Quel cadre juridique pour les films et activités sexuelles sadomasochistes ?
Publié le 07/03/2010 par Etienne Wery
Un arrêt de cassation vient de semer le trouble dans le petit monde des photos et films sadomasochistes, et au-delà dans la communauté SM. Même si ce contenu reste minoritaire dans l’ensemble des contenus adultes sur le web, les sites SM, bondage et autre « domination » doivent-il réellement s’inquiéter ?
Le sexe, cible de choix des outils de communication
On le sait, les contenus adultes ont du succès sur le web. Et parmi ceux-ci, les contenus à caractère sexuel tiennent sans aucun doute le haut du pavé.
En réalité, bien avant l’internet, aucun mode de communication n’a échappé au détournement systématique de ses finalités premières pour englober la dimension sexuelle de l’homme.
Dès que l’homme a appris à écrire, il a pris en compte sa dimension sexuelle pour l’intégrer à ce nouveau mode de communication. Partager à distance sa sexualité grâce à l’écriture est un phénomène ancien, élevé par certains auteurs au rang d’art.
Avant l’écriture, lorsque l’homme ne savait que dessiner, le sexe était déjà pour lui un inépuisable sujet d’inspiration comme le montre les fresques et sculptures retrouvées.
Chaque technologie a suivi le même schéma, qu’il s’agisse de la photo, du téléphone, du cinéma, et enfin de l’Internet.
Le sadomasochisme, entre droit pénal et vie privée
Dans les contenus adultes qui sont proposés, certains interpellent plus que d’autres. Tel est notamment le cas des contenus sadomasochistes.
Ceux-ci sont en effet à la croisée du droit pénal, et du droit inaltérable de chacun de disposer de son corps.
Du côté du droit pénal, on relèvera qu’une activité sadomasochiste peut engendrer la commission d’une infraction, à commencer par des coups et blessures, et/ou des violences, et/ou des traitements dégradants. On peut même dire que dans les films sadomasochistes, la violence et la domination (ou l’impression de violence) sont au cœur du fantasme.
Si l’on part de l’hypothèse que la « victime » est consentante, l’infraction est-elle malgré tout constituée ?
Traditionnellement, en droit pénal, le consentement de la victime n’est pas une cause de justification.
Les débats autour de l’euthanasie le montrent : sauf à disposer d’une loi ad hoc, le droit pénal poursuit le mari qui abrège les souffrances de sa femme, même si c’est à la demande de celle-ci et peu importe si le geste est, aux yeux de certains, le comble de l’amour.
Du côté de la vie privée et du droit à disposer de son corps, on relèvera qu’il n’est pas douteux que l’activité sexuelle, même si elle est habillée d’un fantasme sadomasochiste, relève de la vie privée.
L’impact du consentement de la « victime »
Quel est exactement l’impact du consentement de la victime dans les films sadomasochistes ? Telle est la question posée à la Cour de cassation française, et avant elle à la Cour d’appel de Grenoble.
Au centre des débats devant la Cour d’appel : la volonté du prévenu d’être confronté à sa « victime » afin d’établir qu’elle était consentante.
Refus de la Cour d’appel car cet élément, même s’il était établi, serait sans incidence : « la violence inhérente au tournage d’un film à caractère sadomasochiste ne pourrait être légitimé par le consentement de M.L. et ne saurait exonérer F.X. de toute poursuite ».
La Cour de cassation approuve et rejette le pourvoi, répétant les principes de base du droit pénal.
Une jurisprudence critiquable
Qu’il nous soit permis de nuancer l’enseignement de la Cour de cassation.
L’activité sexuelle, peu importe sa forme, touche à l’intimité des personnes et tombe dans la notion de vie privée.
Cette valeur supranationale trouve son assise dans l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droit de l’homme selon lequel : « toute personne a droit au respect de la vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
On sait que la Cour européenne des droits de l’homme a toujours vu dans l’article 8 une notion large, ouverte et évolutive.
La Cour strasbourgeoise a du reste déjà eu à se pencher sur l’articulation entre la vie privée et les aspects pénaux du sadomasochisme, dans une affaire où les « victimes », consentantes au départ, avaient ensuite demandé l’arrêt des ébats lorsque ceux-ci ont dégénéré.
Dans son arrêt du 17 février 2005 (Requête 42758/98 et 45558/99), la Cour a rappelé l’interprétation très large de la notion de vie privée qui englobe « les éléments tels que le sexe, l’orientation sexuelle et la vie sexuelle qui sont des composantes importantes du domaine personnel protégé par l’article 8 ».
Or, l’ingérence dans le droit à la vie privée n’est autorisé au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, que dans certaines conditions, notamment si elle est prévue par la loi, poursuit un but légitime et est nécessaire dans une société démocratique pour la poursuite de ce but.
Il restait donc à voir, selon l’expression de la Cour, « si la condamnation des requérants pouvait passer pour nécessaire, dans une société démocratique pour atteindre les buts que la loi pénale poursuit, à savoir la défense des droits et libertés d’autrui, la protection de la santé, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales. »
La Cour rappelle que l’article 8 de la convention protège le droit à l’épanouissement personnel, que ce soit sous la forme du développement personnel ou sous l’aspect de l’autonomie personnelle qui reflète un principe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de l’article 8.
Pour la Cour, il en résulte que le droit pénal doit en principe éviter d’intervenir dans le domaine des pratiques sexuelles consenties, qui relèvent du libre arbitre des individus. Il faut qu’il existe des raisons particulièrement graves pour que soit justifiés, aux fins de l’article 8 §2 de la CEDH, une ingérence des pouvoirs publics dans le domaine de la sexualité.
C’est ici que le consentement intervient, la Cour rappelant que « si une personne peut revendiquer le droit d’exercer des pratiques sexuelles le plus librement possible, une limite qui doit trouver application est celle du respect de la volonté de la victime de ses pratiques dont le propre droit au libre choix quant aux modalités d’exercice de sa sexualité doit aussi être garantie. Ceci implique que les pratiques se déroulent dans des conditions qui permettent un tel respect ce qui ne fut pas le cas. En effet, à la lumière notamment des éléments retenus par la Cour d’appel, il apparaît que les engagements des requérants visant à intervenir et à arrêter les pratiques en cause lorsque la victime n’y consentait plus, n’ont pas été respectées. DE surcroit, au fil du temps, toute organisation, tout contrôle de la situation était devenue absente. Il y a eu une escalade de violence et les requérants ont eux même avoués qu’ils ne savaient pas où elle se serait terminée ».
On le voit, la situation est nettement plus nuancée que ce qu’affirme la Cour de cassation française.
(Cass. crim., 2 déc. 2009, n° 09-82.447, disponible dans Communication – Commerce électronique, LexisNexis Jurisclasseur, Mars 2010, p. 35).