Propos malveillant sur le Web 2.0 : diffamation ou Dénigrement ?
Publié le 27/04/2008 par Thibault Verbiest, Pascal Reynaud
Une société est victime de propos malveillants sur des sites communautaires et participatifs (blog, forum de discussion, newsgroup .). Quels sont alors les pistes juridiques pour réagir face à ces contenus ?
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Le propre du Web 2.0 est de faire éditer et écrire des contenus par des non-journalistes, souvent de manière anonyme. Dès lors, bien que l’on soit très éloigné de la déontologie qui s’applique aux professionnels de la presse, ces propos sont eux aussi indexés par les moteurs de recherche. Ils deviennent donc indéfiniment consultables sur internet.
Pour faire cesser et sanctionner son trouble, d’aucuns se tourneront instinctivement vers les dispositions très complexes de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Cependant, force est de constater que ce régime n’est pas réellement adapté au Web 2.0. D’autres préfèreront opter pour une action en dénigrement fondée sur l’article 1382 du Code civil. Pour l’entreprise victime, la première action à mener sera donc de choisir entre deux régimes radicalement différents, à savoir la diffamation ou l’injure sur le fondement de la loi de 1881 ou le dénigrement basé sur l’article 1382 du Code civil.
1. La diffamation sur internet : quel cadre juridique ?
Pour internet, le régime déjà très complexe de la diffamation issu de la loi de 1881 se conjugue avec les articles 93-2 et suivants de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.
Ce dernier texte contient des dispositions qui imposent la désignation d’un directeur de la publication. Cette obligation concerne tout service de communication au public par voie électronique et notamment les sites web 2.0 (Lorsque le service est fourni par une personne physique, le directeur de la publication sera cette personne physique).
La désignation d’un directeur de la publication permet d’appliquer le principe dit de la « responsabilité en cascade ». Ce mécanisme détermine la chaine des responsabilités… En premier lieu, le directeur de la publication sera l’auteur principal du délit de diffamation, puis à défaut, l’auteur du texte, puis le « producteur » du site.
Toutefois, cette responsabilité en cascade s’applique à la condition que le message incriminé ait fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public… Et c’est bien là que ce situe la première difficulté dès lors que l’on s’intéresse au Web2.0. En effet, s’agissant de propos diffusés « en direct » sur des blogs, cette condition de fixation préalable ne semble pas formellement remplie.
De plus, la question de la distinction entre éditeur et hébergeur pour les sites du web 2.0 reste ouverte dans la mesure où la jurisprudence récente n’est pas encore stabilisée. En effet, le directeur de la publication est-il celui qui anime directement le blog ou celui qui met le site « préfabriqué » à la disposition de son animateur ? L’enjeu pour la diffamation est de taille. Cela permet de passer du statut d’auteur principal de l’infraction à celui de complice par fourniture de moyens…
Dans le cas d’espèce, tout dépendra en réalité, de la politique éditoriale retenue par le site communautaire. Notons d’ailleurs que dans le domaine voisin des atteintes à la vie privée, un site diffusant des articles signalés par les internautes, a été tenu pour responsable des informations auxquelles il donne accès dès lors qu’il opérait un véritable « choix éditorial » (TGI, Paris 26 mars 2008, Olivier M. / Bloobox Net).
A noter tout particulièrement le jugement du Tribunal de Grande Instannce de Paris pour lequel constitue "un choix éditorial" une décision relative aux contenus des fichiers mis en ligne. Mais, à l’inverse, le choix de la structure et de l’organisation des fichiers ne fait pas de DAILY MOTION un éditeur (TGI Paris, 15 avril 2008, Lafesse C/Daily Motion).
Enfin, l’anonymat des auteurs et des éditeurs est une autre difficulté à surmonter. En effet, l’éditeur « non professionnel » d’un service de communication au public en ligne peut rester anonyme à la condition de s’être identifié auprès de son hébergeur (art. 6 III de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique). Ses données personnelles sont alors couvertes par le secret professionnel de l’hébergeur.
En pratique, il faut donc souvent demander au président du Tribunal de grande instance, dans le cadre d’une procédure spécifique, d’enjoindre l’hébergeur d’identifier le responsable du site.
Face à un régime souvent opaque, on peut être tenté de porter son action sur le terrain de du dénigrement et de l’article 1382 du Code civil.
2. Dénigrement ou diffamation ?
La règle permettant de choisir entre la loi de 1881 et le dénigrement est la suivante : Si les contenus visent des produits ou des services, il faut opter pour le dénigrement. A l’inverse, si les propos malveillants visent une personne physique ou morale, c’est vers la loi de 1881 qu’il faudra s’orienter. Les abus concernant la liberté d’expression envers les personnes ne peuvent pas être poursuivis sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
Concernant le dénigrement, on rappellera brièvement que la simple critique des produits ou services est libre et ne peut donner lieu à une action sur le fondement du dénigrement. En effet, les appréciations même sévères touchant les prestations d’une entreprise sont licites.
Par exemple, la Cour de cassation a estimé que la libre appréciation de la qualité ou de la préparation des produits servis dans un restaurant est libre (Cass. 2e civ., 23 janv. 2003, n° 01-12848). Mais cette liberté de critique a ses limites. Ainsi, le dénigrement est caractérisé notamment par le manque de prudence et d’objectivité, l’absence de faits précis, ou par la partialité des propos (Cass. 2e Civ, 8 avril 2004, n° 02-17588).
Toutefois, les situations sont généralement moins tranchées. En effet, que décider, lorsque les propos visent des produits et services mais également une société identifiée ?
3. Le cas des propos visant des produits et services ainsi qu’une société identifiée
Les contenus visent souvent une société identifiée (enseigne, nom commercial, dénomination sociale, marque…) et un produit ou un service particulier.
L’intérêt d’une société victime de propos malveillant est donc de se placer sur le terrain de la responsabilité civile prévue par l’article 1382 du Code civil. Ce régime est nettement plus souple que la loi de 1881 qui multiplie les embuches procédurales.
Pourtant, force est de constater qu’au contraire, les tribunaux ont cherché à étendre le domaine de la loi de 1881 par rapport à celui de la responsabilité civile. Le but étant de protéger au maximum la liberté de la presse.
La difficulté majeure en pratique est donc de choisir le bon régime, car un mauvais choix peut avoir des conséquences désastreuses. Ainsi, si l’on a choisi la responsabilité civile alors qu’il aurait fallu se fonder sur la loi de 1881, les tribunaux requalifieront la demande et appliqueront la loi de 1881 et le régime qui en découle. En conséquence, les juges constateront que la procédure liée à la loi de 1881 n’a pas été respectée (nullité de forme de l’assignation, prescription de 3 mois etc.) et l’affaire s’arrêtera là car la victime ne pourra plus agir.
Existe-t-il un moyen d’éviter cet écueil ?
4. La raison des propos malveillants : atteinte à la concurrence ou volonté de nuire à la réputation de l’entreprise ?
Lorsque les propos malveillants visent avant tout à récupérer sa clientèle, la victime peut agir sur le terrain de l’article 1382 du code civil. La Cour de cassation dans un arrêt du 5 décembre 2006 (n° 05-17710) a en effet estimé que les propos litigieux tenus par une entreprise concurrente qui prétendait que le gérant de l’autre société établissait de « faux rapports » et de « faux certificats » relevaient de l’article 1382 du Code civil. Ces propos avaient pour objet de mettre en cause la qualité des prestations fournies par la société par une société concurrente dans le but manifeste d’en détourner la clientèle.
Quels enseignements retirer de cet arrêt ? Il faut rechercher la raison des propos malveillants. S’il y a une volonté de porter atteinte à l’honneur et à la réputation, alors il faudra viser la loi de 1881. A l’inverse, s’il ne s’agit que de récupérer de la clientèle et de nuire à la concurrence, l’action sur le fondement de l’article 1382 du Code civil est ouverte.
Il reste que les critiques malveillantes ne sont pas toujours faites par des concurrents. Dans ce cas, le choix de la loi de 1881 reste conseillé. Ainsi dans un arrêt du 27 septembre 2005 (n° 04-12.148), la Cour de cassation a opté pour la loi de 1881, dès lors que le fabricant de produit était identifié et que les faits étaient précis. En l’espèce, il s’agissait de régimes alimentaires qualifiés « d’arnaques » sur un plateau de télévision. La Cour d’appel de Paris avait jugé que les appréciations visaient les produits et services d’une entreprise commerciale et ne concernait pas la personne morale elle-même. Les juges du fond en avait déduis l’application de l’article 1382 du Code civil.
Une fois, le régime de l’action déterminé, la partie qui souhaitera agir devra encore répondre à l’ensemble des conditions de fond et de forme de son action. Là encore il faudra être particulièrement vigilent, car comme nous l’avons indiqué précédemment les exigences de la loi de 1881 sont beaucoup plus lourdes et complexes. Le succès d’une action en diffamation n’est pas nécessairement au rendez-vous.
Par exemple, dans une affaire ou un client mécontent d’un site de voyage en ligne avait publié sa lettre de contestation sur un blog en utilisant le terme « d’escroquerie », le tribunal a néanmoins jugé, aux vues des circonstances, que le client poursuivait un but légitime de contestation, exclusif de toute animosité personnelle (TGI 17e ch.,Paris, 26 nov. 2007). L’action en diffamation n’est donc pas sans risque….