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Pharmacies sur Internet : après une condamnation sévère, l’Ordre devrait s’ouvrir

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C’est une condamnation extrêmement sévère que l’Ordre des pharmaciens vient d’encaisser. La motivation est très importante : on lui reproche d’avoir limité la concurrence au travers d’une application trop stricte des règles légales et déontologiques. De quoi rouvrir un autre dossier : celui des pharmacies en ligne ?

Les faits et le litige

L’Ordre national des pharmaciens (ONP) est un Ordre professionnel français auquel l’État français a délégué, entre autres, la mission de contribuer à promouvoir la santé publique et la qualité des soins,  notamment  la  sécurité  des  actes  professionnels.

En  France,  la  biologie  médicale  est exercée principalement par des pharmaciens, ce qui explique le rôle prépondérant de l’ONP dans ce  secteur.  Les  analyses  de  biologie  médicale  ne  peuvent  être  effectuées  que  dans  les laboratoires d’analyses de biologie médicale.

Labco,  un  groupe  européen  de  laboratoires  actif  en  France  et  dans  plusieurs  autres  pays européens, a déposé plainte en 2007 devant la Commission européenne. La plainte visait des décisions prises par l’Ordre en vue de freiner le développement de Labco et de limiter sa capacité à concurrencer d’autres laboratoires sur le marché des analyses de biologie médicale.

À l’issue de la procédure, la Commission européenne a considéré que l’Ordre avait restreint la concurrence en empêchant des groupes de laboratoires de se développer et en tentant d’imposer un prix minimal sur le marché français des analyses  de  biologie  médicale.  Elle  a  alors  condamné  l’Ordre  à  une  amende  de  cinq  millions d’euros. Ce dernier a introduit un recours devant le Tribunal de première instance de l’Union européenne pour faire annuler la décision de la Commission européenne ou, à défaut, obtenir une réduction de l’amende.

Le  Tribunal  a confirmé  la  décision  de  la  Commission européenne,  mais  ramène l’amende de 5 à 4,75 millions d’euros.

L’Ordre, une autorité publique ?

En  réponse  à  l’argument  selon  lequel  l’action  de  l’Ordre  était  celle  d’une  autorité  publique échappant aux règles de concurrence et était  justifiée par la protection de la santé publique, le Tribunal constate que, s’il est vrai qu’une activité qui se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique échappe à l’application des règles de concurrence, l’Ordre en cause dans la présente  affaire  ne  dispose  pas  de  pouvoirs  réglementaires  et  regroupe  des  pharmaciens  dont certains au moins exercent une activité économique et peuvent être qualifiés d’entreprises.

À cet égard,  le  Tribunal  relève  que,  s’agissant  des  comportements  reprochés,  l’Ordre  ne  pouvait prétendre  agir  comme  une  simple  extension  du  pouvoir  des  autorités  publiques  et  n’était  pas habilité  à  étendre  le  champ  de  protection  légale  en  vue  de  protéger  l’intérêt  d’un  groupe,  le législateur  national  ayant  tracé  les  limites  de  la  protection  offerte  et  laissé  la  possibilité d’une certaine concurrence. Dans ces conditions, le Tribunal conclut que les comportements restrictifs de l’Ordre visés par la Commission relèvent bien des règles de concurrence de l’Union.

L’interprétation systématiquement la plus stricte de la loi

S’agissant plus précisément du comportement visant à empêcher les groupes de laboratoires de se développer en France, le Tribunal considère que la Commission a correctement analysé le caractère restrictif des différentes mesures adoptées par l’Ordre.

En effet, ce dernier a, dans le but de  diminuer  le  risque  concurrentiel  que  constitue  le  développement  de  groupes  de  laboratoires pour les nombreux petits laboratoires actifs sur le marché, essayé d’entraver, par divers moyens, la  participation  de  groupes  au  capital  des  laboratoires.

Ainsi,  l’Ordre  a  systématiquement  choisi d’imposer  l’interprétation  de  la  loi  la  plus  défavorable  à  l’ouverture  du  marché  aux  groupes  de laboratoires et s’est opposé à des constructions juridiques pourtant conformes à la loi.

Par ailleurs, l’Ordre a méconnu la législation française en exigeant la communication de certains documents ou en  subordonnant  la  prise  d’effet  des  modifications  structurelles  des  sociétés  exploitant  des laboratoires à l’obtention d’arrêtés préfectoraux et à une inscription au tableau de l’Ordre. Au final, en entravant les activités économiques des professionnels actifs sur le marché ou en empêchant les  capitaux  extérieurs  d’investir  sur  le  marché,  l’Ordre  a  limité  ou  contrôlé  la  production,  le développement technique et les investissements.

S’agissant de la politique de prix minimal pratiquée par l’Ordre, le Tribunal confirme l’analyse de  la  Commission  selon  laquelle  le  comportement  de  l’Ordre  a  eu  pour  objet  d’imposer  un  prix minimal de marché en interdisant, à compter de 2005, l’octroi de ristournes par les laboratoires au-delà  d’un  plafond  de  10 %.  Le  Tribunal  relève  que  la  Commission  a  correctement  interprété  le cadre  légal  applicable,  celui-ci  permettant  bien  aux  laboratoires,  contrairement  aux  règles imposées  par  l’Ordre,  d’octroyer  librement  des  réductions  sur  le  prix  des  services  d’analyse  de biologie  médicale  dans  le  cadre  de  conventions  ou  contrats  de  collaboration  conclus  entre  les laboratoires  ou  avec  des  établissements  hospitaliers.

À  l’instar  de  la  Commission,  le  Tribunal constate  que  le  comportement  de  l’Ordre  en  matière  de  ristournes  ne  relève  pas  d’une  simple application de la loi, l’Ordre ayant dépassé à plusieurs reprises les limites de sa mission légale pour  imposer  sa  propre  interprétation  économique  de  la  loi.  Enfin,  le  Tribunal  souligne  que  la Commission  s’est  basée  sur  des  preuves  documentaires  suffisantes  pour  conclure  à  l’existence d’une infraction par objet consistant en un accord horizontal sur les prix, ces preuves démontrant en effet que l’Ordre a fixé, pour les acteurs du marché, un niveau maximal de ristournes de 10 % par rapport au prix de remboursement conventionnel, alors que la loi autorisait les laboratoires à pratiquer des prix inférieurs.

Une amende salée

Bien  que  confirmant  la  décision  de  la  Commission,  le  Tribunal  ramène  toutefois  l’amende infligée  à  l’Ordre  de  5  à  4,75  millions  d’euros.  Le  Tribunal  relève  en  effet  l’existence  d’une circulaire qui pouvait amener l’Ordre à penser qu’un agrément  préfectoral était nécessaire dans certains cas de modifications structurelles des sociétés exploitant des laboratoires. La Commission aurait donc dû reconnaître l’existence d’une circonstance atténuante à ce sujet, étant entendu que l’erreur de la Commission ne concerne qu’un aspect particulier du comportement de l’Ordre visant à  empêcher  le  développement  des  groupes  de  laboratoires.  Dans  ces  conditions,  le  Tribunal estime qu’une réduction de 250 000 euros de l’amende est appropriée.

Les pharmacies en ligne

Quiconque est actif dans le secteur des pharmacies en ligne sait à quel point l’Ordre est frileux face à ce nouveau canal de vente. Le problème est le même en France et en Belgique, à des degrés variables et en fonction de règles déontologiques qui peuvent changer mais dont l’esprit est largement le même.

Parmi les critiques que l‘on est souvent contraint d’adresser à l’Ordre :

·         Le refus de faire évoluer la déontologie pour ouvrir la porte à une forme de publicité efficace, comme la loi l’y oblige pourtant (notamment la directive sur le commerce électronique). Les limites que l’Ordre entend imposer par le biais de la déontologie sont tellement strictes,que la publicité telle qu’elle est tolérée par l’Ordre est tout simplement inutile et inefficace. En Belgique par exemple, deux décisions récentes (très critiquables) ont considéré que les adwords étaient contraires à la déontologie car l’avantage économique recherché par rapport aux autre pharmaciens heurte les principes fondamentaux de la profession et donne de celle-ci une image trop commerciale. Si l’on en vient à interdire de rechercher un avantage économique par rapport aux chers confrères, autant nier le caractère économique du métier et interdire toute publicité … tout ce que la loi ne veut pas.

·         L’interprétation des exigences légales et règlementaires à l’extrême limite de ce que dit le texte, dans le but d’entraver l’essor du commerce en ligne ou de rendre les contraintes plus lourdes.

·         Le refus de comprendre la nécessité de traiter radicalement (et pas seulement en apparence) le commerce des médicaments d’une part et celui des cosmétiques, dispositifs médicaux ou produits très indirectement liés à la santé d’autre part.

·         Le recours à des notions génériques sans tenir compte du produit en cause (par exemple la « santé » sans autre précision, au nom de laquelle on justifie à peu près n’importe quelle pétition de principe au risque de la vider de son sens, alors qu’une interprétation nuancée de ce concept fondamental permettrait tout à la fois de mieux la préserver tout en laissant s‘épanouir les opérateurs économiques légitimes).

A cet égard, le jugement du tribunal de première instance de l’Union européenne contient un attendu qui devrait inciter l’Ordre à revoir en profondeur sa copie : « l’Ordre  a  systématiquement  choisi d’imposer  l’interprétation  de  la  loi  la  plus  défavorable  à  l’ouverture  du  marché  aux  groupes  de laboratoires et s’est opposé à des constructions juridiques pourtant conformes à la loi ».

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