relevé dans une précédente chronique (« Portails : services de recherche et risques juridiques »), il nous semble qu’une source d’inspiration devrait être trouvée à cet égard dans le régime de responsabilité des hébergeurs tel qu’institué par la directive européenne sur le commerce électronique.
La responsabilité des moteurs de recherche sous l’angle de la concurrence déloyale : les affaires Kranten.com (Pays-Bas) et Keljob (France)
Dans la première affaire, le tribunal d’arrondissement de Rotterdam a refusé, par décision du 22 août 2000, de condamner le moteur de recherche Kranten.com, qui était poursuivi par plusieurs journaux en ligne néerlandais.
Kranten.com est un moteur de recherche qui indexe des articles de presse, en reproduisant le titre des articles, et en renvoyant par lien profond vers l’article en question.
Les journaux en ligne prétendaient qu’il s’agissait d’un acte de concurrence déloyal dans la mesure où les liens profonds contournaient leur page d’accueil, où sont placés la plupart des bannières publicitaires.
Ce litige rappelle à l’évidence les affaires américaines Total News et News Index que nous avons déjà commentées (voir notre chronique « Liens Liens hypertextes : quels risques juridiques pour les opérateurs de sites web ? », sur Juriscom.net).
Le tribunal rejette la demande aux motifs que :
- les sociétés demanderesses n’établissent pas un préjudice. Au contraire, les liens profonds créés par le moteur de recherche sont de nature à apporter du trafic supplémentaire. Le tribunal néerlandais s’inscrit dans un courant jurisprudentiel américain qui refuse de considérer tout lien profond comme illégal et exige la preuve d’un préjudice réel (perte de trafic entraînant une perte de revenus publicitaires etc..). Par exemple, dans une affaire mettant en cause un moteur de recherche « graphique » (www.ditto.com), par arrêt du 15 décembre 1999, la Cour fédérale du District Central de Californie a jugé que le référencement par liens profondcs de pages web reproduisant des « imagettes » n’était pas illégal car le demandeur n’établissait une perte de trafic ou tout autre préjudice matériel.
- si les sociétés demanderesses se plaignent d’un contournement de leur page d’accueil où sont placées des bannières publicitaires, rien ne leur empêche de placer les bannières également sur les pages profondes.
- il existe des techniques simples qui permettent d’exclure toute forme de liens profonds. L’on pense notamment aux protocoles d’exclusion des moteurs de recherche de type « robot.txt » ou certaines programmations html des pages web de type « frameset ». Or, relève le tribunal, les sociétés demanderesses n’ont pas fait usage de ces techniques. Cette thèse est fondamentale, dans la mesure où elle ouvre la voie à la consécration jurisprudentielle de la licence implicite de « référencer » ou de créer des liens profonds, à l’instar de la licence implicite de lier consacrée par la netiquette et défendue de longue date par le doctrine.
En effet, ce genre de raisonnement pourrait mener à considérer que celui qui ne programme pas son site pour exclure l’indexation par tel moteur de recherche, ou l’établissement de liens profonds par un tiers, est présumé avoir donné son consentement. Le même raisonnement pourrait être suivi en matière de framing, pour lequel il existe également des techniques d’exclusion. L’avenir dira si les tribunaux suivront cette voie intéressante.
La décision « Kranten.com » est disponible en ligne en néerlandais et en traduction anglaise .
En France, dans une décision du 26 décembre 2000 (disponible sur Juriscom.net avec commentaire de Lionel Thoumyre), le Tribunal de commerce de Paris a ordonné, sous astreinte de 50 000 FF par jour de retard, à la société Keljob, qui exploite un moteur de recherche d’emploi gratuit, de cesser de présenter les pages du site « cadresonline.com » ou leur contenu, sous une autre URL que celle du site de la société demanderesse.
La société Cadres On Line reprochait au moteur de recherche de modifier et d’altérer les codes sources de ses pages Web et de les présenter par liens hypertextes profonds sous d’autres adresses que celles du site « cadresonline.com ». La société Keljob objecte qu’aucune disposition juridique ne l’oblige à prévenir le propriétaire d’un site Internet ou d’obtenir son autorisation préalable pour établir un lien.
Le juge décide toutefois que « les dispositions de l’article L. 122-4 du Code la propriété intellectuelle, condamnent le fait de représenter une œuvre sans le consentement de son auteur » et que le « bon usage des possibilités offertes par le réseau Internet exige de prévenir le propriétaire du site cible. (…) S’il est admis que l’établissement de liens hypertextes simples est censé avoir été implicitement autorisé par tout opérateur de site Web, il n’en va pas de même pour ce qui concerne les liens dits « profonds » et qui renvoient directement aux pages secondaires d’un site cible, sans passer par sa page d’accueil « .
Le tribunal, qui fait ici manifestement référence aux principes consacrés par la netiquette, conclut :
« Attendu en conséquence que :
Toute création d’hyperliens entre les sites du réseau Internet, quelle que soit la méthode utilisée et qui aurait pour conséquence :
– de détourner ou dénaturer le contenu ou l’image du site cible, vers lequel conduit le lien hypertexte,
– de faire apparaître ledit site cible comme étant le sien, sans mentionner la source, notamment en ne laissant pas apparaître l’adresse URL du site lié, et de plus en faisant figurer l’adresse URL du site ayant pris l’initiative d’établir ce lien hypertexte,
– de ne pas signaler à l’internaute, de façon claire et sans équivoque, qu’il est dirigé vers un site ou une page Web extérieur au premier site connecté, la référence du site cible devant obligatoirement, clairement et lisiblement indiquée, notamment son adresse URL,
sera considérée comme une action déloyale, parasitaire et une appropriation du travail et des efforts financiers d’autrui, même si dans le cas d’espèce, la société KELJOB, simple moteur de recherches sur Internet, déclare ne pas exercer la même activité que la société CADRES ONLINE et ainsi ne pas être en concurrence avec elle «