Première enquête pénale pour obsolescence programmée
Publié le 29/12/2017 par Etienne Wery
Epson a-t-elle modifié ses cartouches d’encre pour imprimante, afin de raccourcir leur durée de vie et ainsi augmenter le taux de remplacement ? C’est la question à laquelle la justice française va répondre. Le parquet a ouvert une enquête préliminaire suite à la plainte de l’association HOP (halte à l’obsolescence programmée). Apple est aussi dans le viseur.
D’une intuition …
Le débat sur l’obsolescence programmée part d’un sentiment : la durée de vie des produits serait aujourd’hui moins longue que dans le passé. On a tous en souvenir une grand-mère parlant de sa machine à laver increvable, et nous adresser un sourire désolé quand on lui annonce qu’on vient d’acheter la troisième machine en dix ans.
Ce sentiment devient étonnement quand on constate que notre société n’a jamais été aussi compétente sur le plan technique : on maîtrise de nouveaux matériaux, la consommation énergétique est optimisée, la traçabilité de chaque pièce est possible, etc. Avec autant de compétences, on devrait avoir des produits plus solides que jamais.
Des deux paragraphes précédents nait alors une intuition : cet écart entre la compétence et la durée de vie (trop ?) courte du produit, serait le fruit d’une décision du fabricant en vue de forcer l’acheteur à remplacer plus vite le produit.
… À une loi
En France, la loi du 17 août 2015 sur la transition énergétique fait de l’obsolescence programmée un délit.
L’article L-441-2 créé par l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 énonce que : « Est interdite la pratique de l’obsolescence programmée qui se définit par le recours à des techniques par lesquelles le responsable de la mise sur le marché d’un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie pour en augmenter le taux de remplacement. »
Les contrevenants encourent une peine de deux ans d’emprisonnement et de 300.000 euros d’amende. Ce montant peut être porté à 5 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits et ce, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement.
Une preuve difficile
Les études en laboratoire n’excluent généralement pas l’existence de mécanismes d’obsolescence programmée, mais éprouvent le plus grand mal à en apporter la preuve, et cela pour une raison toute simple : la plupart du temps les fabricants arrivent à justifier la pratique par des raisons économiques, techniques et de prévention des risques et les explications apparaissent crédibles.
Il faut revenir aux conditions posées par la loi :
- Des techniques ;
- Une durée de vie délibérément réduite ;
- Un objectif consistant à augmenter le taux de remplacement d’un produit.
S’il est relativement aisé de prouver l’existence des techniques mises en œuvre, c’est sur les deux autres conditions que le débat devient complexe.
Est-ce que la durée de vie du produit est raccourcie par la technique constatée ? La preuve n’est pas toujours simple. Exemple concret : Apple vient de reconnaître qu’elle avait dégradé les performances des anciens iPhones à l’occasion de son dernier update logiciel. Une dégradation des performances est-elle assimilable à un raccourcissement de la durée de vie ? Pas simple.
Est-ce que l’objectif poursuivi est l’augmentation du taux de remplacement du produit ? Exemple concret. Quand un fabricant décide de remplacer un joint construit depuis des années dans un matériau X par un nouveau matériau composite Y, il est possible que la démarche s’inscrive dans le cadre de l’obsolescence programmée mais il est aussi crédible de croire l’affirmation du fabricant selon laquelle il essaie simplement de limiter les coûts de fabrication sans altérer la qualité. Dans le cas d’Apple évoqué ci-dessus, le fabricant présente comme explication une mesure de protection des batteries des modèles plus anciens. C’est probablement vrai, mais est-ce vraiment cela que la société américaine avait en tête ou a-t-elle (aussi/surtout ?) songé à l’impact de la dégradation sur ses ventes ? Pas simple.
S’il peut y avoir une explication rationnelle à la démarche, que celle-ci soit économique, technique ou de prévention des risques, il devient très difficile d’affirmer avec certitude que l’on est en présence d’un cas d’obsolescence programmée.
Un cas emblématique
L’affaire Epson est emblématique. Le fabricant d’imprimantes est accusé d’avoir mis en place un mécanisme par lequel l’utilisateur est obligé de changer la cartouche d’encre alors que celle-ci contient encore du produit et est donc susceptible d’encore réaliser des impressions.
Sur plainte de l’association HOP (halte à l’obsolescence programmée), la justice française a ouvert une enquête. L’association au aussi déposé plainte contre Apple mais rien n’a (encore) filtré à ce sujet.
Il s’agit d’une enquête préliminaire, ce qui est assez banal suite à une plainte. Il n’y a donc pas de conclusions hâtives à tirer. L’enquête a été confiée à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
L’affaire est importante pour l’association, et pour le marché en général, car il s’agit d’une première. Il sera donc extrêmement intéressant de voir comment la justice appréhendera les choses et jusqu’où elle imposera la preuve de l’intention du fabricant.
Plus d’infos ?
En lisant notre actualité précédente consacrée à l’étude récente réalisée à la demande du gouvernement belge, qui présente l’avantage de replacer la problématique dans un contexte plus large et d’envisager d’autres mesures que judiciaires.
En lisant la plainte déposée en France par l’association Hop contre Apple, disponible en annexe.
En lisant l’action collective (en réalité 1 des 9 procédures recensées à ce jour) déposée aux Etats-Unis contre Apple, disponible en annexe.