Rapport OMPI sur les aspects IPR des noms de domaine
Publié le 13/02/1999 par Nicolas Ide
Le 23 décembre 1998, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (l’OMPI) publiait son rapport intérimaire sur les questions de propriété intellectuelle relatives aux noms de domaine. Nous profitons de la publication de ce document pour faire le point sur les importantes évolutions en cette matière. I. La privatisation de l’attribution des noms de domaine génériquesRappelons…
Le 23 décembre 1998, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (l’OMPI) publiait son rapport intérimaire sur les questions de propriété intellectuelle relatives aux noms de domaine. Nous profitons de la publication de ce document pour faire le point sur les importantes évolutions en cette matière.
I. La privatisation de l’attribution des noms de domaine génériquesRappelons qu’il existe principalement deux types de noms de domaine : d’une part les sept noms de domaine génériques (c.à.d. les adresses .com, .net, .org disponibles pour tous, ainsi que les adresses .int, .edu., .gov, et .mil réservées à certaines institutions), et d’autre part les noms de domaine nationaux au nombre de 249 (par exemple les adresses .be pour la Belgique). Alors que chaque pays établit soi-même les règles pour l’attribution de ses noms de domaine nationaux (pour la Belgique, cette compétence vient d’être transférée de la KUL à une association privée – voir actualité du 1 février 1999), l’attribution des noms de domaine génériques était la compétence exclusive de Network Solutios Inc., une organisation gouvernementale américaine.
Suite au succès mondial d’Internet, la fonction du nom de domaine a évolué. En plus d’être un instrument pratique d’organisation du réseau Internet, le nom de domaine a acquis une véritable valeur marchande. S’en sont suivis une augmentation des conflits et un mécontentement général du fonctionnement de Network Solutions Inc. Le processus de consultation international entamé en 1996 a pour but d’améliorer cette situation en privatisant l’attribution des noms de domaine génériques. L’organisation chargée de mener à bien ce processus de privatisation est l’ICANN (the Internet Corporation for Assigned Names and Numbers).
De son coté, l’OMPI est chargée de faire des recommandations à l’ICANN sur les questions de propriété intellectuelle relatives aux noms de domaine. Après deux tours de consultations entamées en juillet 1998, l’OMPI a publié son rapport intérimaire le 23 décembre 1998. Après un dernier tour de consultations régionales, dont une est prévue à Bruxelles ce 17 février 1999 (inscription possible en ligne), et suite à la communication de commentaires par toutes les parties intéressées au plus tard le 12 mars 1999, le rapport final sera publié et transmis à l’ICANN fin mars 1999.
II. Les propositions de l’OMPINous résumons ci-après les propositions les plus intéressantes de ce volumineux rapport intérimaire. Le rapport contient quatre volets.
a) Mesures de préventionUn des principaux obstacles des titulaires de droits dont la marque ou le nom commercial a été enregistré comme nom de domaine par des tiers, est le manque de données fiables identifiant ces tiers. En effet, la plupart de ces tiers sont de mauvaise foi (alors appelés des « domain name grabbers ») et prennent bien soin, dans leur contrat d’enregistrement de nom avec Network Solutions Inc., de ne fournir que des données fausses. Le titulaire doit alors enquêter sur l’identité véritable du domain name grabber avant de pouvoir agir. Quand on sait que, pour des marques de renommée, le nombre de ces enregistrements frauduleux s’élève à plusieurs par semaine (Porshe parle de plusieurs centaines en tout), on comprend mieux le « laxisme » de certains titulaires de droits, prêts à racheter les noms de domaine plutôt qu’à entamer une procédure coûteuse.
Pour remédier à ce problème, l’OMPI propose de prévoir des mécanismes de prévention, tels que l’obligation de remplir certains champs de données lors de la demande en ligne d’un nom, avec vérification pour certaines de ces données – par exemple par échange d’e-mails.
Plus radicalement, l’OMPI propose de sanctionner l’absence de données correctes par l’annulation du nom de domaine concernée. L’organisme d’enregistrement pourrait, à la demande de tout titulaire n’ayant pas pu identifier le détenteur d’un nom de domaine violant ses droits, après avoir à son tour vainement tenté de joindre le détenteur du nom, appliquer la sanction lui-même.
b) Procédure de règlement de confilts
Le problème majeur pour les titulaires de droits est l’absence d’une solution définitive en cas de conflit entre leur marque/nom commercial et un nom de domaine. Actuellement, tout ce que peut obtenir un titulaire auprès de Network Solutions Inc. est la mise « on hold » du nom de domaine qui viole ses droits, c.à.d. que ce nom ne peut plus être utilisé par aucune des parties jusqu’à ce qu’une décision judiciaire ou sentence arbitrale vienne trancher le conflit. Pour pouvoir utiliser lui-même le nom de domaine, le titulaire devra donc obligatoirement obtenir une décision ou sentence arbitrale.
Pour combler ce manque, l’OMPI propose la création d’une procédure alternative de solution de conflit de type arbitrale (appelé « Administrative Dispute-Resolution Procedure », ci-après « une « ADRP »).
De manière générale, le titulaire aura le choix entre une action judiciaire ou une ADRP. S’il choisit l’ADRP, le détenteur du nom sera obligé d’accepter la compétence de l’instance arbitrale en vertu de son contrat d’enregistrement de nom de domaine. A la différence d’une procédure arbitrale classique, une décision judiciaire aura toujours la primauté sur la décision qui est le résultat d’une ADRP (appelée « Determinations »). En d’autres mots, chaque partie garde son droit de tenter d’obtenir une décision judiciaire contraire à ces Determinations.
Quant à la procédure, l’OMPI prévoit des règles assez complexes : l’ICANN doit désigner un nombre limité de « Dispute-Resolution Service Providers », responsables pour la gestion des ADRP, et ceux-ci doivent à leur tour proposer une liste de Decision-Makers. Les parties peuvent alors choisir leur Decision-Maker de commun accord, ou à défaut d’accord, choisir chacun un Decision-Maker, à charge de ces deux-là d’élir un troisième Decision-Maker comme président.
Les Determinations qui pourront être prononcées par ces Decision-Makers peuvent être de type provisoire, telle la suspension du nom de domaine (endéans une semaine), ou de type définitif, telles l’annulation ou le transfert du nom (endéans les deux mois), mais ne peuvent consister en l’octroi de dommages et intérêts. Les frais de la procédure pourront être mis à charge de la partie condamnée.
Le conflit sera tranché conformément au droit déclaré applicable par le(s) Decision-Maker(s), en s’inspirant également d’un ensemble de Guiding Principles, à savoir des principes propres à la matière des noms de domaine et qui se dégagent des solutions généralement retenues par les tribunaux nationaux.
Enfin, contrairement à l’arbitrage classique, les Determinations seront publiées, en l’occurrence sur un site Internet spécifique.
Les marques de renommée sont bien sûr la cible privilégiée des domain name grabbers. En effet, pour ces marques, on constate, en plus de l’enregistrement de noms de domaine identiques, celui de noms similaires à la marque. Certains domain name grabbers en font leur spécialité, tel celui qui les enregistre sous le nom, bien porté mais faux évidemment, de la « Misspellers Rescue Company ». Pour remédier à ce fléau, l’OMPI propose principalement deux mesures.
Premièrement, l’OMPI souhaite créer, à l’inverse du système d’enregistrement, un système d’exclusion de noms de domaine. Ce système permettrait au titulaire d’une marque de renommée d’exclure l’enregistrement de sa marque en tant que nom de domaine, soit pour certains soit pour tous les noms de domaine génériques. L’OMPI recommande que ce système soit appliqué également aux noms de domaine nationaux.
Remarquons que, contrairement au système d’enregistrement de marques, le système d’enregistrement de noms de domaine ne connaît pas la spécification des classes de produits ou de services pour lesquels la marque est protégée. C’est la raison pour laquelle ce système d’exclusion ne peut pas être appliqué aux marques banales. En effet, seules les marques de renommée permettent au titulaire de la marque de s’opposer à tout usage de la marque pour des produits ou services non similaires.
Pour pouvoir bénéficier de ce système d’exclusion, le titulaire d’une marque de renommée doit intenter à ses frais une procédure spécifique. Les demandes d’exclusion seront publiées en ligne, ce qui permettrait à des tiers de pouvoir faire opposition à la demande. La qualité de renommée sera attribuée à la marque par un panel ad hoc de trois experts. Ceux-ci se baseront, pour décider du caractère de renommée d’une marque, sur les principes développés par le Standing Committee on Trademarks de l’OMPI, en combinaison avec des critères spécifiques à Internet, par exemple le nombre d’enregistrements frauduleux de noms de domaine identiques ou similaires à la marque. L’OMPI précise que la décision d’exclusion ne lie aucunement les tribunaux nationaux quant au caractère de renommée d’une marque.
Deuxièmement, le système d’exclusion ne permet évidemment de s’opposer qu’à l’enregistrement de noms de domaine identiques à la marque de renommée. Pour les noms similaires, le titulaire devra intenter la ADRP (voir sous b). Dans ce cas, l’OMPI propose de créer en faveur du détenteur d’une exclusion la présomption suivante : le détenteur d’une exclusion qui prouve qu’un nom est similaire à sa marque de renommée, et qu’il en subit un préjudice, obtient gain de cause, sauf justification de l’autre partie.
d) Les nouveaux noms de domaine génériquesPour des raisons d’ordre technique (saturation de certains noms de domaine génériques), commercial (augmenter la concurrence dans ce secteur en phase de privatisation) et de marketing (différence en valeur marchande), la communauté internationale souhaite la création de nouveaux noms de domaine génériques. Les 7 noms proposés sont : .firm, .store, .web, .arts, .rec, .info, .nom.
Au niveau de la propriété intellectuelle, la création de nouveaux noms va bien sûr augmenter le nombre de conflits et il sera d’autant plus utile de pouvoir bénéficier des mécanismes de protection proposés aux points a, b et c.
III. ConclusionLes propositions de l’OMPI sont aussi audacieuses que prometteuses. Elles permettront une protection de la propriété intellectuelle plus efficace et mieux adaptée au média Internet, en complément de la protection par les droits nationaux. L’émergence de Guiding Principles, la création d’une procédure de règlement de conflits faite sur mesure et d’un système d’exclusion encore inconnu en droit des marques sont autant de signes qu’on évolue vers une protection « sui generis » des noms de domaine.
Saluons aussi l’initiative belge de privatisation de notre système de gestion de noms de domaine nationaux. L’OMPI a en effet exprimé l’intérêt qu’elle porte aux pays ayant une telle expérience de privatisation, et espère pouvoir en tirer un enseignement à appliquer aux noms de domaine génériques.