Pouvoir de santion : la CNIL doit agir en « juridiction ».
Publié le 25/05/2008 par Romain PERRAY
Dotée depuis la loi du 6 août 2004 de larges de pouvoirs de sanction, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés vient d’être considérée par le Conseil d’Etat comme une « juridiction ». Une qualification qui entraîne d emultiples conséquences.
À l’occasion de sa trentième année d’existence, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés fait parler d’elle : au niveau institutionnel d’abord, en saisissant, par exemple, le Ministre de l’Intérieur sur l’éventualité d’une réforme de la réglementation en matière de vidéosurveillance ; dans sa pratique ensuite, en l’orientant de plus en plus vers une logique répressive au détriment de sa longue tradition de pédagogie[1].
Rappelons en effet que la loi du 6 août 2004 modifiant la loi Informatique & libertés a doté la CNIL d’un véritable pouvoir de sanction, en élargissant l’éventail des mesures qu’elle peut désormais prononcer à l’encontre des organismes – aussi bien publics que privés – qui ne respectent pas leurs obligations.
Forte de ses nouvelles prérogatives, la Commission peut ainsi les mettre en demeure de s’y conformer. Surtout, et c’est là l’une des principales modifications apportées par la loi, elle a désormais la possibilité de prononcer des sanctions pécuniaires à l’encontre de ceux qui persistent à ne pas respecter la loi Informatique & libertés.
Les montants maximums prévus sont d’ailleurs substantiels, sans compter le déficit en termes d’image. Même si la CNIL n’est pas encore allée jusque là, ils peuvent atteindre 150.000 euros, voire 300.000 euros en cas de manquement réitéré ; cela, sans omettre de préciser qu’ils sont, le cas échéant, cumulables avec d’éventuelles sanctions pénales, elles, beaucoup plus lourdes (5 ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende pouvant aller, en théorie, jusqu’à 1.500.000 euros lorsque le contrevenant est une personne morale).
Par une simple ordonnance de référé rendue 19 février 2008[2], le Conseil d’État vient cependant de rendre une décision dont les conséquences pour la CNIL ne sont pas négligeables dans l’exercice de son nouveau pouvoir répressif, notamment au regard des dernières sanctions qu’elle vient de prononcer respectivement pour un montant de 10.000[3] euros et de 40.000 euros[4].
Les sanctions de la CNIL susceptibles d’être suspendues
La première conséquence de cette ordonnance est d’ordre procédural. C’est en effet la première fois que le Conseil d’État a été saisi d’une demande visant à obtenir, sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, la suspension d’une décision de sanction de la CNIL.
Bien que le juge l’ait écartée dans l’affaire en question, tout contrevenant faisant l’objet d’une telle mesure dispose désormais de la possibilité de la contester non seulement sur le fond, mais aussi par voie de référé.
Ce nouveau moyen d’action n’est pas à négliger, car il permet – à condition de prouver l’urgence et le doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée – d’en obtenir la suspension.
La CNIL désormais qualifiée de « juridiction »
La seconde conséquence de l’ordonnance rendue le 19 février est peut-être plus significative encore. Elle porte cette fois sur la nature institutionnelle de la CNIL, la première « autorité administrative indépendante » à créée en France.
Dans sa décision, le Conseil d’État semble revenir sur son ancienne jurisprudence[5] et considère désormais que la Commission, « eu égard à sa nature, à sa composition et à ses attributions » doit « être qualifiée de tribunal au sens de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales »[6].
Or, une telle qualification entraîne elle-même toute une série de conséquences sur les pratiques procédurales de la CNIL. Elle lui impose notamment qu’elle agisse comme un tribunal indépendant et impartial et que ses audiences soient – sous certaines conditions – rendues publiques.
Reconnaissons à cet égard que la Commission en avait anticipé la plupart et même qu’elle est allée au-delà des exigences de l’article 6-1, en insérant, par exemple, dans son règlement intérieur l’obligation du secret du délibéré, alors qu’elle n’y est en principe pas soumise[7].
Malgré cela, voyons surtout, à la lumière d’un autre arrêt du Conseil d’État rendu cette fois à propos des pouvoirs de sanction de l’Autorité des Marchés Financiers[8], que la CNIL risque également d’être soumise, en sa qualité de « juridiction », aux dispositions de l’article 6-3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lui imposant, par exemple de permettre à la personne contrevenante de faire auditionner des témoins.
Pour l’ensemble de ces raisons, il s’avère essentiel que la CNIL surveille avec une grande attention toute obligation supplémentaire que lui imposerait la jurisprudence, afin d’accélérer l’adaptation de ses anciennes pratiques administratives aux nouvelles exigences procédurales auxquelles elle est soumise depuis l’adoption de la loi du 6 août 2004.
[1] Voir pour des développements sur cette question : R. Perray, Quel avenir pour le pouvoir de sanction de la CNIL ?, Rev. lamy dr. immat., janv. 2008, n°34, p. 82.
[2] CE, Ord. réf., 19 févr. 2008, req. n°311974, Société Profil France.
[3] CNIL, délib., n°2007-322, 25 oct. 2007.
[4] CNIL, délib., n°2007-374, 11 déc. 2007.
[5] CE, Ass., 3 déc. 1999, Caisse de crédit mutuel de Bain-Tresboeuf.
[6] Voir pour d’autres développements : R. Perray, supra.
[7] CE, 4 févr. 2005, Société GSD et M. Gautier.
[8] CE, Sect., 27 oct. 2006, M. P. et autres, n°276069.