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Récapitulatif des devoirs et responsabilités des intermédiaires de l’internet en droit belge

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Ce texte consacré aux devoirs et responsabilités des intermédiaires de l’internet a été présenté au séminaire Juritic (Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur) le 4 mars 2005. Bien qu’il soit signé par une juriste de l’opérateur historique, il n’engage évidemment pas ce dernier. L’analyse se réfère également à la position de l’ISPA Belgique.…

Ce texte consacré aux devoirs et responsabilités des intermédiaires de l’internet a été présenté au séminaire Juritic (Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur) le 4 mars 2005. Bien qu’il soit signé par une juriste de l’opérateur historique, il n’engage évidemment pas ce dernier. L’analyse se réfère également à la position de l’ISPA Belgique. L’ISPA est l’association nationale des fournisseurs de services internet. Elle représente principalement les fournisseurs d’accès à internet et a pour vocation la promotion des intérêts de ses membres.

A. CONTEXTE ACTUEL

1. Initiatives antérieures à la loi e-commerce

Les ISP avaient adopté certains documents avant même l’entrée en vigueur de la législation actuelle sur le commerce électronique :

1.1. Le Code de Conduite de l’ISPA

– les ISP s’engagent à prévoir dans leurs conditions contractuelles avec leurs clients une clause de « bonne conduite », càd une interdiction pour le client d’utiliser le service à des fins illicites et la possibilité pour l’ISP de prendre toute mesure utile en cas de violation par le client de son obligation de bonne conduite ;

– les ISP s’engagent à mettre à la disposition de leurs clients une adresse email destinée à recevoir les réclamations pour utilisation illégale du réseau.

1.2. Le Protocole de collaboration avec les autorités judiciaires

Ce Protocole signé le 28.05.1999 entre l’ISPA et les Ministres de Justice et des Télécoms était à l’origine conçu pour la lutte contre la pédophilie mais a, par la suite, été étendu à tout le contenu illicite.

Il prévoit que les ISP :

– informent la Federal Computer Crime Unit (ou FCCU, division de la Police Judiciaire) dès qu’ils ont connaissance d’une activité illicite sur leur réseau ;

– facilitent les plaintes pour contenu illicite en plaçant un formulaire et une adresse ad hoc pour l’envoi des plaintes soit directement à la FCCU soit via l’ISP ;

– bloquent l’accès à du contenu pédophile dès que la plainte y relative a été reçue par la FCCU (et à moins d’ordre contraire de cette dernière) par tous les moyens dont les ISP peuvent raisonnablement disposer ;

– communiquent à l’ISP(A) étranger l’information relative à du contenu illicite qui serait hébergé là-bàs.

2. Situation actuelle

Depuis l’entrée en vigueur de la loi e-commerce, on peut considérer que tous les ISP sont sensibilisés à la question du contenu illicite mais que leur interprétation de la loi n’est pas identique. Des principes et des procédures différents sont appliqués par chaque ISP.

Il faut signaler qu’à l’occasion d’un différend entre l’IFPI et Telenet, l’ISPA a publié un communiqué de presse qui reprend les lignes générales de son interprétation du cadre réglementaire relatif au contenu illicite.

En gros, l’ISPA fait la distinction entre:

– l’activité de l’ISP en tant que transporteur « mere conduit » pour du contenu qui ne fait que transiter sur son réseau ;

– l’activité de l’ISP en tant qu’hébergeur pour le contenu stocké sur ses serveurs.

Pour le contenu qu’il transporte en tant que mere conduit, la loi oblige l’ISP à informer promptement les autorités compétentes de tout contenu illicite dont il aurait connaissance.

Pour le contenu hébergé par l’ISP, la loi oblige celui-ci, d’une part à informer promptement les autorités compétentes de tout contenu illicite dont il aurait connaissance et, d’autre part, pour être exonérér de sa responsabilité, à prendre certaines mesures de blocage en conformité avec l’article 20 de la loi e-commerce.

Sur le terrain, les demandes reçues par les ISP sont très nombreuses et viennent de différents canaux. Toutefois, on peut considérer qu’elles sont de 2 types :

– demandes de blocage d’accès à un contenu dénoncé comme illicite.

– demandes d’identification de certains clients qui auraient utilisé le réseau à des fins illicites.

B. DIFFICULTES RENCONTREES EN PRATIQUE

1. Connaissance de l’activité illicite

1.1. L’article 20§1 prévoit que la responsabilité de l’ISP ne sera pas mise en cause s’il agit dès qu’il a « connaissance » de l’activité « illicite ».

On peut se demander à partir de quand l’ISP est supposé avoir cette « connaissance ». En pratique, l’ISP peut

– recevoir une plainte ;

– découvrir une activité suspecte par hasard (étant donné que, conformément à l’article 21§1, l’ISP n’a pas d’obligation de surveillance générale) ;

– découvrir une activité suspecte dans l’hypothèse où il exerce un rôle de modérateur sur des services de chat ou de forums.

L’ISP n’est pas en possession d’informations particulières lui permettant de juger de la « licéité » d’un contenu. A partir de quand un contenu doit être considéré comme illicite ? Le fait de recevoir une plainte n’implique pas nécessairement que le contenu concerné soit illicite. Il est possible que la plainte ne soit pas fondée. De plus, souvent l’illicéité n’est pas évidente, surtout en matière de violation de droits de tiers comme les droits intellectuels. Faut-il qu’un juriste examine le contenu suspect ? Faut-il que l’ISP demande de preuves pour pouvoir mieux juger ?

On constate qu’en pratique, la loi a pour effet d’imposer dans une certaine mesure à l’ISP un rôle de juge.

En pratique, Belgacom considère comme à priori fondées toutes les plaintes qui ont une apparence sérieuse (identité du plaignant, motivation suffisante, etc.). Parfois, les plaintes sont transmises au service juridique mais ceci n’est pas systématique. Lors de la réception de la plainte il est rappelé au plaignant sa responsabilité pour plainte abusive.

1.2. On peut considérer que les ISP qui offrent des services de chat, forums etc. pour lesquels ils déclarent assumer une modération, se trouvent dans une position plus délicate car ils s’engagent plus ou moins à procéder à un « nettoyage » du contenu placé par leurs clients. Si cette modération ne se fait pas de façon constante et/ou cohérente alors qu’elle est présentée comme telle, leur responsabilité pourrait plus facilement être mise en cause.

2. Transmission de la plainte aux autorités

Que l’illicéité concerne un contenu transporté en mere conduit ou hébergé chez l’ISP, ce dernier doit, dans tous les cas, en informer promptement les autorités.

La loi ne précise ni le délai, ni les modalités ni les destinataires de cette notification. Pour information, les coordonnées de contact spécifiées dans le Protocole existant ont, entretemps, changé. De plus, souvent les plaintes et/ou le contenu incriminé sont retirés dans les jours suivant la plainte, mais ce suivi n’est pas transmis aux autorités.

En pratique, après discussion informelle avec les autorités judiciaires et de police, Belgacom notifie les plaintes au Parquet de Bruxelles pour éviter de procéder à un début d’identification non autorisé par la réglementation protectrice de la vie privée lorsque les plaintes concernent ses propres clients.

Chez Belgacom, cette notification se fait :

– ut singuli et par lettre type, dans les jours qui suivent la réception de l’information sur l’illiceité par le service compétent ;

– de manière agglomérée, une fois par mois, par fichier électronique annexé à une lettre type, pour les plaintes automatisées (càd générées par des robots et relatives en principe à du contenu transmis en mere conduit).

Aujourd’hui, étant donné le manque d’effectifs des autorités compétentes et l’énorme quantité des plaintes, il est matériellement impossible à ces autorités de poursuivre.

Comme déjà expliqué, la loi a comme effet de placer l’ISP dans le rôle d’un juge. Si l’ISP ne veut prendre aucun risque, il va tout notifier aux autorités compétentes et donc surcharger celles-ci. S’il veut commencer à juger lui-même de l’illicéité du contenu, il doit, en partie, endosser le rôle naturel des autorités judiciaires.

3. Mesures de blocage

3.1. En ce qui concerne le contenu hébergé chez lui, l’ISP doit, dès qu’il a connaissance de l’illicéité, bloquer l’accès à celui-ci pour mettre sa responsabilité hors de cause (art. 20§1). La loi précise qu’une telle mesure doit se faire dans le respect de l’article 20§3. Cet article 20§3 précise qu’aussi longtemps que le procureur du Roi n’ai pas pris de décision quant aux mesures à prendre, l’ISP « peut » uniquement empêcher l’accès au contenu concerné.

Certains ISP considèrent que tant que le procureur du Roi n’a pas pris de décision, la loi leur accorde le droit de procéder au blocage mais ne les y oblige pas. Bloquer le contenu revient à prévenir les responsables qui auraient le temps de détruire des preuves, au dépens d’une future instruction.

Par ailleurs, la loi ne précise pas si le blocage doit porter sur l’ensemble de l’application dans laquelle se trouve le contenu illicite ou seulement sur la partie illicite elle-même. Suivant le principe de proportionnalité qui est un principe général de droit, on suppose que le blocage doit se faire au niveau le moins invasif possible à condition que cela puisse se faire facilement.

Enfin, la loi ne prévoit pas l’implication de la personne responsable du contenu concerné. La plupart des ISP informent leur client de la plainte reçue et l’invitent à supprimer lui-même le contenu incriminé dans les x jours.

Lorsque le contenu est hébergé chez elle, Belgacom procède comme suit :

– elle effectue une copie du contenu incriminé pour conserver des preuves en cas de poursuite judiciaire ;

– elle bloque dans les jours qui suivent l’accès au contenu ;

– elle demande au client de supprimer lui même le contenu en question dans les 5 jours ;

– si le client ne réagit pas dans ce délai, elle supprime directement le contenu ;

– si le client réagit, elle replace le contenu brièvement le temps nécessaire pour le client de le supprimer lui-même ;

– elle vérifie si le client a bien supprimé dans le délai et si pas, elle supprime elle-même le contenu.

3.2. Pour rappel, la loi prévoit que pour le contenu qui n’est pas hébergé chez l’ISP, ce dernier n’a aucune responsabilité et aucune obligation de blocage.

Outre les questions juridiques que peut poser un blocage sur une base volontaire (cf infra), il faut savoir qu’un tel blocage serait une mesure fort théorique, étant donné le peu de pouvoir qu’a l’ISP sur le contenu hébergé ailleurs et le manque d’efficacité technique des mesures de filtrage. Par example, pour le sites web, la seule chose que l’ISP pourrait techniquement faire pour du contenu qu’il n’héberge pas c’est d’empêcher ses clients de surfer sur une certaine adresse. Hors on ne supprime pas les possibilités d’accèder à cette adresse via d’autres intermédiaires ou via d’autres méthodes, la facilité de modification de cette adresse et les possibilités de son cryptage.

De plus, se pose la question de la prise en charge des coûts afférents à une telle mesure.

Pour rappel, le Protocole existant de l’ISPA prévoit que, de manière générale, l’ISP bloque l’accès à du contenu pédophile par tous les moyens dont il peut raisonnablement disposer. Jusqu’à aujourd’hui, la question de blocage d’un contenu pédophile hébergé ailleurs ne s’est pas posée.

3.3. Bloquer un contenu peut aussi mettre la responsabilité de l’ISP en cause si le blocage n’est pas justifié. La plupart des ISP gèrent une grande partie de ce risque par la voie contractuelle : ils prévoient dans les conditions générales avec leurs clients qu’en cas de découverte d’illicéité ou de réception de plainte relative au contenu hébergé chez l’ISP, ce dernier a le droit, sans aucune mise en cause de sa responsabilité, de

– bloquer immédiatement l’accès à tout ou partie du contenu hébergé ;

– exiger du client qu’il supprime lui-même l’accès à un certain contenu dans les x jours ;

– suspendre ou résilier le contrat du client, sans aucun préavis ou indemnité.

4. Qualification de rôle de l’ISP

Parfois, la question est soulevée de savoir si l’ISP agit en tant que mere conduit :

4.1. Lorsque l’ISP sous traite l’hébergement du contenu. Vu la définition de l’hébergeur prévue dans la loi (« service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service ») ce ne serait pas la propriété des serveurs, leur localisation ou l’identité de la société sous-traîtante qui a la maîtrise matérielle de l’hébergement qui sont relevants mais plutôt la relation contractuelle avec le client du service d’hébergement. Le fait donc de sous-traîter l’hébergement n’impliquerait pas que l’on perd la qualification d’hébergeur mais ce point est ouvert à la discussion.

4.2. Le fait de donner accès à des newsgroups Usenet : même si cet accès est contractualisé par les différents accords internationaux entre les ISP, l’ISPA considère que cet accès doit être qualifié de mere conduit étant donné qu’aucun contenu n’est hébergé chez l’ISP et que les newsgroups ne sont pas sélectionnés un par un.

4.3. La fourniture d’un service email. Le Ministère des Affaires Economiques a soutenu que la fourniture d’un service email pourrait être qualifié de service d’hébergement car l’ISP conserve les emails le temps pour les destinataires de les télécharger sur leur pc. Le Ministère a défendu cette position pour essayer de lutter contre le spam. En effet, l’article 21§2 par.2 prévoit que les autorités administratives compétentes peuvent exiger l’identité des clients des services d’hébergement.

Belgacom a refusé de communiquer cette information en argumentant, notamment, que les emails, même s’ils constituent du spam, ne sont pas du contenu hébergé mais du contenu transféré en mere conduit.

5. Identification des clients de l’ISP

L’identification d’un client, y inclus la simple communication d’une adresse IP ne peut se faire que sur réquisitoire des autorités judiciaires compétentes. Ce principe résulte des législation protectrices du secret des télécoms et de la vie privée.

Toutefois, l’article 21§2 par. 2 prévoit que l’identification de certains clients peut être demandée par des autorités administratives. On peut s’étonner de cette disposition qui, à notre avis, ne présente pas les caractéristiques juridiques nécessaires pour constituer une exception aux législations protectrices du secret des télécoms et de la vie privée.

C. EVOLUTION DU CONTEXTE

1. Autorégulation

1.1. Cadre juridique

La directive e-commerce (art. 16) encourage l’autorégulation du secteur, via l’adoption de codes de conduite au niveau national ou communautaire, destinés, notamment, à assurer la bonne application des articles relatifs à la responsabilité des intermédiaires.

De plus (art. 21) , tous les 2 ans, l’application concrète de ces principes est examinée au niveau de l’UE pour vérifier s’il est nécessaire d’adapter l’actuelle législation, en particulier en ce qui concerne la responsabilité pour contenu illicite.

1.2. Code of Conduct

1.2.1. Quel pourrait être le contenu d’un tel document ?

Ce document pourrait consigner un accord sur l’interprétation de certains points obscurs de la loi.

On pourrait également imaginer que ce document comporte certains engagements pris sur une base volontaire, en dehors de toute obligation légale. Mais ceci semble difficile car dans un tel cas, les parties devraient pouvoir sortir de cet accord facilement or cela semble peu réaliste.

1.2.2. Quelle serait la valeur d’un tel document ?

Avant tout, un tel code de conduite devrait s’appliquer à tous les ISP sinon il y aurait distorsion de concurrence. La participation ou l’approbation à postériori d’autres acteurs concernés comme les sociétés de gestion collective et les autorités judiciaires compétentes semble également indispensable. A cause des différents intérêts en présence, le risque est d’aboutir à un texte consensuel vidé de substance.

Ensuite, il ne faut pas perdre de vue que les acteurs en face des ISP sont principalement les sociétés de gestion collectives des droits intellectuels. Ceci risque de faire pencher la balance à l’avantage d’une certaine catégorie d’intérêts qui ne représentent pas l’ensemble des intérêts présents dans une société démocratique.

Des incertitudes juridiques entourent également un blocage de contenu en mere conduit qui serait accepté par les ISP sur une base volontaire (cf infra).

Enfin, certaines mesures ne pourraient peut-être pas être prévues dans un code de conduite. On pense à des mesures de blocage d’un contenu qui pourraient être contraires à l’article 10, par. 2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme relatif à la liberté d’opinion, la liberté de recevoir ou de communiquer des informations. Selon certains auteurs, cet article imposerait aussi des obligations à des particuliers et pas seulement aux Etats. Des exceptions à cet article ne peuvent être prévues que par une loi. Dans quelle mesure un code de conduite serait valable au regard de cet article ?

1.2.3. De manière générale, les ISP sont demandeurs d’un code de conduite et des discussions ont lieu actuellement dans différentes enceintes.

En France, les ISP ont, d’ailleurs, signé un tel Protocole validé par les autorités. Dans ce Protocole, les ISP s’engagent

– à organiser une campagne d’information anti-piratage à destination de tous leurs clients ;

– à envoyer à leurs clients qui offrent ou téléchargent des œuvres protégées et qui sont concernés par une plainte pour piratage un message d’avertissement personnalisé .

De leur côté, les ayants droits et les producteurs s’engagent

– à poursuivre en justice les violations de leurs droits ;

– à développer l’offre légale en ligne à des conditions acceptables.

Toutefois les ISP pensent qu’une telle demarche sera insuffisante si elle n’est pas accompagnée d’une stratégie commerciale adéquate de la part des ayants droits. On pense surtout à l’étendue du catalogue d’œuvres disponibles en ligne, aux prix compétitifs et à l’accès aux solutions de distribution en ligne licites pour les ayants droits indépendants.

2. Opportunités commerciales pour les ISP

2.1. Services de téléchargement licites payants

Les dernières années, plusieurs ISP offrent des services payants de téléchargement licite de musique. Ils ont donc développé un intérêt direct au développement de ces services licites et réfléchissent aussi sur des solutions pour réduire l’utilisation illicite des p2p pour l’échange de ce type de contenu.

2.2. Services payants de « filtrage » de l’Internet

– accès limité à certains sites (ex. environnement sécurisé pour les enfants) ;

– blocage de certains sites identifiés par une autorité compétente (ex. Cleanfeed BT) ;

Ces services ne comportent qu’une obligation de moyen et une responsabilité limitée pour leurs prestataires.

3. Le débat juridique se déplace

On constate que le débat juridique se déplace de la question de la responsabilité des intermédiaires vers d’autres bases juridiques qui sont invoquées pour obtenir le blocage de contenu illicite ou bien la mise en cause des véritables responsables.

On discute également d’une autre approche pour compenser les ayant-droits d’une utilisation non autorisée de leurs œuvres.

3.1. L’article 87 de la loi sur le droit d’auteur

Dans le jugement Sabam/Tiscali, la Sabam souhaite que Tiscali ne permette plus à ses clients d’accéder à des sites p2p hébergés ailleurs. On n’abordera ici que certaines questions juridiques que ce jugement pose.

La Sabam ne met pas en cause la responsabilité de Tiscali. Elle se base sur l’article 87 de la LDA. Cet article permet au juge de constater l’infraction au droit d’auteur et d’en ordonner la cessation. Comme son énoncé est général et que le juge l’a interprété à la lumière de la directive sur le droit d’auteur dans la société de l’information, l’article a pu s’appliquer à un tiers, non responsable de l’infraction.

Le juge a demandé une expertise, aujourd’hui en cours, pour savoir s’il existe des mesures de blocage des seules utilisations illicites des p2p. En effet, il ne faut pas oublier que les programmes p2p ne sont pas illicites en soi et qu’ils sont également utilisés pour des échanges licites.

Se posent ainsi des questions au sujet de l’efficacité, de la légalité et de la prise en charge des coûts de ces mesures techniques.

Tout d’abord, on peut regretter que le jugement n’évoque pas la question de l’opportunité d’un filtrage. Or une telle mesure impliquerait que l’ISP

– devrait surveiller en permanence le réseau alors que l’article 21§1 précise que l’ISP n’a aucun devoir général de surveillance du réseau ; et

– sélectionnerait le contenu qui transite sur son réseau et ne pourrait, par conséquent, plus être dans les conditions prévues par l’article 18 pour bénéficier de l’exonération de responsabilité relative à l’activité de mere conduit.

Par ailleurs, l’article 8§1 de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur dans la société de l’information prévoit expressément que les actions légales en la matière doivent être efficaces, proportionnées et dissuasives.

Une mesure qui bloquerait tout accès à des p2p risquerait d’être abusive, de violer, notamment, la présomption d’innocence et le principe de la liberté de recevoir et de communiquer des informations prévu par la Convention des Droits de l’Homme.

De plus, le problème ne serait que déplacé avec le risque que les échanges deviennent cryptés et, donc, impossibles à repérer.

Aujourd’hui, les ISP pensent qu’ils n’y a pas de solution technique qui permette de faire une distinction entre les utilisations licites et illicites des programmes p2p. Il ne faut pas oublier qu’Internet a été conçu pour pouvoir continuer à fonctionner quoi qu’il arrive.

Enfin, de telles solutions techniques ont un coût et on ne voit pas sur quelle base juridique ce coût devrait être supporté par l’ISP.

3.2. L’article 39bis du Code d’Instruction Criminelle

L’article 39bis du Code d’Instruction Criminelle prévoit que le procureur du Roi peut utiliser tous les moyens techniques appropriés pour empêcher l’accès à des données stockées dans un système informatique.

Dans quelle mesure cet article 39bis du CIC peut être utilisé comme base pour demander le blocage de sites hébergés à l’étranger ? N’est-il pas limité au blocage nécessaire pour faire la saisie des données concernées (suivant les conditions prévues dans les articles 35 et s. du CIC) ? N’est-il pas limité aux données stockées auprès de la personne qui fait l’objet de l’instruction ?

De plus, quelle serait l’efficacité d’une telle base juridique ? Les mesures de blocage qui semblent techniquement possibles pour des sites (par ex. filtrage par mots clés, blocage des sites repris sur une liste, etc.) ne sont pas efficaces : les sites bougent, changent de nom et, au pire, deviennent cryptés.

Enfin, se pose, comme supra, la question de la prise en charge du coût de ces mesures.

Par ailleurs, l’article 2 de la loi e-commerce « 77 » prévoit des possibilités de prendre de mesures à l’égard d’un site hébergé ailleurs dans l’UE et une procédure de coopération entre les Etats membres de l’UE mais –à notre connaissance- il n’a pas encore été mis en oeuvre.

3.3. Vers l’identification des responsables

On pense ici à l’affaire Verizon aux US dans laquelle les ayants droits en matière de droits intellectuels ont exigé l’identification des clients de Verizon qui auraient utilisé leurs œuvres de manière non autorisée. En Belgique, en dehors des cas spécialement prévus par la loi dans lesquels les ISP doit communiquer l’identité d’un client (réquisitoire d’une autorité judiciaire compétente), les ISP protègent l’anonymat de leurs clients tant pour des raisons commerciales que pour des raisons juridiques : en dehors des cas expressément prévus par la loi, les législations protectrices du secret des télécoms et de la vie privée interdisent à l’ISP de communiquer l’identité de ses clients.

Pour poursuivre l’internaute responsable, le plaignant doit se conformer à la procédure prévue et obtenir d’un juge d’instruction un réquisitoire à adresser à l’ISP pour que ce dernier révèle l’identité de son client et que le plaignant puisse poursuivre ce dernier en justice.

Toutefois, d’une part, les autorités judiciaires étant débordées et ne peuvent matériellement pas donner suite à toutes ces demandes et, d’autre part, on peut se demander si certains plaignants, comme les sociétés de gestion collective, n’hésitent pas à poursuivre les internautes pour éviter des désagréments à leur image auprès du public (cf. opinion publique au sujet des procès des majors US contre des particuliers).

3.4. Vers une autre forme de compensation

En ce qui concerne le contenu protégé par des droits intellectuels, certains proposent d’imposer aux internautes une redevance périodique destinée à compenser les ayant-droits de l’utilisation illicite de leurs œuvres via l’Internet. Cette redevance serait perçue par les ISP auprès de tous les clients internautes, que ceux-ci utilisent le p2p ou pas, qu’ils l’utilisent de manière licite ou pas.

A priori, une telle redevance constituerait une barrière pour le développement de la société de l’information et ne pourrait sans doute qu’être organisée par une loi vu qu’elle préjuge de l’utilisation illicite des p2p.

D. CONCLUSIONS

1. Complexité liée à la technique (internet inventé pour continuer à fonctionner) et au contexte international.

2. Complexité liée à l’équilibre à atteindre dans une société démocratique entre la liberté d’expression et la poursuite du contenu illicite.

3. Malaise des ISP quant

– au rôle de juge qu’ils doivent en pratique endosser en partie

– aux mesures éventuelles : risque d’inefficacité, question de la prise en charge des coûts

4. Autorégulation devrait respecter le principe général de proportionnalité : mesures éventuelles doivent être proportionnelles au but recherché dans une société démocratique.

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