Pourquoi et comment protéger les mineurs impliqués dans une émission TV ou radio ?
Publié le 12/11/2007 par Etienne Wery , Geneviève de Bueger
Lorsqu’on parle de protection des mineurs dans les programmes de télévision et de radio, on songe d’abord à les protéger contre des contenus inadaptés à leur âge. Mais il y a un autre volet trop souvent oublié : la protection des mineurs qui sont eux-mêmes impliqués dans le programme. Retour sur un cadre juridique en pleine mutation.
Il y a des images qui ne se s’oublient pas. Une petite fille, âgée d’une douzaine d’années, les pieds coincés dans un éboulement suite à un tremblement de terre, qui voit l’eau lentement la submerger avec les télévisions du monde entier qui filment en direct pendant deux jours, jusqu’au moment fatidique de la noyade de la malheureuse. Ou encore ces enfants dressés comme des singes savants que les parents exhibent fièrement. Ou encore, dans un registre plus léger mais tout aussi interpellant, ces émissions de téléréalité parfois construites sur mesure pour impliquer des enfants parfois tout jeunes.
Les mineurs, assoiffés de reconnaissance médiatique
On ne peut évidemment pas mettre tous ces exemples dans le même sac, mais toutes ces émissions, TV ou radio, posent une question similaire : jusqu’où peut on aller quand on implique un enfant dans un programme, sans nuire à son développement ?
Cette importante question est de plus en plus prégnante, dans une société de l’image et des médias qui fait la part belle aux enfants et aux adolescents.
Or, précisément, les enfants en général et les adolescents en particulier, recherchent activement leur participation. Ils sont demandeurs de participation. Il suffit de regarder le succès des blogs sur lesquels les enfants aiment exhiber leur vie, par exemple en diffusant son image filmée ou photographiée, ou en révélant tout un pan de leur intimité sans prendre conscience des conséquences. Les choses ne sont pas différentes à la télévision ou à la radio, qui disposent de moyens plus gros et d’une mise en scène plus efficace qui « starifie » le participant et rendent donc la participation encore plus séduisante.
On n’évolue toutefois pas dans un vide juridique.
D’une part, il existe un cadre juridique non spécifique mais bien présent …
Bien qu’elle ne soit pas spécifique à la participation des mineurs dans les programmes TV et radio, la loi sur le travail des mineurs s’applique naturellement lorsque les critères pour qualifier la prestation du mineur de « travail » au sens de la législation, sont rencontrés.
Lorsqu’une quinzaine de gamines, membres d’une école de danse, participent à la tournée d’un chanteur connu ou font le décor d’un défilé de mode, il peut arriver que la loi s’applique, ce qui peut du reste poser des problèmes pratiques importants tel les horaires ou le volume de travail. Certains secteur recourrent souvent au travail des mineurs : mode, showbiz, chanson, création audiovisuelle, etc. Les professionnels connaissent et appliquent en général assez bien les règlementations applicables à ces travailleurs très spéciaux.
Autre disposition qui n’est pas spécifique mais qui revêt toute son importance : l’article 13 de la Convention de New York relative au droit de l’enfant qui garantit au mineur le droit à la liberté d’expression (« la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontière, sous forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant »).
Qu’il s’agisse de donner son avis dans le cadre du journal télévisé, ou de participer à des émissions du genre talkshow, cette législation permet à l’enfant de s’exprimer librement.
Cela ne signifie pourtant pas que le diffuseur de l’émission peut se retrancher derrière l’article 13, et tout justifier par ce biais.
C’est ainsi qu’une décision du 20 avril 2004 prise en assemblée plénière du CSA français a mis en garde France 3 pour une série d’émissions « C’est mon choix ». Il était reproché un risque de manipulation de personnes, en particulier de mineurs, car l’objet de l’émission était d’obtenir de ces personnes l’engagement de changer de comportement dans un domaine qui relève de la sphère intime.
D’autre part, il existe un cadre juridique spécifique en pleine évolution
Depuis cet avertissement de 2004, le CSA a adopté une délibération du 17 avril 2007 relative à l’intervention de mineurs dans le cadre d’émissions de télévision.
Le champ d’application de la délibération est large et vise en principe toutes les formes connues de programmes : journal télévisé, émissions de téléréalités ou de jeux, témoignages ou discussions sur plateau, documentaires, etc.
La délibération a principalement pour objet de figer les engagements conventionnels que le CSA a pris l’habitude d’imposer aux chaînes, notamment pour ne pas solliciter le témoignage d’un mineur placé dans une situation difficile de sa vie privée, à moins d’assurer une protection totale de son identité.
Pour éviter tout doute, la délibération souligne que le consentement des parents, voire leur participation à l’émission, ne dégage en aucun cas le diffuseur de sa responsabilité.
On peut s’interroger, à la lecture de cette délibération, sur certaines émissions dans lesquelles une animatrice s’immisce dans la vie familiale pour régler les tensions internes et indiquer aux parents comment éduquer leurs enfants adolescents difficiles. Selon les experts médicaux, dans ce genre de situation, l’enfant va au contraire exacerber ses frustrations. En outre, ces experts affirment que les enfants réalisent que leurs parent sont tellement défaillants qu’ils doivent faire appel à la une télévision pour les aider, ce qui peut briser irrémédiablement un lien (« tu as été nul dans le passé, alors pourquoi serais-tu un bon parent dans le futur ? »).
L’Angleterre a également un cadre juridique, qui se résume à trois règles principales :
• entourer les mineurs de manière adéquate, c’est-à-dire en tenant compte de leur bien-être physique et émotionnel ainsi que leur dignité, dès l’instant où ils participent ou sont impliqué dans un programme ;
• faire en sorte que les mineurs ne souffrent pas de détresse ou d’anxiété du fait de leur participation dans ce programme, ou de la diffusion de ce programme ;
• Veiller à ce que les prix destinés aux enfants soient appropriés à la fois à la fourchette d’âge de l’audience visée et aux participants.
La Belgique réfléchit elle aussi à une réglementation plus claire, notamment du coté du CSA de la Communauté Française.
En l’état actuel, il n’existe qu’une recommandation du CSA du 21 juin 2006, qui ne s’applique toutefois que dans le cas particulier des programmes radiophoniques. Il y est demandé d’apporter une attention particulière au recrutement des animateurs en charge des programmes diffusés en direct, et en particulier de ceux qui font appel aux témoignages d’auditeurs, quant à leur capacité à conserver la maîtrise éditoriale. Il est également demandé de mettre en place une écoute appropriée hors antenne en cas de problèmes personnels perceptibles chez la personne interviewée.
Dans son bulletin d’information numéro 32 du mois de juin 2007, le CSA a clairement indiqué sa volonté de créer un cadre plus large applicable également aux émissions télévisées. On y lit notamment que « dans tous les cas où le témoignage ou la participation du mineur est sollicité, l’objectif est de garantir un consentement éclairé du participant, des conditions de tournage adéquates et des questions adaptées à l’âge des enfants ».
Par ailleurs, dès l’instant où le mineur est en difficulté ou en situation de détresse, « l’objectif de la règlementation envisagée serait d’éviter de voir des mineurs témoignant en visage découvert d’une vie quotidienne particulièrement difficile, d’éviter que l’entourage ne donne du mineur une image négative ou que des questions insistantes sur la souffrance éprouvée par les enfants ou les adolescents ne soient posées de manière préjudiciable ».