Quand une société d’auteurs viole la loi sur le droit d’auteur … et se fait condamner.
Publié le 17/03/2015 par Etienne Wery
Qui trop embrasse mal étreint. Insatisfaite de la loi, la Sabam a voulu faire le forcing et contraindre unilatéralement les FAI à payer une « taxe » sur les téléchargements. Mauvaise idée : le tribunal la condamne pour violation de la loi sur le droit d’auteur. La guerre entre les FAI et les sociétés d’auteur se poursuit de plus belle.
Le coup de force de la Sabam
Nous vous l’annoncions en 2011 : la Sabam, qui gère les droits d’auteur en Belgique, avait frappé un grand coup puisque sans autre base légale que ce qui existait déjà, elle avait décidé d’imposer une redevance aux FAI pour une prétendue communication au public d’œuvres protégées. C’est 30.000.000 € qu’elle espérait ainsi récupérer.
La position de la Sabam était résumée dans un communiqué : « La SABAM va demander aux différents fournisseurs d’accès à internet (FAI) de souscrire à un plan tarifaire pour la mise à disposition d’œuvres protégées sur internet via leurs réseaux.
Les FAI permettent en effet aux internautes de télécharger et d’échanger des œuvres protégées par le droit d’auteur. En cela, ils opèrent un acte de ‘communication au public’ de ces œuvres soumises aux droits d’auteurs. »
Inutile de dire que les FAI ne se sont pas exécutés.
La Sabam a donc modifié sa grille tarifaire unilatéralement, créant une redevance pour la prétendue communication au public effectuée par les FAI.
Mal lui en pris : l’Etat, chargé de surveiller les activités de la Sabam et de faire respecter la loi sur le droit d’auteur, a assigné la Sabam pour que cesse la violation de la loi que représente la modification unilatérale de la grille tarifaire.
L’affaire a fini en justice, et les FAI se sont fait une joie de s’inviter au débat.
La communication au public
En résumé, lorsqu’une œuvre a déjà fait l’objet d’une « communication au public », un nouvel acte de communication effectué selon le même mode technique ne peut être qualifié de «communication au public ».
Oui, mais …
Lorsqu’une œuvre a déjà fait l’objet d’une « communication au public », un nouvel acte de communication effectué selon le même mode technique peut malgré tout être qualifié de « communication au public » si cet acte s’effectue auprès d’un public nouveau.
Il y a donc une double grille de lecture : quel est le procédé technique utilisé (est-ce le même) ? Et quel est le public visé (est-ce le même) ?
La Cour de justice l’exprime comme ceci : « pour être qualifiée de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, une œuvre protégée doit être communiquée selon un mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés ou, à défaut, auprès d’un public nouveau, c’est‑à‑dire un public n’ayant pas été déjà pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale de leur œuvre au public. »
Exemples :
· Une chaine de TV diffuse une émission de téléréalité. Ces chaines de TV effectuent une première communication au public de ces œuvres (si, ce sont des œuvres quoi qu’on puisse penser de leur contenu). Si je tiens un hôtel et que j’installe des TV dans les chambres, est-ce que j’effectue une nouvelle communication au public ? Dans un cas comme celui-là, on va généralement considérer qu’il y a un nouveau public, et je devrai donc payer une redevance.
· Une œuvre est disponible sur internet en libre accès (par exemple la présente actualité qui est aussi une œuvre, quoi qu’on puisse penser de son contenu). Si un tiers met un lien vers ce texte, effectue-t-il une nouvelle communication au public ? La Cour de justice a dit non : « Il y a lieu de constater que, lorsque l’ensemble des utilisateurs d’un autre site auxquels les œuvres en cause ont été communiquées au moyen d’un lien cliquable pouvaient directement accéder à ces œuvres sur le site sur lequel celles-ci ont été communiquées initialement, sans intervention du gérant de cet autre site, les utilisateurs du site géré par ce dernier doivent être considérés comme des destinataires potentiels de la communication initiale et donc comme faisant partie du public pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsque ces derniers ont autorisé la communication initiale. » C’est un peu lourd mais ça revient à dire qu’il n’y a pas de nouveau public.
Le jugement rendu
Le tribunal – au fil d’une analyse relativement poussée tant sur la technique que sur le droit – rappelle que la « simple fourniture d’installation » est visée par plusieurs textes.
· La déclaration commune relative à l’article 8 du Traité OMPI selon laquelle : « Il est entendu que la simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas une communication au public au sens du présent traité ou de la Convention de Berne. »
· La directive 2001/29 sur le droit d’auteur, pour y lire au considérant 27 que « La simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de la présente directive. »
La Sabam le sait, mais prétend jouer sur la notion de « public ».
Pour elle, au moment où elle détermine les droits à payer sur la communication originaire, elle n’est pas en mesure de prendre en considération le public final c’est-à-dire celui qui, in fine, sera touché par les FAI.
Le tribunal y voit une affirmation purement unilatérale, mais aussi une thèse peu crédible (voir les points 48 et suivants du jugement).
La Sabam, enfant terrible
La Sabam s’est déjà distinguée dans le passé pour son approche très originale du droit, pas souvent couronnée de succès. Sa tactique ? La confrontation.
Elle est libre de ses choix tactiques malheureux, mais elle pose par contre une vraie question portant sur le financement de la création dans la société de l’information.
Une simple taxe, levée officiellement par l’Etat, poserait un souci comme on l’a vu en France où le gouvernement avait levé une taxe via la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision. La taxe portait sur le chiffre d’affaire des opérateurs de télécommunications (SFR, Orange, Free Bouygues Télécom) au titre de leur autorisation à fournir des services de télécommunication ( y compris l’internet et la téléphonie mobile) et était destinée à compenser le manque à gagner dû à la suppression des revenus publicitaires de la télévision publique. L’idée avait fait long feu car le 28 janvier 2010, la Commission ouvrait une procédure d’infraction contre la France à l’encontre de cette taxe en estimant qu’elle constituait en réalité « une charge administrative incompatible avec le droit européen ». Selon les règles européennes (en particulier l’article 12 de la directive relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques 2002/20/CE), « les taxes imposées aux opérateurs de télécommunications ne peuvent couvrir que certains coûts administratifs et réglementaires (essentiellement liés aux régimes d’autorisation et aux travaux de réglementation) et doivent être objectives, transparentes et proportionnées. En outre, les parties intéressées doivent aussi être consultées de manière appropriée avant toute modification des taxes imposées aux opérateurs de télécommunication ».
Autre possibilité : les systèmes du genre HADOPI (réponse graduée). On a vu que la France, qui s’y est essayée, a fini par enterrer le système ou du moins à lui retirer son aspect le plus répressif : la suspension de l’accès à l’internet.
Imposer une licence légale ? Séduisant en apparence, mais en apparence seulement. Pourquoi la collectivité doit-elle payer pour un secteur en particulier, dans lequel au demeurant tout le monde n’a pas les mêmes problèmes (il n’y a rien de commun entre une maison de disque, un producteur de concert, un artiste confirmé et un artiste débutant) ? Comment faire avec un système national voire européen, là où le problème est mondial ?
Il y a aussi la possibilité de taxer les supports. Le problème sera tout au plus déplacé vers un autre secteur, avec plusieurs conséquences : le piratage ne cessera probablement pas, au contraire car le sentiment d’impunité s’en trouvera augmenté, et un jour le nouveau financement s’avèrera insuffisant et l’on se retrouvera au point de départ ? Et puis cette question : comment le secteur à qui on imposera cette charge compensera-t-il celle-ci ?
Taxer les FAI ? On a vu que la communication au public ne le permet pas, et qu’une taxe levée par l’Etat pose d’autres problèmes. Sans compter que ces FAI ont déjà du mal, et qu’ils lorgnent eux-mêmes sur les milliards de profit que réalisent les acteurs dit OTT (over the top) façon facebook, google ou netflix qui profitent de la bande passante sans contribuer aux investissements.
Se concerter avec les FAI ? Il semblerait qu’il s’agisse d’une voie de plus en plus empruntée par les acteurs impactés par la contrefaçon en ligne, se rendant bien compte qu’à ce jour, les FAI se reposent sur un arsenal légal – que certains veulent voir évoluer (ex. En France) – qui ne leur permet pas de disposer d’eux comme ils le souhaiteraient. De nombreux accords fleurissent donc, soit à la suite d’une procédure en justice (ex. Irlande), ou de l’échec d’un projet de loi (ex. au Royaume Unis avec le Digital Economy Act qui reste au point mort et a dés lors motiver une collaboration directe entre les FAI et les ayants droit, à l’instar de la six strike policy aux Etats Unis). Mais est-ce que ces initiatives privées sont vraiment exemptes de reproches, notamment quant au respect des droits et libertés des internautes ?
On n’a donc pas fini d’en reparler.
Plus d’infos ?
En lisant le jugement rendu, en annexe.
Précisons que la décision est susceptible d’appel.