Qui supporte le coût d’un paiement électronique ? Le commerçant ou son client ?
Publié le 08/09/2009 par Etienne Wery , Cathie-Rosalie Joly
L’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 transpose en droit français la directive dite SEPA. Nous nous attachons ici à une question précise, triviale mais ô combien importante : avec la nouvelle ordonnance, qui paiera pour l’utilisation d’un instrument de paiement électronique ? Le fournisseur de l’instrument ? Le commerçant ? Le client final ? La banque ?
Les pratiques antérieures
Peu de pays avaient expressément réglé cette question dans un texte législatif ou règlementaire. C’est donc la pratique qui prenait le relais, le plus souvent par voie contractuelle.
Inutile de dire que dans un monde largement construit sur une pratique contractuelle, c’est bien souvent le plus fort qui impose sa règle.
Ainsi, dans le monde des cartes, les systèmes internationaux et les banques imposaient généralement aux commerçants affiliés une règle dite de « no surcharge » : il est interdit au commerçant de « surcharger », c’est-à-dire de pénaliser l’acheteur parce qu’il paye avec sa carte (p.e, le prix affiché + 3% en cas de paiement par carte).
La directive ouvre le jeu
La directive déplace le centre de gravité.
L’article 52-3 énonce que « Le prestataire de services de paiement n’empêche pas le bénéficiaire d’appliquer des frais ou de proposer une réduction au payeur pour l’utilisation d’un instrument de paiement donné. Cependant, les États membres peuvent interdire ou limiter le droit de demander des frais compte tenu de la nécessité d’encourager la concurrence et de favoriser l’utilisation de moyens de paiement efficaces. »
Il résulte de ceci que :
- La directive interdit d’interdire le surchargement : Le prestataire de services de paiement (p.e, une banque ou une société internationale de carte) n’empêche pas le bénéficiaire (p.e., le commerçant) d’appliquer des frais ou de proposer une réduction au payeur (p.e., le client du commerçant) pour l’utilisation d’un instrument de paiement donné.
- Le surchargement ne devient pas pour autant la règle, puisque les États membres peuvent interdire ou limiter le droit de demander des frais, mais ils doivent le faire compte tenu de la nécessité d’encourager la concurrence et de favoriser l’utilisation de moyens de paiement efficaces.
L’ordonnance du 15 juillet 2009
Sous le titre « Frais ou réduction pour l’usage d’un instrument de paiement donné », le code monétaire et financier issu de l’ordonnance dispose que : « Les prestataires de services de paiement (p.e., une banque ou une société internationale de carte) ne peuvent limiter contractuellement la possibilité pour un bénéficiaire (p.e., le commerçant) d’appliquer des frais ou de proposer une réduction au payeur (p.e, le client du commerçant) pour l’utilisation d’un instrument de paiement donné. Toute stipulation contraire est nulle et de nul effet ».
Il s’agit de la fidèle transposition de l’interdiction d’interdire le surchargement.
Le jeu est ainsi, en théorie, plus ouvert.
En théorie seulement, car la porte n’est pas ouverte pour autant.
Le code monétaire et financier modifié par l’ordonnance précise en effet que « Le bénéficiaire ne peut appliquer de frais pour l’utilisation d’un instrument de paiement donné », tout en prévoyant que : « Il ne peut être dérogé à cette interdiction que dans des conditions définies par décret, pris après avis de l’Autorité de la concurrence, compte tenu de la nécessité d’encourager la concurrence et de favoriser l’utilisation de moyens de paiement efficaces. »
Il faudra donc attendre les décrets pour connaître les conditions dans lesquelles les commerçants pourront surcharger.
Réflexion critique
Quelle était la volonté du législateur européen ?
Celle-ci transparaît du considérant 42 de la directive : « Afin de favoriser la transparence et la concurrence, le prestataire de services de paiement ne devrait pas empêcher le bénéficiaire de réclamer au payeur des frais liés à l’utilisation d’un instrument de paiement spécifique. Même si le bénéficiaire devrait être libre de prélever des frais pour l’utilisation d’un instrument de paiement donné, les États membres peuvent décider d’interdire ou de limiter cette pratique lorsqu’ils estiment que cela est justifié par une tarification abusive ou susceptible d’avoir une incidence négative sur l’utilisation d’un instrument de paiement donné, compte tenu de la nécessité d’encourager la concurrence et l’utilisation d’instruments de paiement efficaces. »
Ce considérant indique que l’interprétation correcte de l’article 52-3 consiste à donner entière liberté au commerçant, tout en permettant à l’Etat de supprimer ou limiter cette liberté pour autant que cette ingérence soit justifiée par la nécessité d’encourager la concurrence et de favoriser l’utilisation de moyens de paiement efficaces.
L’approche française est à l’opposé : certes ce ne sont plus les prestataires de services de paiement qui fixeront les règles, le principe légal demeure reste l’interdiction pour le commerçant de surcharger sauf si un décret l’autorise.
Faut-il ou non autoriser le surchargement ?
Il n’y a pas de réponse unique à cette question, car tout dépend d’une situation donnée et/ou d’un pays précis.
Exemple : l’interdiction de surcharge met sur un pied d’égalité des cartes très différentes : il est de notoriété publique que là où une carte à débit immédiat ne ‘prend’ généralement rien sur la transaction, une carte à débit différé ou une carte de crédit ‘prend’ de 1 à 1,5% si elle adopte une position agressive d’entrée sur le marché, tandis que Visa ou une MasterCard montent plus haut, et que American Express atteint aisément 4% voire plus. L’interdiction pénalise en quelque les cartes mois chères qui sont mises sur pied d’égalité avec les plus onéreuses, ce qui est contraire à l’intérêt du consommateur et de la saine concurrence. Par ailleurs, cela pousse indirectement à la hausse les taux d’interchange alors que ces taux déjà jugés trop hauts sont au centre d’enquêtes européennes pour abus de position dominante.
Autre exemple : au Danemark, la loi interdit aux banques de percevoir des frais auprès des commerçants pour l’encaissement des cartes de paiement émises au Danemark et interdit corrélativement, tout surchargement par les commerçants. L’interdiction se justifie ici pleinement puisque les commerçants, ne payant rien, n’ont rien à surcharger.
Autre exemple encore : dans les pays traditionnellement attachés à l’argent liquide, si le commerçant ne peut pas surcharger les opérations (minoritaires) de paiement réalisées par une carte, il doit forcément répercuter leur coût dans le prix de revient des biens vendus à tous ses clients, c’est-à-dire aussi aux opérations (majoritaires) effectuées en espèces.
Dernier exemple : on parle de surchargement, mais on peut aussi imaginer l’inverse : un souschargement motivé par le fait que l’utilisation de paiements électroniques permettrait au commerçant de réaliser une économie (p.e, self-scanning, automates ou commerce en ligne) ou de minimiser un risque (réduire la masse d’argent liquide pour des questions de sécurité).
Il faut donc se garder de conclusions hâtives tel que l’interdiction généralisée du surchargement prétendument justifiée par « l’intérêt du consommateur ». On entend l’argument souvent ; il est parfois pertinent, mais pas toujours.
Ces réflexions, et bien d’autres, figurent dans un passionnant rapport de l’Autorité française de la concurrence, rendu le 26 juin 2009 sur le projet d’ordonnance. Ce rapport remet opportunément au centre du débat les deux exigences européennes : la nécessité d’encourager la concurrence, et l’utilisation d’instruments de paiement efficaces.