Quand peut-on s’opposer au dépôt d’une marque identique ou similaire à une marque existante?
Publié le 04/02/2014 par Etienne Wery
Le cas est fréquent : une société dépose une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’OHMI, et voit une autre société invoquer une marque antérieure pour s’opposer au dépôt postérieur. Le cas est d’autant plus fréquent que les marques communautaires ayant un rayonnement géographique large, le risque statistique portant sur l’existence d’une marque antérieure identique ou similaire, est plus important.
Le cadre juridique
D’un point de vue juridique, la matière est encadrée par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire, qui est entré en vigueur le 13 avril 2009. Ce règlement a opéré une codification du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), et l’a abrogé.
L’article 8, paragraphes 1, sous b), et 5, du règlement n° 207/2009 dispose que
« 1. Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement : […] b) lorsqu’en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire dans lequel la marque antérieure est protégée; le risque de confusion comprend le risque d’association avec la marque antérieure. […]
5. Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure au sens du paragraphe 2, la marque demandée est également refusée à l’enregistrement si elle est identique ou similaire à la marque antérieure et si elle est destinée à être enregistrée pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque, dans le cas d’une marque communautaire antérieure, elle jouit d’une renommée dans la Communauté et, dans le cas d’une marque nationale antérieure, elle jouit d’une renommée dans l’État membre concerné et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il leur porterait préjudice. »
Le paragraphe 1er nécessite la preuve d’un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire dans lequel la marque antérieure est protégée (risque de confusion qui comprend le risque d’association avec la marque antérieure.). Quant au paragraphe 5, il renvoie au profit indu tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ainsi qu’au préjudice porté à la marque antérieure.
La mise en œuvre de ce cadre juridique
Le motif de refus tiré du risque de dilution, tel que prévu à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, contribue, avec les autres motifs relatifs de refus énoncés audit article, à préserver la fonction première de la marque, à savoir sa fonction d’origine. S’agissant du risque de dilution, cette fonction est compromise lorsque se trouve affaiblie l’aptitude de la marque antérieure à identifier les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et utilisée comme provenant du titulaire de ladite marque, l’usage de la marque postérieure entraînant une dispersion de l’identité de la marque antérieure et de son emprise sur l’esprit du public. Tel est notamment le cas lorsque la marque antérieure, qui suscitait une association immédiate avec les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, n’est plus en mesure de le faire (arrêt Intel Corporation du 27 novembre 2008, C‑252/07, point 29).
C’est le plaignant qui supporte la charge de la preuve. En d’autres termes, c’est le titulaire de la marque antérieure qui invoque la protection légale, qui doit rapporter la preuve que l’usage de la marque postérieure porterait préjudice au caractère distinctif de sa marque antérieure.
On exige toutefois pas du plaignant qui le démontre un préjudice effectif, né et actuel. Il lui d’établir l’existence d’éléments permettant de conclure à un risque sérieux qu’une telle atteinte se produise dans le futur (arrêt Intel Corporation, points 37, 38 et 71).
À l’occasion de l’arrêt Intel, la cour de justice avait évoqué le risque de « modification du comportement économique du consommateur moyen » des produits ou des services pour lesquels la marque antérieure est enregistrée.
Le risque de modification du comportement économique du consommateur moyen
L’arrêt Intel n’était toutefois pas parfaitement clair sur la question de savoir si la démonstration d’une pareille modification du comportement économique du consommateur moyen est seulement un indice parmi d’autres permettant au juge de retenir le risque d’atteinte à la marque antérieure, ou si au contraire il s’agit d’un passage obligé.
Tel est l’intérêt de l’arrêt Wolf rendu par la cour de justice de l’union européenne.
La Cour commence par rappeler que « la preuve que l’usage de la marque postérieure porte ou porterait préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure suppose que soient démontrés une modification du comportement économique du consommateur moyen des produits ou des services pour lesquels la marque antérieure est enregistrée consécutive à l’usage de la marque postérieure ou un risque sérieux qu’une telle modification se produise dans le futur ».
Certes reconnaît la cour, un doute est permis à la lecture du point 77 de l’arrêt Intel, mais si elle admet le doute, c’est pour refermer aussitôt la porte. Et la cour de relever que « Le libellé de la jurisprudence précitée est explicite. Il en résulte que, sans apporter la preuve que cette condition est remplie, le préjudice ou le risque de préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure prévu à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 ne saurait être constaté. »
On ne saurait être plus clair. Lorsque l’opposition est fondée sur l’article 8, paragraphe 5, l’analyse du comportement économique du consommateur moyen est un passage obligé.
Il reste alors à définir plus précisément cette notion.
Tel est le second enseignement de l’arrêt Wolf.
La Cour y souligne que « la notion de ‘modification du comportement économique du consommateur moyen’ pose une condition de nature objective. Cette modification ne saurait être déduite uniquement des éléments subjectifs tels que la seule perception des consommateurs. Le seul fait que ces derniers remarquent la présence d’un nouveau signe similaire à un signe antérieur ne suffit pas à lui seul à établir l’existence d’un préjudice ou d’un risque de préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, dans la mesure où cette similitude ne crée pas de confusion dans leur esprit. »
Dans l’affaire qui lui était soumise, le tribunal avait constaté que le fait pour des concurrents d’utiliser des signes ayant une certaine similitude pour des produits identiques ou semblables compromet l’association immédiate que le public pertinent fait entre les signes et les produits en cause, ce qui est de nature à porter atteinte à l’aptitude de la marque antérieure à identifier les produits pour lesquels elle est enregistrée comme provenant du titulaire de ladite marque.
Cette approche est condamnée par la cour de justice qui exige « un standard de preuve plus élevé pour pouvoir constater le préjudice ou le risque de préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure, au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009. »
Pour la Cour, de telles déductions ne doivent pas résulter de simples suppositions mais reposer sur « une analyse des probabilités et en prenant en compte les pratiques habituelles dans le secteur commercial pertinent, ainsi que toute autre circonstance de l’espèce ».
La Cour de justice a donc sensiblement élevé le niveau à partir duquel le titulaire d’une marque antérieure pourra s’opposer au dépôt d’une marque postérieure identique ou similaire.
Elle le fait dans une démarche économique de plus en plus présente dans ses arrêts rendus en matière de droit des marques. Manifestement, la Cour de justice assume son approche économique puisqu’elle va jusqu’à écrire que « accepter le critère proposé par le Tribunal pourrait, par ailleurs, aboutir à une situation dans laquelle des opérateurs économiques s’approprient indûment certains signes, ce qui pourrait nuire à la concurrence. »