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Que faire du piratage musical ? La Belgique rêve de « son » Hadopi.

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Philippe Monfils (photo), sénateur MR, annonce le dépôt d’une proposition de loi HADOPI ‘à la belge’ : des principes similaires mais d’autres équilibres, procédures et sanctions. De son côté, Ecolo annonce le dépôt d’une loi visant à instaurer une licence légale payée par une taxe. L’expérience française fait des émules. Qu’en penser ?

On a parfois tendance à oublier le point de départ :

  • Les auteurs, compositeurs, artistes interprètes, employés des maisons de disques sont tous des êtres humains qui doivent, comme tout le monde, gagner leur vie. La culture n’est pas que passion, c’est aussi un métier. La gratuité n’existe donc pas.
  • Même lorsqu’elle semble gratuite, la culture ne l’est pas. Les festivals d’été ne sont pas gratuits : ils sont seulement financés autrement, souvent par de l’argent public.

La vraie question – triviale mais essentielle – est donc : qui paye ?

Il y a en gros deux pistes connues : le paiement par l’utilisateur ou le système mutualisé (financement par l’impôt ou une redevance appliquée à d’autres biens ou services).

L’ancien paradigme

Le modèle traditionnel de l’industrie musicale et filmographique repose sur le paiement par l’utilisateur. Cela coulait de source tant que l’œuvre était incorporée sur un support. Ce modèle a volé en éclat avec l’avènement du numérique, qui a non seulement chamboulé les bases mais aussi amplifié le problème : les copies sont faciles, en nombre illimité, sans perte de qualité et leur diffusion est aisée.

Simultanément, la culture a été perçue (sentiment subjectif mais important car c’est lui qui construit la réalité du terrain) comme étant trop chère, et/ou inique (ce modèle favoriserait les artistes dits « commerciaux à succès ») et/ou mal gérée (la rémunération jugée disproportionnée des intermédiaires). Ceci a permis l’émergence d’un sentiment de légitimité du piratage.

Le défi est donc double et la réponse doit être duale : travailler les mentalités, et repenser le modèle.

La loi HADOPI présente au moins un avantage : on n’a jamais autant parlé du piratage et de ses conséquences sur la création. Et l’on observe, petit à petit, une conscientisation collective : ne pas rémunérer la culture, c’est la condamner. Il s’agit peut-être du début de la première branche de la solution : travailler les mentalités.

Que dire alors d’une refondation du modèle, car l’un ne va pas sans l’autre ?

Le mythe de la mutualisation

Osons exprimer nos doutes : nous ne pensons pas que la mutualisation soit la solution miracle.

Il y a d’une part des obstacles subjectifs : la complexité du problème ou son ultra médiatisation justifient-elles que la collectivité prenne le relais ? La plupart des pays européens admettent sans difficulté la mutualisation des grands enjeux sociétaux (santé, justice, sécurité, etc.). Faut-il l’admettre pour la défense de ce qui reste, au final et quoi qu’on en dise, des intérêts privés ? La décision est purement politique, voire idéologique.

Il y d’autre part les écueils objectifs. Citons-en trois :

  • Si le financement est assuré par une redevance prélevée sur d’autres biens ou service (disque dur, CD vierge, accès à l’internet, etc.), le problème sera tout au plus déplacé vers un autre secteur, avec plusieurs conséquences : (i) le piratage ne cessera pas, au contraire car le sentiment d’impunité s’en trouvera augmenté, (ii) un jour ou l’autre le financement sera insuffisant et l’on se retrouve au point de départ, et (iii) comment le secteur à qui on imposera cette charge compensera-t-il celle-ci ?
  • Pour que ce financement soit perçu comme juste, il faut que l’on perçoive un lien entre le payeur et l’objet financé. On ne peut par exemple financer la culture via une taxe sur les kilomètres parcourus en voiture. Or, ce lien est rarement parfait et univoque. Taxer les supports ? Que diront ceux qui les utilisent pour autre chose que l’enregistrement des œuvres ? Taxer l’accès à l’internet ? que diront ceux qui surfent sans jamais télécharger d’œuvres ?
  • Ce système n’est viable que s’il est mondial. Que l’on crée isolément ce modèle dans un pays, et l’on verra le nombre de fichiers y augmenter exponentiellement. Cela crée aussitôt un risque aggravé de voir de plus en plus de personnes mettre des fichiers à disposition d’autres. La Belgique transformée en centre mondial de téléchargement … ? L’on a pu rêver, il y a quelques années, à des solutions techniques pour juguler ce risque (dispositifs anti-copie par exemple), mais l’actualité a montré que ces systèmes sont plus lourds que prévus et tôt ou tard dépassés et donc inefficaces.

On remarquera que si les deux premiers écueils objectifs peuvent, en théorie à tout le moins, être vaincus par une décision politique, il n’en va pas de même du troisième qui touche à la faisabilité et l’efficacité de la mesure.

Le véritable défi

Si ce n’est le modèle mutualisé, il reste à inventer autre chose.

C’est, paradoxalement, ce que devait faire la loi HADOPI en France. Elle faisait partie des accords dits de l’Elysée, qui comportaient deux voles : l’un (incitatif) consistant à la mise en place par les parties prenantes et les pouvoirs publics d’une offre légale en ligne étoffée, l’autre (répressif) consistant à sanctionner plus durement les abus.

Si la loi HADOPI a été aussi mal perçue, c’est notamment parce que la première composante de l’équation a été largement mise en veilleuse, pour ne pas dire oubliée.

Or, c’est là, nous le pensons, que se trouve la solution : dans le développement d’une véritable offre légale en ligne. Le succès commercial des iTunes, Akamusic, MyMajorCompany et autres sites de streaming légaux, démontrent que lorsqu’elle est innovante, l’offre en ligne est utilisée, rentable et ramène dans la légalité de nombreux égarés.

Il y a loin de la coupe aux lèvres : cette refondation est complexe. Bataille de formats, guerre des standards, interopérabilité des fichiers et systèmes, lutte pour la suprématie au niveau des lecteurs, dispute quant à la propriété des catalogues, découpage géographico-commercial du monde, alliance entre fournisseurs de contenus et diffuseurs, etc.

L’industrie musicale et filmographique a tellement de motifs de se quereller en interne qu’elle en oublie parfois que son premier défi est ailleurs.

Un tel comportement "cannibale" signifierait probablement la fin de cette industrie telle que nous la connaissons, car s’il est certain qu’une loi peut retarder le phénomène du téléchargement illégal, elle ne peut pas pour autant le stopper.

Mais si la loi ne peut, à elle seule, endiguer le phénomène, faut-il abandonner toute idée d’une loi, sur le modèle de l’HADOPI ou sur tout autre modèle ? Certainement pas. La nécessité d’une loi ne se mesure pas seulement à l’aune de son efficacité immédiate ou à moyen terme. Va-t-on supprimer les limitations de vitesse sous prétexte qu’un grand nombre de conducteurs ne les respectent pas ? La loi reflète un consensus social, une direction que prend une communauté de personnes à un moment donné. Si ce consensus veut que l’on donne du temps à l’industrie pour relever le formidable défi qui l’attend, une loi a du sens.

Bien entendu, la loi doit être équilibrée, respecter les valeurs qui fondent la société, limiter autant que possible les effets de la sanction aux contrevenants et non à ceux qui les entourent, et avoir un rapport coût efficacité raisonnable. Les ratés de l’HADOPI – et singulièrement de sa première version – ne signifient pas que tout est à jeter.

La loi doit aussi veiller à concilier les objectifs à court, moyen et long-terme : priver un grand nombre de personnes d’accès à l’internet ou diaboliser le réseau, aidera sans doute certains titulaires de droit, mais ne contribuera certainement pas à faire de l’Europe la société de la connaissance compétitive dont on rêve depuis le sommet de Lisbonne.

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