Pour la CJCE la quasi vidéo à la demande relève de la radiodiffusion télévisuelle
Publié le 27/07/2005 par Thibault Verbiest
La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) vient de rendre un premier arrêt important dans le débat houleux de la convergence des médias, de l’internet et des télécoms. La Cour devait en l’espèce se prononcer sur la qualification d’un service de quasi vidéo à la demande (ou near video on demand). Un tel service…
La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) vient de rendre un premier arrêt important dans le débat houleux de la convergence des médias, de l’internet et des télécoms. La Cour devait en l’espèce se prononcer sur la qualification d’un service de quasi vidéo à la demande (ou near video on demand). Un tel service est-il un service de radiodiffusion télévisuelle au sens de la directive 89/552 (dite Télévisions sans frontières), ou un service de la société de l’information au sens de la directive 98/34 et de la directive sur le commerce électronique, avec les conséquences que cela pose en termes de régulation (soumission au contrôle d’une autorité de régulation audiovisuelle, respect de l’obligation de consacrer un certain pourcentage de temps d’antenne à des oeuvres européennes etc.) ?
Pour rappel, au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 89/552, on entend par radiodiffusion télévisuelle: l’émission primaire, avec ou sans fil, terrestre ou par satellite, codée ou non, de programmes télévisés, destinés au public. […] Ne sont pas visés les services de communications fournissant, sur appel individuel, des éléments d’information ou d’autres prestations, tels que les services de télécopie, les banques de données électroniques et autres services similaires.
En revanche, un service de la société de l’information est défini à l’article 1er de la directive 98/34, tel que modifié par la directive 98/48, :
Au sens de la présente directive, on entend par:
2) ‘service’: tout service de la société de l’information, c’est?à?dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.
Aux fins de la présente définition, on entend par:
- les termes ‘à distance’: un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes,
- ‘par voie électronique’: un service envoyé à l’origine et reçu à destination au moyen d’équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques,
- ‘à la demande individuelle d’un destinataire de services’: un service fourni par transmission de données sur demande individuelle.
La directive sur le commerce électronique définit son champ d’application par renvoi à cette définition.
Les faits
La société néerlandaise Mediakabel propose à ses abonnés le service Mr. Zap, qui leur permet de recevoir, grâce à un décodeur et une carte à puce, des programmes télévisés qui complètent ceux diffusés par le fournisseur du réseau. Mediakabel propose, par ailleurs, l’accès payant (pay per view) à des programmes supplémentaires dans le cadre d’un service appelé Filmtime.
Si un abonné de Mr. Zap souhaite commander un film du catalogue Filmtime, il en fait la demande séparée par sa commande à distance ou par téléphone et, après s’être identifié par un code personnel et avoir payé par encaissement automatique, il reçoit une clé individuelle qui lui permet de regarder, aux horaires déterminés par Mediakabel, un ou plusieurs des 60 films proposés mensuellement.
La question posée à la Cour
Selon l’autorité de contrôle des médias néerlandais, le Commissariaat voor de Media, ce service Filmtime constitue un service de radiodiffusion télévisuelle. Mediakabel soutient, en revanche, qu’il s’agit d’un service interactif fourni sur appel individuel, relevant de la catégorie des services de la société de l’information et échappant de ce fait au pouvoir de contrôle du Commissariaat voor de Media. Selon Mediakabel, ce service ne pourrait se voir imposer les exigences de la directive européenne sur la radiodiffusion télévisuelle1, notamment l’obligation de consacrer un certain pourcentage de temps d’antenne à des œuvres européennes.
Dans ce contexte, le Raad van State néerlandais, saisi du litige, a interrogé la Cour de justice des Communautés européennes.
Pour l’essentiel, le juge national voulait savoir si le fait, pour un émetteur, d’offrir des films qui sont diffusés sur un réseau à des horaires préétablis et sous une forme codée, et qui peuvent être regardés par des clients au moyen d’une clef de décodage particulière qui leur est envoyée après le versement du paiement prévu, constituait une radiodiffusion télévisuelle au sens de la directive 89/552, ou un service de la société de l’information , au sens de la directive 98/34.
L’arrêt de la Cour
La Cour précise qu’un service relève de la notion de radiodiffusion télévisuelle , visée à la directive européenne, s’il consiste en l’émission primaire de programmes télévisés destinés au public, c’est-à-dire à un nombre indéterminé de téléspectateurs potentiels, auprès desquels les mêmes images sont simultanément transmises. La technique de transmission des images n’est pas un élément déterminant dans cette appréciation.
Un service tel que Filmtime , qui consiste à émettre des programmes télévisés à destination du public et qui n’est pas fourni à la demande individuelle d’un destinataire de services, est un service de radiodiffusion télévisuelle.
Le critère déterminant de cette notion est bien celui de l’émission de programmes télévisés destinés au public . Le point de vue du prestataire du service doit par conséquent être privilégié dans l’analyse de cette notion.
Par ailleurs, la Cour souligne que la difficulté pour le prestataire d’un service tel que Filmtime de respecter l’obligation de consacrer un certain pourcentage de temps d’antenne à des œuvres européennes, n’est pas susceptible d’écarter la qualification de ce service comme radiodiffusion télévisuelle.
D’une part, dès lors que le service concerné remplit les critères permettant de le qualifier de service de radiodiffusion télévisuelle, il n’y pas lieu de prendre en considération les conséquences de cette qualification pour le prestataire du service. En effet, le champ d’application d’une réglementation ne saurait dépendre d’éventuelles conséquences préjudiciables de celle-ci pour les opérateurs économiques auxquels le législateur communautaire a voulu qu’elle s’applique.
D’autre part, la Cour estime que le prestataire d’un service tel que Filmtime n’est pas placé dans l’impossibilité de respecter ladite obligation. En effet, la directive impose aux organismes de radiodiffusion télévisuelle de respecter un quota de diffusion d’œuvres européennes. Elle ne saurait avoir pour objet d’imposer aux téléspectateurs de regarder effectivement lesdites oeuvres. S’il est indéniable que Mediakabel ne détermine pas les oeuvres qui sont effectivement choisies et regardées par les abonnés, cette société n’en conserve pas moins, comme tout opérateur émettant des programmes télévisés destinés au public, la maîtrise des oeuvres qu’elle diffuse.
Le prestataire connaît son temps global de diffusion et peut donc respecter l’obligation de réserver une proportion majoritaire de son temps de diffusion à des oeuvres européennes.
Premiers commentaires
Cet arrêt n’est pas réellement une surprise pour les juristes. En effet, la directive 98/34 prévoit expressément au quatrième alinéa de l’article 1er, point 2, qu’elle ne s’applique pas aux services de radiodiffusion télévisuelle visés à l’article 1er, point a), de la directive 89/552/CEE . Ensuite, dans la même directive 98/34, à l’annexe V, point 3, sous a), après qu’il est répété que la définition précitée ne couvre pas les services de transmission télévisuelle visés à l’article 1er, point a), de la directive 89/552/CEE , il est expressément prévu que les services de quasi vidéo à la demande sont compris dans cette dernière notion.
La CJCE n’ a donc fait que confirmer, en l’argumentant, une qualification déjà convenue et consacrée par le législateur européen.
Cette qualification vaut d’ailleurs aussi pour les services de quasi vidéo à la demande disponibles sur l’internet ou via téléphonie mobile, comme l’insinue la Cour lorsqu’elle précise que La technique de transmission des images n’est pas un élément déterminant dans cette appréciation. Logique au lendemain de l’adoption du paquet télécom qui consacre le principe de la neutralité dans le traitement des réseaux de communication électronique.
La Cour semble toutefois omettre un argument avancé par l’Avocat-général dans ses conclusions en ce qui concerne l’obligation pour Mediakabel de consacrer un certain pourcentage de temps d’antenne à des oeuvres européennes.
En effet, l’article 4, paragraphe 1, de la directive TSF prévoit l’obligation pour les États membres de veiller, chaque fois que cela est réalisable et par des moyens appropriés, à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle réservent à des œuvres européennes […] une proportion majoritaire de leur temps de diffusion […] .
Ainsi, cette obligation ne s’impose pas en toute hypothèse, par exemple quand cela aboutirait à rendre économiquement impossibles des services déterminés. En outre, elle doit être adaptée et modulée en fonction des modalités particulières de prestation et de bénéfice de la transmission télévisuelle en utilisant, si nécessaire, des exemptions partielles ou temporaires.
Il est dommage que la Cour n’ait pas suivi cet argument car il a son importance dans le contexte des nouveaux services de quasi vidéo à la demande via l’internet ou la téléphonie mobile.
L’arrêt commenté ne constitue donc pas une révolution, d’autant qu’il ne porte pas sur la qualification des vrais services de vidéo à la demande, caractérisés par une réelle interactivité avec l’utilisateur, qui choisit son programme comme bon lui semble. Pour ces services, le débat juridique continue à faire rage, notamment entre le CSA et les opérateurs…
L’arrêt est accessible en cliquant ici.