Publication d’une black list pour la lutte efficace contre le jeu illégal
Publié le 06/03/2012 par Thibault Verbiest, Tatjana Klaeser
Article paru dans le journal L’Echo du 7 mars 2012
La réforme législative du 10 janvier 2010 a permis l’ouverture d’un marché légal des jeux en ligne en Belgique. Cette ouverture passe par une régulation de l’offre au travers d’un contrôle accru par la Commission des Jeux de hasard (CJH). Cependant, les objectifs de protection de la santé publique et de lutte contre l’addiction au jeu reviennent à imposer aux opérateurs de jeux légaux des contraintes particulières et le respect de conditions auxquelles les opérateurs illégaux ne sont pas soumis. Ainsi, pour préserver la viabilité de l’offre légale et éviter une distorsion de la concurrence, l’offre illégale doit être sanctionnée de manière efficace. C’est dans cette optique, que la CJH a mis en place de nouvelles sanctions fondées sur la publication d’une liste noire disponible sur son site web.
Blocage des flux financiers
La CJH est parvenue à trouver un accord, le 26 octobre 2011, avec la Fédération belge du secteur financier (Febelfin) qui représente 238 institutions financières en Belgique dont elle défend les intérêts aux niveaux national et européen. Cet accord prévoit la publication, par la CJH, d’une liste noire d’opérateurs de sites jeux illégaux à transmettre aux instituts financiers, à charge pour ceux-ci de bloquer tous les transferts de capitaux depuis et vers les sites listés.
Blocage de l’accès aux sites illégaux
Le régulateur a par ailleurs signé plusieurs accords directement avec les principaux fournisseurs d’accès à internet (FAI) – Telenet, Mobistar, Base, KPN et Belgacom – en vue de bloquer, sur la base de la liste noire, l’accès aux sites web non autorisés. Ces accords n’ont pas fait l’objet d’une négociation sectorielle car la branche belge de l’ISPA (l’association des fournisseurs d’accès à internet) n’avait pas souhaité endosser la responsabilité du respect des leurs conditions par ses membres. Il n’en demeure pas moins que ces accords couvrent la plus grande partie du marché des services internet.
Liste noire
Le régulateur a finalement publié, le 8 février dernier, une première liste noire de sites de jeux interdits. La liste, mise à jour par la CJH en étroite collaboration avec la cellule de criminalité informatique de la police fédérale, devrait, à terme, inclure tout opérateur de jeux en ligne qui n’est pas repris sur la liste blanche des sites web autorisés par la CJH. En raison de la condition de licence équivalente dans le monde réel et du principe de numerus clausus des licences terrestres, la liste blanche se limitera aux opérateurs terrestres qui ont dûment obtenu une licence supplémentaire pour l’exploitation de leurs jeux en ligne. Pour le moment, les seules licences d’exploitation octroyées concernent les jeux de casino et seuls les opérateurs de jeux de casinos illégaux ont été repris sur la liste noire. Les licences d’exploitation de salles de jeux automatiques et de paris en ligne devraient toutefois être octroyées dans les prochains jours.
Efficacité des nouvelles formes de sanctions
L’efficacité des nouvelles sanctions a été critiquée au regard du fait que de nombreux opérateurs de sites illégaux sont installés à l’étranger et collaborent avec des prestataires de services qui n’ont pas conclu d’accord avec le régulateur. En outre, au niveau belge, l’origine contractuelle des nouvelles sanctions de blocage de l’accès aux sites et de gel des flux financiers a pu soulever la question de leur force obligatoire. Bien que le contenu exact des différents protocoles n’ait pas été publié, il ressort des déclarations de la CJH que leurs dispositions sont contraignantes et s’imposent aux instituts financiers et FAI concernés.
Impact sur les prestataires de services
Par ailleurs, la formulation générale de la loi sur les jeux de hasard du 7 mai 1999, telle que modifiée en 2010, englobe tous les prestataires de services, même ceux qui n’ont pas adhéré aux protocoles, lorsqu’elle interdit à quiconque de participer à un jeu de hasard, d’en faciliter l’exploitation ou d’en faire la publicité quand l’intéressé sait qu’il s’agit de l’exploitation d’un jeu de hasard ou d’un établissement de jeu de hasard non autorisé. La publication d’une liste noire sur le site web de la CJH risque d’être interprétée comme preuve de la connaissance du caractère illégal de l’opération de jeux. Ainsi, les prestataires de service risquent d’être condamnés pour complicité et punis d’une peine d’emprisonnement d’un mois à trois ans et d’une amende pouvant varier de 26 euro à 25.000 euro (à majorer des décimes additionnels et doublés en cas de récidive).
Potentiels recours en cas de poursuites
La Commission européenne avait émis, le 29 juin 2009, un avis négatif sur le projet de réforme de la loi sur les jeux de hasard reprochant au législateur d’obliger les opérateurs à avoir une licence nationale sans prendre en considération les licences déjà octroyées dans d’autres territoires de l’Union européenne. Le législateur n’a pas suivi cet avis. Une plainte a été déposée le 23 juin 2010 auprès de la Commission européenne par les deux principales associations d’opérateurs (EGBA et RGA) sur la base des principes de la liberté d’établissement et de prestation des services. Elle est actuellement en cours d’examen.
Ce sont autant d’éléments qui permettent de s’interroger sur la conformité de la loi belge avec le droit européen. Toutefois, la Cour constitutionnelle a estimé que la question avait déjà été tranchée et a refusé de soulever une question préjudicielle en ce sens auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à l’occasion de l’affaire Betfair du 14 juillet 2011.