Racisme sur l’internet : 16 fournisseurs d’accès assignés à Paris
Publié le 26/06/2001 par Etienne Wery
L’affaire Yahoo! fait des petits. Une association française, dont l’objet social est de lutter contre toutes les formes de racisme et en particulier le racisme sur l’internet, a en effet assigné 16 fournisseurs d’accès français à comparaître en référé devant le TGI de Paris. Objet de la demande : que les fournisseurs empêchent l’accès à…
L’affaire Yahoo! fait des petits. Une association française, dont l’objet social est de lutter contre toutes les formes de racisme et en particulier le racisme sur l’internet, a en effet assigné 16 fournisseurs d’accès français à comparaître en référé devant le TGI de Paris. Objet de la demande : que les fournisseurs empêchent l’accès à un portail américain ouvertement raciste.
Le portail américain Front14
L’internet recèle le pire et le meilleur. Avec le portail Front14, c’est le pire que l’on découvre. Ce portail offre un hébergement gratuit à tout site qui le désire, à condition qu’il soit raciste. Le message est clair :
Many White people don’t have the time and energy to put into hosting their own domain, so they join Geocities, Angelfire, etc, in an attempt to get their voices heard. But these « free » services (who bombard you with ads) have adopted an aggressive anti-White policy. We decided to provide an alternative to proud White men and women, one that would be for our White interests only.
On y trouve effectivement des centaines de sites hébergés, ouvertement racistes. Ils sont majoritairement, mais pas exclusivement, américains. Ainsi, une courte recherche permet par exemple de trouver un site « Blood & Honour Flanders », probablement belge, rédigé en flamand et en anglais.
L’action intentée
Régissant à ce contenu pour le moins choquant, J’accuse! a lancé citation contre 16 fournisseurs d’accès français, à comparaître en référé devant le TGI de Paris. Objet de la demande : que les fournisseurs empêchent l’accès à un portail américain ouvertement raciste.
L’assignation délivrée est la suivante :
Association régie par la loi du 1er juillet 1901, « J’accuse !… » -action internationale pour la justice-(AIPJ)) s’est donnée pour objectif statutaire de combattre le racisme et l’antisémitisme sous toutes ses formes et de lutter contre leur diffusion en particulier sur le réseau Internet.
Cette association se propose ainsi de défendre les intérêts moraux, l’honneur et la mémoire des victimes de génocides et crimes contre l’humanité, ainsi que d’assister ou de représenter les victimes de discriminations ethniques ou religieuses.
La société de droit américain GENERAL COMMUNICATIONS INC (CGI) est un opérateur de télécommunication offrant entre autres de nombreux services Internet, notamment d’hébergement. Les sociétés BOUYGUES TELECOM et 12 autres sont les principaux fournisseurs d’accès Internet en France et sont membres de l’Association des fournisseurs d’accès et de services Internet (AFA) ayant pour objet social de « promouvoir entre les fournisseurs d’accès à des services en ligne et au réseau Internet, membres de l’association et acteurs essentiels de la connexion à des services en ligne et au réseau Internet, une organisation commune appréhendant les enjeux et les conséquences du développement des réseaux ».
Selon les chiffres que publie cette association, 87 % des internautes Français se connectant depuis leur domicile utilisent un fournisseur d’accès membre de l’AFA (http://www.afa-france.com/html/chiffres/index.htm).
- Sur le trouble manifestement illicite :
- Le portail multi-services néo-nazi « Front 14 »
La requérante a constaté au mois de mai 2001 un fait sans précédent dans l’histoire du réseau Internet : La naissance d’un portail multiservices néo-nazi (http://www.front14.org).
La finalité proclamée de cette plate-forme d’un nouveau genre est de promouvoir la « fierté blanche », de combattre ses adversaires de tous bords, et de fournir une alternative raciale au sein d’un réseau « commerçant et multiculturel », un espace commun d’échange, de militantisme et de prosélytisme : (http://www.front14.org/indexold.htm :« Only front 14 offers free webhosting and e mail exclusively to racialists. Join today. Many White people don’t have the time and energy to put into hosting their own domain, so they join Geocities, Angelfire, etc, in an attempt to get their voices heard. But these « free » services (who bombard you with ads) have adopted an aggressive anti-White policy. We decided to provide an alternative to proud White men and women, one that would be for our White interests only. join »).
« Front Fourteen » présente en effet la singularité de regrouper ou d’abriter, en tant que tels, plusieurs centaines de sites suprémacistes xénophobes parmi les plus violents (http://www.front14.org/users.htm) et de leur offrir un large éventail de services en ligne parfaitement calibrés et ciblés, allant du courrier électronique à l’hébergement en passant par le référencement, la publicité et l’animation de site (http://www.front14.org/services.htm What You Get : When you sign up for a Front 14 account, you will receive 10 MB of webspace, and POP/Web-based Email. We also offer our users counters, guestbooks, message boards, polls, and free advertising on the Front 14 website)
Des centaines de néo-nazis américains et européens les plus actifs, dont certains sont français ou de langue française recourent actuellement à cet « ISP » particulier (http://www.front14.org/users.htm), soit momentanément : [liste de centaines de sites]
De multiples liens à des pages de même nature (http://www.front14.org/links.htm) et une aide technique à la création de sites(http://www.front14.org/faq.htm) sont par ailleurs offerts aux militants. Par exemple, pour « le Gaulois » (http://www.front14.org/le_gaulois/accueil) il est « grand temps de laisser tomber les querelles d’hommes pour enfin se mettre au service de nos idées. Pour qu’enfin les Européens vivent sur une terre Européenne délivrée de la dictature juive et de l’envahisseur islamique. »
« Le patriote 88 » (http://www.front14.org/kommandantur/derstuermer.htm ) publie une étude sur les « sous-races » où les juifs côtoient les tziganes, et où on peut lire : « Il y a trop de sites et d’association, style « Etudiant Juif de France » (qui en veulent à nos sites NS) qui on tissé leur toile. Il sera dur de nous relever, car la Ligue Internationale Juive se développe, s’autogère, s’enracine au dessus de nous. ils nous ont colonisé, nous somme les esclaves des juifs (et beaucoup n’en sont pas conscient, vu la partialité des infos données). Si les juifs avaient pour objectif de participer à notre société, de la faire avancer, d’apporter leur part, pourquoi leurs associations n’aident-elles que les juifs?? et se foutent des autres? Il sont racistes, c’est clair … »
Ce même site prétend traquer les abonnés juifs de AOL sous leurs « pseudos » en publiant une « zyk-list » (comme Zyklon), s’agissant de facto d’un fichier-juif onomastique ou réputé tel. Il promet de fournir prochainement «grâce à deux amies travaillant à AOL les numéros de CB et les adresses perso». Informée de ces faits la société AOL disait procéder à une enquête…
Il n’est pas indifférent de noter que nombre des sites évoqués plus haut sont « en construction », ce qui démontre que Front 14 est déjà internationalement connu et reconnu comme l‘incubateur du néo-nazisme sur Internet.
- L’origine du site « FRONT 14 »
Selon les vérifications accomplies :
1) le nom de domaine Front 14 a été créé et enregistré le 19 décembre 1999 sous le pseudonyme de « John Gill » renvoyant à une boîte postale située dans l’état de l’Alaska par le truchement de la société New Yorkaise REGISTER.COM-Inc, propriétaire des serveurs de noms de domaine identifiés par les numéros 209.67.50.208 (DNS 13.Register.com) et 209.67.50.209 (DNS 14.Registrer.com),
2) le « traceroute » de ce site conduit à l’ ordinateur « anchorageak » dont le nom de domaine appartient à la société GENERAL COMMUNICATIONS INC (CGI) basée, comme le titulaire du site, dans l’état d’Alaska, et dont le sigle est la racine de l’adresse e mail du contact administratif et technique du site front 14 ([email protected])…Ces indices permettent de déduire que la société GCI assure l’ hébergement du site litigieux.
- En droit
La banalisation du racisme et de l’antisémitisme comme support déclaré de services Internet est gravement attentatoire à la dignité de la personne humaine.
En tant que telle, la vente directe ou par correspondance d’objets nazis a été plusieurs fois sanctionnée par le Juge des référés à la demande de l’UEJF compte tenu de l’impérieuse et urgente nécessité de voir mettre un terme “au trouble manifestement illicite représenté par la propagation d’éléments essentiellement nazis et racistes” (UEJF C/ Librairie de l’Aencre – Ord. ref. TGI Paris 7 mai 1996), un tel commerce tendant “en effet à banaliser l’insoutenable et est de nature à troubler l’ordre public, notamment en nuisant à la bonne éducation de la jeunesse et en favorisant le racisme” (UEJF C/ Madame CARAVANO Ord.ref. TGI Paris 15 mars 1996), de telles activités “banalisent dangereusement l’horreur et assurent benoîtement un odieux prosélytisme en plein coeur de la capitale de la France” (UEJF C/ DISTRACO Ord.ref. TGI Paris 5 octobre 1995), étant encore observé que “la mise en vente de ces objets peut également, sans délai, entraîner leur utilisation qui revient à véhiculer sur un mode nostalgique le souvenir du nazisme auquel est indissociablement attachée la notion de racisme que la demanderesse combat” (UEJF C/ Société Européenne de Distribution CORNILLEAU & Cie – ordonnance du 11 juillet 1994 confirmée par un arrêt de la Cour d’Appel de PARIS du 12 mai 1995).
Cette jurisprudence était consacrée par un arrêt de Cassation le 18 mars 1999 (UEJF C/ FOURNIER) ayant élevé la banalisation du nazisme et de l’antisémitisme au rang du trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser en référé (Cassation de l’arrêt de la Cour d’Appel de PARIS le 28 février 1997 qui avait cru pouvoir juger s’agissant de la commercialisation d’épinglettes à croix gammée “qu’un objet n’est pas porteur en soi d’une idéologie et que sa commercialisation est licite si elle n’est accompagnée, ce qui en l’espèce n’est ni démontré ni même allégué, de messages de discrimination raciale ou de prosélytisme en faveur d’un régime totalitaire et criminel”).
Dernièrement, le juge des référés de ce tribunal statuant à la requête de la LICRA et de l’UEJF jugeait dans « l’affaire Yahoo » (TGI Paris – ord. Ref.. 22 mai 2000) que l’exposition en vue de leur vente d’objets nazis constituait non seulement une contravention à la loi française « mais plus encore une offense à la mémoire collective du pays, profondément meurtri par les atrocités commises par et au nom de l’entreprise criminelle nazie à l’encontre de ses ressortissants et surtout de ses ressortissants de confession juive »
L’offense que caractérise la publique mise à disposition du site Front 14, des sites qui lui sont associés, et des « services » offerts appelle les mesures conservatoires qu’il est demandé à Monsieur le Président de bien vouloir ordonner tant à l’égard du fournisseur d’hébergement qu’à l’égard des fournisseurs d’accès :
- Sur la cessation du trouble manifestement illicite :
- auprès du fournisseur d’hébergement américain
Il est constant que, étant accessible depuis le territoire de la République, le site Front 14 et, son fournisseur d’hébergement sont astreints au strict respect de la loi française et soumis à ses juridictions.
Il a été demandé en vain à la société GCI soit de cesser d’héberger le site front 14, soit d’en filtrer l’accès sur le territoire français.
- auprès des fournisseurs d’accès nationaux
Suivant courrier recommandé de son conseil du 25 mai 2001 la requérante attirait l’attention de l’Association des Fournisseurs d’Accès et de ses membres et leur demandait d’intervenir individuellement et collectivement :
« Le déferlement recherché, organisé, planifié de tels sites implique la réaction citoyenne et la responsabilité juridique de tous ceux qui, étant dûment informés, disposent des moyens effectifs d’en interdire ou en tout cas d’en restreindre l’accès.
La consultation des sites susvisés vous convaincra que leur publication sur le territoire de la République caractérise de toute évidence un trouble manifestement illicite ce que chacun a le droit et le devoir d’apprécier pour ce qui le concerne.
Il me semble important de vous signaler que les trois principaux fournisseurs d’accès suisses, SWISSCOM, SUNRISE-DIAX et TISCALINET ont dernièrement pris l’initiative de bloquer l’accès à la plate-forme « front14.org » après avoir été alertés par l’association « Enfants de l’Holocauste ».
Ma cliente vous demande, et en tant que de besoin vous met en demeure, d’examiner individuellement et collectivement la possibilité d’adopter les mêmes dispositions, comme l’exige l’éthique et selon la loi, en interdisant ou en « filtrant » l’accès …ou d’entreprendre toute mesure d’effet comparable de nature à empêcher, apaiser, limiter ou même restreindre le trouble causé à l’ordre public et aux intérêts légitimes de ma cliente auxquels est portée une atteinte grave et renouvelée.
Je demeure donc dans l’attente de votre décision sous quinzaine. Passé ce délai, je reprendrai mon entière liberté d’action… »
Pour toute réponse, suivant télécopie du 11 juin 2001, l’AFA, s’exprimant « au nom de l’ensemble des sociétés membres exerçant une activité d’accès ou de réseau », opposait une fin de non recevoir basée sur un plan plus juridique que technique :
Indiquant benoîtement n’avoir « pas connaissance d’un texte légal qui obligerait les fournisseurs d’accès à filtrer l’accès à internet », l’AFA ne craignait pas de dénier à l’autorité judiciaire le pouvoir d’ordonner un filtrage de l’accès à un ou plusieurs fournisseurs d’accès.
Pour elle, l’Internet se résumerait au « stockage et à la consultation dans un domicile privé de contenus textes audio et vidéo »…
C’est au nom de cette position éculée et dogmatique, démentie par les faits, la loi et les tribunaux, que l’AFA et ses membres prétendent tolérer et en définitive permettre (contrairement à leurs homologues Suisses) que le site « Front 14 » soit accessible par leur entremise sur le territoire de la République et qu’il le reste pour 87 % des internautes français.
Il est incontestablement du pouvoir technique des fournisseurs d’accès de condamner une adresse IP ou un serveur déterminé. Si tel n’était pas le cas, il leur reviendrait d’y remédier sauf à admettre qu’ils peuvent ne pas maîtriser la technique dont il font un commerce lucratif.
Restreindre l’accessibilité et donc la diffusion en France du site Front 14 dans des proportions significatives n’a donc rien d’utopique . Les défenderesses ne l’ont pas souhaité au stade confidentiel et non polémique de la démarche amiable de l’association requérante, ce dont elles assument la responsabilité.
Pour le reste, aucun « texte légal » n’exonère quiconque du devoir naturel d’agir, sans risque pour soit même, qui s’attache à la protection de l’intégrité physique ou morale d’autrui en présence d’une agression aussi brutale , grossière, délibérée et intolérable qu’en l’espèce.
La protection de la dignité de la personne humaine et la simple morale Républicaine exigeait beaucoup plus des fournisseurs d’accès nationaux que l’invocation incantatoire d’un hypothétique devoir de neutralité sous couvert de la « mission opérationnelle de contrôle et de prévention des infractions » qui n’appartiendrait qu’à « l’autorité de police ».
Les deux cents passagers du TGV qui assistèrent passivement au viol collectif d’une jeune femme n’auraient pu mieux dire.
- demandes communes
1) L’atteinte portée aux intérêts statutaires de la requérante commande de compléter l’injonction faite au fournisseur d’hébergement américain par des mesures propres aux fournisseurs d’accès nationaux. La combinaison de ces mesures apparaît seule de nature à garantir la cessation rapide et effective du trouble sur le territoire français compte tenu des difficultés d’exécution inhérente à l’extraterritorialité du serveur d’hébergement.
Par application de l’article 809 al 1 du NCPC, il est donc demandé à Monsieur le Président d’ordonner solidairement à la société GCI et aux sociétés défenderesses de prendre toutes les mesures de nature rendre impossible toute consultation à partir du territoire français du site Front 14 et de l’ensemble des sites utilisateurs qui s’y trouvent hébergés et/ou présentés, ceci sous une astreinte suffisamment dissuasive.
2) Accessoirement et conformément du second alinéa du même article, « J’accuse… » apparaît, en l’absence de contestation sérieuse, bien fondée à solliciter la condamnation des défenderesses :
-le fournisseur d’hébergement, pour avoir mis en ligne et maintenu le site Front 14
-les fournisseurs d’accès pour avoir laissé accessible un tel site auprès de 87% des internautes Français,
-l’AFA pour avoir justifié et pérennisé l’inaction de ses membres en agitant l’épouvantail démagogique d’un Web sous surveillance,
à lui payer chacune la somme d’un Euro symbolique à titre de dommages et intérêts provisionnels, outre une mesure de publication requise dans les termes du dispositif ci-après.PAR CES MOTIFS
Déclarer bien fondée « J’accuse !… » en son assignation,
En conséquence :
Vu l’article 809 al 1 du NCPC :
Ordonner solidairement à la société GENERAL COMMUNICATIONS INC (GCI), et aux sociétés BOUYGUES TELECOM-6E SENS, 9 TELECOM, AOL France, CHELLO BROADBAND France, CLUB INTERNET, FREE, FRESBEE, INFONIE, ISD NET, LIBERTY SURF, MAGIC ON LINE, NOOS, et FRANCE TELECOM INTERACTIVE
de prendre respectivement toutes les mesures de nature à rendre impossible toute consultation à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés situés sur ce territoire du site www.front14.org ainsi que des sites « utilisateurs » qui s’y trouvent hébergés et/ou présentés,
Ordonner la réouverture des débats sous quinzaine pour permettre aux défenderesses d’exposer contradictoirement les mesures qu’elles auront adoptées et mises en place pour se conformer à l’ordonnance à intervenir
Assortir d’ores et déjà les injonctions prononcées d’une astreinte de 20.000 Euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la signification de l’ordonnance à intervenir,
Se réserver la liquidation de l’astreinte prononcée,
Vu l’article 809 al 2 du NCPC :
Condamner chacune des défenderesses à verser à « J’accuse !… » la somme de 1 Euro à titre de dommages et intérêts provisionnels,
Ordonner la publication de l’ordonnance à intervenir par extrait dans cinq quotidiens ou hebdomadaires du choix de « J’accuse !… » dans la limite de 4000 Euros par publication aux frais avancés des défenderesses à consigner sur le compte CARPA de leurs conseils qui s’en dessaisiront sur simple présentation des devis de l’OSP,
Condamner solidairement les défenderesses au paiement de la somme de 3000 Euros en application de l’article 700 du NCPC,
Les condamner aux entiers dépens.
SOUS TOUTES RESERVES.
Sur le plan juridique
Le dossier Front14 présente une similitude évidente avec l’affaire Yahoo!. Outre que les faits impliquent chaque fois, malheureusement, des propos racistes, le « choc des valeurs » lié à l’internet est une fois de plus la cause de tous les maux : alors qu’aux USA ce contenu serait probablement considéré comme une manifestation de la liberté d’expression, il est manifestement contraire aux lois françaises sur le racisme et la xénophobie.
Le rapprochement s’arrête là car dans l’affaire Front14, ce sont les fournisseurs d’accès qui sont principalement visés. Et l’on sait que ceux-ci bénéficient d’un régime dérogatoire conformément à la directive européenne sur le commerce électronique qui sera bientôt transposée en France par la LSI.
L’article 12 de la directive prévoit en effet ce qui suit :
1. Les États membres veillent à ce qu’en cas de fourniture d’un service de la société de
l’information consistant à transmettre, sur un réseau de communication, des
informations fournies par le destinataire du service ou à fournir un accès au réseau de
communication, le prestataire de services ne soit pas responsable des informations
transmises, à condition que le prestataire :a) ne soit pas à l’origine de la transmission ;
b) ne sélectionne pas le destinataire de la transmission ; et
c) ne sélectionne et ne modifie pas les informations faisant l’objet de la
transmission.2. Les activités de transmission et de fourniture d’accès visées au paragraphe 1 englobent
le stockage automatique, intermédiaire et transitoire des informations transmises, pour
autant que ce stockage serve exclusivement à l’exécution de la transmission sur le
réseau de communication et que sa durée n’excède pas le temps raisonnablement
nécessaire à la transmission.3. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité
administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du
prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation.
C’est donc un principe de non-responsabilité qui a été créé, mais avec la possibilité, pour une juridiction agissant conformément à son système juridique, d’exiger du
prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation.
C’est donc a priori avec raison que les fournisseurs d’accès ont refusé de filtrer le contenu sur simple demande de l’association « J’accuse ! », celle-ci n’étant manifestement pas une autorité juridiciaire. Par contre, le tribunal français pourrait parfaitement leur ordonner un filtrage précis (de manière à ne pas déboucher sur une mesure de censure).
Il s’en déduit que les demandes de dommages et intérêts et de publication devraient être rejetées puisqu’il n’y a pas de faute au départ.
La situation est pourtant plus subtile. En effet, l’ampleur de l’exonération est encore floue et il paraît hasardeux d’être aussi affirmatif. Son interprétation doit en tout cas tenir compte du considérant 44 de la même directive qui précise qu’ « un prestataire de services qui collabore délibérément avec l’un des destinataires de son service afin de se livrer à des activités illégales va au delà des activités de « simple transport » ou de « caching » et, dès lors, il ne peut pas bénéficier des dérogations en matière de responsabilité prévues pour ce type d’activité ». Il reste à voir ce que l’on entend par la « collaboration délibérée », qui semble indiquer une acte positif qui fait défaut dans le cas d’espèce.
Quant à la compétence territoriale du juge parisien, elle est peu discutable à l’égard des fournisseurs d’accès français.
La situation de l’hébergeur américain est plus délicate. Le parallèle avec l’affaire Yahoo! retrouve sa pertinence puisque la plaignante demande au juge français d’ordonner à une société américaine des mesures basées sur un comportement qui est une infraction en France mais pas dans l’Etat d’origine de l’hébergeur américain.
A ce sujet, signalons que la LICRA, plaignante dans l’affaire Yahoo!, a perdu la première manche judiciaire aux USA. Elle a en effet été assignée par Yahoo! devant un juge californien, à qui il était demandé de rendre une décision déclaratoire, privant la décision française de toute effectivité aux USA. Le juge américain s’est estimé compétent et la LICRA devra donc défendre sa position en Californie. Le jugement américain est disponible sur notre site.