Réforme du droit des contrats : quel impact sur les contrats informatiques ?
Publié le 02/10/2016 par Etienne Wery
Le juriste qui reprend le travail ce lundi matin, n’est plus le même que celui qui a quitté son bureau vendredi soir ! Ce 1er octobre 2016, est entrée en vigueur l’ordonnance du 10 Février 2016 portant réforme du droit des contrats. Le Code civil vient de subir le plus gros lifting de sa longue existence. Focus sur quelques changements susceptibles d’affecter plus particulièrement les contrats informatiques.
Le principe de la convention-loi
Tout étudiant en droit, même en première année, vous le dira : le contrat est la loi des parties. Sous cette phrase brève et apparemment anodine, se cache un monde de conséquences juridiques. En résumé : une fois que le contrat est conclu, celui-ci a entre les parties la même valeur qu’une loi. Difficile donc de ne pas exécuter ce que le contrat prévoit car violer le contrat c’est, vis-à-vis du contractant, comme violer la loi. Le juge lui-même est pareillement tenu parce que les parties ont voulu.
Bien sûr il existe des garde-fous et des limites, notamment pour protéger le consommateur réputé partie faible. Mais il n’empêche que le principe est clair : la convention-loi.
C’est dire l’importance du contrat dans notre société.
C’est dire aussitôt l’importance de la réforme qui est entrée en vigueur ce 1er octobre et qui apporte à cette matière sont plus important changement depuis le code napoléonien de 1804.
Focus sur les contrats informatiques
Nous ne pouvons naturellement pas, dans le cadre de cette actualité, aborder en détail cette importante réforme. Nous travaillons actuellement à la rédaction d’un dossier complet sur la réforme et ses impacts sur les contrats informatiques.
Nous nous limiterons ici à quelques changements majeurs, sélectionnés arbitrairement en raison de l’impact qu’ils peuvent avoir sur les contrats informatiques.
La phase pré contractuelle
La phase pré contractuelle n’avait reçu que peu d’attention dans le code napoléonien. Pourtant, elle a donné lieu à d’incroyables développements jurisprudentiels et à la création d’une véritable théorie générale pré contractuelle.
Cela résulte tout simplement du principe de réalité : dans la vraie vie, la phase pré contractuelle est très souvent source de problèmes. Les cas les plus fréquents : (i) la négociation n’aboutit pas et l’un reproche à l’autre d’avoir fait capoter les négociations ; (ii) la négociation aboutit à une contrat mais une partie se rend compte ultérieurement, qu’elle n’a pas eu connaissance à ce moment-là d’un certain nombre d’informations, et a été amenée en conséquence à prendre des décisions différentes de ce qu’elle aurait fait si elle avait été informée.
La réforme est très complète. Il y a dorénavant des règles écrites relatives aux négociations, à la promesse, à l’offre et à l’acceptation, etc.
La définition du contrat
Auparavant, le contrat était défini comme « une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ».
Dorénavant, « le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».
La référence à l’obligation de donner, faire ou ne pas faire a disparue. Quant à la convention, elle est remplacée par l’accord de volonté.
La jurisprudence en matière de contrats informatiques a souvent eu tendance à créer des régimes différents pour la prestation de services d’une part, et la livraison d’un objet matériel d’autre part. Il y avait dans cette approche une filiation très claire avec la définition du contrat puisque le Code civil lui-même invitait à la précision : « donner une chose », n’est pas du pareil que « faire quelque chose ». Les juges avaient donc pris l’habitude de réfléchir différemment selon que l’obligation en cause consiste à donner ou à faire.
Par exemple, c’est sur la base de cette jurisprudence duale que les contrats de licence ont souvent été traités différemment des contrats de vente de matériel informatique.
Il faudra voir dans le futur si cette dualité va perdurer.
Suppression de la cause et de l’objet
On a tellement écrit sur la cause et l’objet du contrat que nous n’allons pas essayer d’expliquer de quoi il s’agit. Ces deux notions obscures font partie de ces pépites au sujet desquelles les juristes arrivent à débattre pendant des heures.
Les notions disparaissent, au profit du contenu du contrat.
Gageons que cela ne va pas simplifier le débat pour autant.
La première question qu’il faudra résoudre consiste à savoir si cette double disparition signifie que la cause et l’objet n’étaient en réalité que les côtés pile et face de la même notion, à savoir le contenu du contrat ?
De façon plus concrète, la cause et l’objet étaient des notions très usitées dans le contexte de la caducité. En résumé : un contrat peut devenir caduc si un de ses éléments essentiels disparaît. Il arrivait très fréquemment que la caducité résulte de la disparition de la cause ou de l’objet du contrat. Comment par exemple continuer la maintenance sur un serveur si celui-ci disparait ? Comment va-t-on dorénavant appliquer la caducité dans ce cas ? Faudra-t-il la disparition de tout le « contenu » du contrat ou d’une partie seulement ? Autant de questions qui sont encore ouvertes.
La disparition de ces deux références risque donc, par un étonnant effet de ricochet, d’affecter également le régime de la caducité qui a, dans le contentieux informatiques, une importance pratique non négligeable.
L’imprévision
Voilà probablement un des changements les plus fondamentaux pour l’industrie informatique.
En raison des barrières technologiques, il est extrêmement fréquent que l’obligation de délivrance ne puisse pas être satisfaite. Ce n’est pas que le prestataire manque de volonté ou fasse preuve de mauvaise foi ; c’est simplement qu’on a beau tout mettre en œuvre, on y arrive pas.
Dans les contrats de prestations informatiques, ainsi que dans les contrats de développement, cette situation est extrêmement fréquente.
Jusqu’à présent, le droit se montrait intraitable. La théorie de l’imprévision n’était pas accueillie en droit français (à l’exception de certaines matières administratives).
Ce refus de reconnaître la théorie de l’imprévision découle directement de l’importance du principe de convention-loi évoqué ci-dessus. Les juges considéraient que ce serait porter une atteinte trop importante à ce principe que de s’immiscer a posteriori dans l’exécution du contrat, même si l’on constate que ladite exécution est beaucoup plus difficile/onéreuse que prévu.
Changement à 180 degrés ! L’article 1195 du Code civil introduit le principe de l’imprévision : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »
Force majeure
Le nouveau Code civil introduit la notion de force majeure contractuelle.
La force majeure n’est pas la même chose que l’imprévisibilité, même si les deux notions sont souvent traitées de manière proche, et parfois de façon subsidiaire l’une par rapport à l’autre.
Le nouvel article 1218 stipule qu’il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
On verra comment la pratique recevra cette nouvelle notion, et comment elle l’articulera avec la théorie de l’imprévision.
L’inexécution
L’inexécution était relativement peu développée dans le Code civil et la jurisprudence a pris le relais.
La réforme codifie les acquis jurisprudentiels. On trouvera dorénavant des dispositions relatives notamment à l’exception d’inexécution (Articles 1219 à 1220), l’exécution forcée en nature (Articles 1221 à 1222), la réduction du prix (Article 1223), la résolution (Articles 1224 à 1230) ou encore la réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat (Articles 1231 à 1231-7).
Quand on connait l’ampleur du contentieux informatique, on mesure l’importance de cette codification.
La bonne foi
La bonne foi est une notion centrale du Code civil. Elle vient au secours de nombreux plaideurs, notamment au niveau de l’exécution du contrat. En effet, le contrat doit être exécuté de bonne foi. Cela permet d’élargir très souvent le débat à des choses qui, bien que ne figurant pas expressément dans le périmètre contractuel, font débat.
La situation est très fréquente dans les contrats informatiques où il est parfois très difficile pour le client d’établir un cahier des charges complet. Il exprime souvent un problème et demande une solution. Dans ce cas, c’est la notion de bonne foi qui va permettre a posteriori de délimiter de façon plus précise le périmètre de ce qui doit être livré ou non.
Le rôle de la bonne foi se voit renforcé dans la réforme. On retiendra à cet égard le caractère d’ordre public de l’obligation des parties de négocier et d’exécuter le contrat de bonne foi.
Contrat négocié ou contrat d’adhésion ?
La réforme introduit une protection supplémentaire pour la partie faible, via un régime complexe en cas de déséquilibre significatif.
Cela promet de beaux débats car les parties en litige ne s’entendront évidemment pas sur la notion de déséquilibre significatif, qui n’a pas véritablement de définition.
Par ailleurs, la philosophie de la réforme consiste à introduire une différence assez nette entre les contrats négociés et les contrats d’adhésion. Très logiquement, on se montre plus sévère en cas de contrat d’adhésion.
On sait que les contrats d’adhésion sont la norme dans plusieurs industries relevant de l’informatique, à commencer par celle du logiciel ainsi que le commerce électronique.
De là à imaginer que certains préféreront dorénavant ne pas négocier le contrat proposé par le prestataire, pour pouvoir mieux invoquer ensuite le régime du contrat d’adhésion, il n’y a qu’un pas. L’avenir nous dira si cette tactique de négociation sera adoptée par certains ou non.
La durée
Alors que le Code civil était quasi muet sur la notion de durée des contrats, la réforme introduit un régime très précis sur ce thème.
Pas inutile dans une industrie qui offre encore parfois de la maintenance à vie, qui est confrontée à l’obsolescence et aux évolutions technologiques, et qui n’arrive pas toujours à prévoir à l’avance la durée de vie d’un produit.
Définition de l’écrit
Cela fait quelques années que la notion d’écrit est chamboulée et fréquemment retravaillée. La présente réforme ne fait pas exception. C’est une fois de plus l’électronique qui joue le trouble-fête.
Dans la volonté persistante d’assimiler autant que possible le papier et l’électronique, la réforme redéfinit l’écrit comme : « une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support. »
Le rapport au président de la république explique les choses de la manière suivante :
- L’article 1364 introduit ensuite le principe selon lequel la preuve d’un acte juridique peut être préconstituée par un écrit en la forme authentique ou sous signature privée. Ce texte répond à un souci de sécurité juridique, en permettant aux parties de se préconstituer une preuve de leur accord, l’écrit valant alors à titre de preuve, mais non pour la validité de l’acte.
- Les articles 1365 et 1366 reprennent les définitions de l’écrit et de l’écrit électronique des articles 1316 et 1316-1 du code civil actuel, seule la référence aux modalités de transmission, inutile car étrangères à la substance de l’écrit ainsi défini, étant abandonnée pour le premier.
- L’article 1366 reprend en outre l’affirmation du principe énoncé à l’article 1316-3 selon lequel l’écrit sur support électronique, tel qu’il le définit, a la même force probante que l’écrit sur support papier.
Au-delà des querelles juridiques, la volonté du législateur est claire. Il s’agit de réaffirmer le rôle probatoire de l’écrit : celui-ci n’est, sauf exception, pas une condition de validité de l’obligation, mais seulement un mode de preuve. Et cette preuve peut être apportée par l’écrit au sens large, c’est-à-dire y compris sous forme électronique.
L’estopel confirmé
Il n’est pas rare de voir une partie adopter une position ou une stratégie dans un litige, avant de changer de stratégie au détriment de son cocontractant et de tenter de le justifier par le contrat. Par exemple : j’accepte de me soumettre à un arbitrage alors que le contrat prévoit la compétence des juridictions de Paris puis, ayant perdu l’arbitrage, je demande l’annulation de la sentence en invoquant le contrat.
Le droit anglo-saxon n’admettait pas ce retournement de veste, connu sous le nom d’estopel : « une partie ne peut se prévaloir d’une position contraire à celle qu’elle a prise antérieurement lorsque ce changement se produit au détriment d’un tiers » (wikipedia).
En droit français, les choses étaient moins claires. Sur le principe, la Cour de cassation n’était pas contre, mais en pratique tous les juges du fond ne suivaient pas et surtout, la jurisprudence n’était pas homogène quant aux conséquences de l’estopel.
Dorénavant, les choses seront beaucoup plus claires. La matière est réglée au nouvel article 1182
Adieu article 1382
On l’aimait l’article 1382, le fondement de la responsabilité extra contractuelle. Rassurez-vous, il n’a pas disparu. Il a seulement changé de place. Vous le trouverez dorénavant à l’article 1240 du Code civil.
Plus d’infos ?
En prenant connaissance de l’ordonnance, en annexe de cette actu.
En lisant le rapport au président de la république, également en annexe de cette actu.
En consultant le mini-site du cabinet Ulys relatif au contentieux en matière informatique et de la propriété intellectuelle.
En revenant sur ce site d’ici quelques semaines pour consulter le dossier spécial que nous préparons.