Pornographie enfantine et Internet : comment réprimer ?
Publié le 18/05/2001 par Thibault Verbiest
Comme chacun sait, la pornographie enfantine sur Internet est un véritable fléau, et, partout à travers le monde, les autorités judiciaires tentent de la juguler. Ainsi, le 13 février 2001, sept membres d’un réseau pédophile sur Internet, baptisé « Wonderland Club », ont été condamnés par un tribunal anglais (Kingston Crown Court) à des peines de prison…
Comme chacun sait, la pornographie enfantine sur Internet est un véritable fléau, et, partout à travers le monde, les autorités judiciaires tentent de la juguler.
Ainsi, le 13 février 2001, sept membres d’un réseau pédophile sur Internet, baptisé « Wonderland Club », ont été condamnés par un tribunal anglais (Kingston Crown Court) à des peines de prison pour avoir contribué à la distribution d' »images indécentes d’enfants ».
Pour faire partie du club, tout nouveau membre devait apporter 10.000 photos pornographiques de bébés et d’enfants…
C’est le 2 septembre 1998 que l’opération de police internationale, baptisée opération « Cathédrale », avait réussi le démantèlement de ce réseau, actif notamment en Belgique et dans huit autres pays d’Europe ainsi qu’aux Etats-Unis et en Australie.
Le 13 avril 2001, un informaticien français a été mis en examen et écroué dans le cadre d’une enquête menée en France conjointement avec les autorités américaines. L’homme, âge de 46 ans, aurait alimenté un site pornographique américain par des photos prises en Roumanie. 80.000 photos d’enfants nus ont ainsi été découvertes sur le disque dur de son ordinateur…
La répression de la détention de contenus pédophiles
Les affaires précitées visent des individus qui se livrent au »commerce » de contenus pédophiles. Toutes les législations (du moins occidentales) répriment explicitement la propagation de tels contenus.
Ainsi, en Belgique, l’article 383bis du code pénal (introduit par la loi du 13 avril 1995) punit de réclusion et d’une forte amende quiconque aura exposé, vendu, loué, distribué ou remis des « supports visuels » qui représentent des positions ou des actes sexuels à caractère pornographique, impliquant ou présentant des mineurs âgés de moins de seize ans. Est également punissable celui qui les aura, en vue du commerce ou de la distribution, fabriqués ou détenus, importés ou fait importer.
Si la diffusion de contenus pédophiles via l’internet sera sans nul doute visée par cette disposition, il n’en ira pas de même en ce qui concerne la simple détention d’images ou films à caractère pédophile à des fins de « consommation personnelle ».
Le seul fait de consulter ou de détenir une information constitue rarement un acte illicite en soi. Le motif en est simple : lorsqu’une information pose problème, c’est en général à son auteur que sont adressés les reproches, et non à celui qui la détient ou la consulte.. Pourtant, certaines informations sont à ce point sensibles ou illicites que le législateur a jugé bon de faire peser sur qui la détient ou la lit une part de responsabilité.
La pornographie enfantine fait partie de ces informations soumises à un régime spécial. En effet, le législateur a entendu s’attaquer à la racine du problème : sans consommateurs, pas de réseau ni de trafic visant l’exploitation sexuelle des mineurs.
L’article 383bis précité du Code pénal, tel qu’introduit par la loi du 13 avril 1995, prévoit ainsi les innovations suivantes :
– d’une part, la loi incrimine dorénavant la possession en connaissance de cause d’emblèmes, objets, films, photos, diapositives ou autres supports visuels représentants des positions ou des actes sexuels à caractère pornographiques impliquant ou représentant des mineurs de moins de seize ans.
Nous regrettons que le législateur se soit borné à viser « les photos, diapositives et autres supports visuels » au lieu d’avoir recours à une expression plus neutre sur plan technique. En effet, de très nombreux fichiers sonores circulent sur le web ; lorsqu’ils sont activés, ils laissent souvent entendre de la musique, mais parfois aussi une histoire racontée par un narrateur.
Lorsque l’histoire met explicitement en scène des mineurs de moins de seize ans dans des activités à caractère sexuel ou pornographique, le fichier tombe-t-il sous le coup de la loi ? En l’état actuel de la législation, la réponse est probablement négative : le droit pénal est d’interprétation stricte et le vocable « photos et autres supports visuels » paraît clairement exclure les fichiers sonores.
Il est intéressant également de relever que la Cour suprême du Canada, homologue de notre Cour de cassation, a jugé, par un arrêt du 26 janvier 2001 , que les dispositions du Code criminel canadien (article 163.1, 4°) qui incriminent la possession de pornographie juvénile n’étaient pas contraires au principe de liberté d’opinion et d’expression consacré par la Charte canadienne des droits et libertés
Le parallèle avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit la liberté d’expression, est évident.
-d’autre part, une nouvelle règle de procédure permet de poursuivre devant les tribunaux répressifs belges, le Belge, ou l’étranger trouvé en Belgique, qui aurait, dans ou hors du territoire, commis l’infraction décrite ci-dessus, même en l’absence de dénonciation de la part d’une autorité étrangère.
Ainsi, quiconque vivant sur le territoire et qui détient, en connaissance de cause, des photos illicites téléchargées sur l’internet ou qu’il a reçues dans un forum de discussion, peut faire l’objet de poursuites en Belgique, même si ces photos sont détenues sur un serveur situé à l’étranger.
Pareillement, l’étranger qui aurait téléchargé ces photos, même à partir d’ordinateurs situés à l’étranger, peut être poursuivi en Belgique pour autant qu’il soit trouvé en Belgique, par exemple parce qu’il y passe des vacances.
C’est évidemment l’ultra-sensibilité et la gravité de l’exploitation sexuelle des mineurs qui a poussé le législateur à doter les tribunaux belges d’une telle latitude d’action sur le plan international.
Si, dans le cas de la pédophilie, l’intention est éminemment louable, nous exprimons des craintes quant au précédent qu’une telle législation pourrait créer dans d’autres domaines ou d’autres contrées moins respectueuses des droits de l’homme: ne risque-t-on pas de faire des émules au sein de régimes totalitaires, ou de pays en quête d’hégémonie, qui pourront ainsi justifier des poursuites extra-territoriales pour des actes moins répréhensibles moralement, tels que des propos jugés politiquement incorrects ?
Sur le plan des principes juridiques, est-il conforme au droit pénal international de s’arroger le droit de poursuivre des résidents d’un autre Etat pour des faits commis à l’étranger et sans aucun lien avec la Belgique ?
Une priorité européenne
L’Union européenne a tôt fait de réagir contre la pornographie enfantine qui sévit sur Internet : dès 1998, un vaste plan d’action a été mis en place pour lutter contre ce fléau.
Au sein du Conseil de l’Europe, un projet de Convention sur la cybercriminalité est en préparation, qui vise notamment les infractions se rapportant à la pornographie enfantine. Le texte prévoit que les Etats membres du Conseil de l’Europe devront ériger en infraction pénale certains comportements commis intentionnellement, dont le fait de diffuser, se procurer, ou posséder de la pornographie enfantine par le biais d’un système informatique.
Les fournisseurs de services Internet (ISP)
Devant l’immensité du réseau et la difficulté d’identifier les auteurs de délits contre les mineurs, les ISP ont un rôle central à jouer, que ce soit en termes de filtrage ou de suppression de l’information pédophile véhiculée sur leurs réseaux, d’identification des sites incriminés ou des auteurs de messages postés sur des forums de discussion..
L’Autriche l’a bien compris puisqu’elle a saisi en décembre 1999 le Conseil de l’Union européenne d’une proposition de décision visant à empêcher la production, le traitement, la diffusion et la détention de matériel de pornographie enfantine sur l’internet, qui prévoit d’imposer aux fournisseurs de services Internet l’obligation :
-d’informer les entités compétentes du matériel de pornographie enfantine dont ils ont appris ou constaté qu’il était diffusé par leur intermédiaire ;
-de retirer de la circulation le matériel de pornographie enfantine dont ils ont appris ou constaté qu’il était diffusé par leur intermédiaire ;
-de conserver, lorsque cela est techniquement possible, les données relatives au trafic pendant une période à fixer par le législateur national ;
-de créer des systèmes de contrôle.
Il convient de rappeler à cet égard que la directive sur le commerce électronique institue un régime général de responsabilité des intermédiaires qui ne fait aucune distinction quant à la nature de l’information véhiculée sur le réseau, et qui sera donc également applicable en cas de contenus pédophiles portés à la connaissance d’un ISP (voir nos chroniques : « La Directive européenne sur le commerce électronique », sur Juriscom.net; « Quelle responsabilité pour les fournisseurs d’hébergement ? », L’Echo, 15 juin 2000).
Rappelons également que la nouvelle loi sur la criminalité informatique prévoit qu’un arrêté royal pourra déterminer dans quels cas et pendant combien de temps les opérateurs de réseaux de télécommunications et les fournisseurs de services de télécommunications (comme les fournisseurs d’accès) devront enregistrer et conserver les données d’appel (telles que les connexions entre l’utilisateur et le fournisseur d’accès) et les données d’identification des utilisateurs de service (voir notre chronique « Criminalité informatique : aperçu de la nouvellle loi », L’Echo, 15 mars 2001).
En pratique, force est de constater que les principaux ISP (en particulier les fournisseurs d’accès) ne sont pas inactifs. Certains mettent déjà en place des systèmes de contrôle parental, basés notamment sur des listes closes de sites définies par les parents. D’autres mettent à la disposition des internautes des « hotlines » qui permettent des dénonciations de contenus illicites (particulièrement pédophiles) via courriers électroniques.
C’est cette voie qui a été suivie en Belgique par l’ISPA , association qui regroupe la plupart des ISP établis en Belgique.
L’ISPA a en effet conclu en mai 1999 par un protocole d’accord avec le Ministre de la Justice et le Ministre des Télécommunications, visant à lutter contre les contenus illicites, particulièrement pédophiles.
En résumé, toute personne peut dénoncer à son ISP, ou directement à un « point de contact central » de la police judicaire – aujourd’hui de la police fédérale – dont l’adresse est [email protected], un contenu qu’il estime illicite. Si la dénonciation est faite à un ISP, celui-ci la transmet le plus vite possible au point de contact.
Le point de contact fait un tri : s’il estime qu’il ne s’agit manifestement pas d’un contenu illicite, le contenu ne sera pas pris en considération.
Dans le cas contraire, le dossier est transmis au parquet.
Parallèlement à la communication au parquet, le point de contact signale à la personne dont émane la dénonciation ainsi qu’à l’ISPA l’existence du contenu.
A partir de là, si le contenu visé est présumé constituer une infraction en matière de pornographie enfantine, dès qu’ils sont informés de la prise en considération du dossier par le point de contact judiciaire central, les ISP s’engagent à bloquer par tous les moyens dont ils peuvent raisonnablement disposer l’accès au contenu illicite, sauf indication contraire explicite des services judiciaires.
L’accord précise qu’il ne concerne que les communications publiques d’informations via l’Internet, et exclut donc le courrier électronique, les chats privés et les sites à accès limité.
Il stipule également que « l’objectif n’est pas que l’ISP passe activement Internet au crible afin d’y repérer des éventuelles contenus illicites. Il n’appartient pas aux ISP de vérifier et de qualifier tout contenu mis à disposition du public par l’Internet, que ce soit par ses propres serveurs ou via les serveurs d’autres ISP ».
Sur ce point, le protocole d ‘accord est conforme à l’article 15 de la directive sur le commerce électronique qui dispose que les États membres ne doivent pas imposer aux ISP « une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ».
D’autres pays européens ont également mis sur pied des systèmes de hotline. En France, l’Association des fournisseurs d’accès a même créé un site internet (http://www.pointdecontact.org) afin d’aider les internautes à adresser des réclamations lorsqu’ils sont confrontés à des contenus pédophiles ou racistes.
Au niveau européen, l’associationEuroISPA (www.euroispa.org), qui fédère des organisations d’ISP de onze pays (dont la Belgique) a également mis en place des hotlines destinés à aider les internautes qui sont confrontés à des contenus présumés illégaux, et à trouver un interlocuteur auprès duquel ils puissent adresser leur réclamation.
En outre, Euro ISPA participe à deux projets dans le cadre du plan d’action de la Commission européenne baptisée « Inhope » (www.inhope.org), réseau de hotlines européen, et « Incore »(www.incore.org), projet d’auto-classification des sites web (systèmes de « rating »).
Pour plus d’informations :
-organismes dédiés à la lutte contre la pornographie enfantine sur Internet: Mouvement Anti-Pédophilie sur Internet (MAPI),
http://www.fundp.ac.be/recherche/projets/fr/96299011.html ; Pedostop, http://pedostop.multimania.com ; Pedowatch, http://www.pedowatch.org/ ; Child Focus, http://www.childfocus.org
-logiciels de filtrage parental : http://www.webcontrole.com/ ; http://www.aladdin.fr/ ; http://www.getnetwise.org/ ;
Article paru dans L’Echo du 19 avril 2001