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Pharmacie en ligne : timide assouplissement du cadre juridique français

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Qui veut tuer la pharmacie française ? La loi ASAP devait booster le commerce électronique de médicaments en France. La montagne accouche d’une souris. La France reste l’un des pays les plus restrictifs, sans que l’on perçoive de plus-value significative en termes de santé publique. Tout bénéfice pour les pharmaciens étrangers qui peuvent vendre en France, et sont de surcroit très largement exonérés du cadre juridique français.

Le très restrictif cadre juridique français

La possibilité pour les pharmaciens français de vendre leurs médicaments en ligne a été mise en place sous l’impulsion de l’Union européenne en février 2013. Il reste que la loi encadrant le commerce électronique de médicaments est très restrictive, la France ayant décidé d’imposer un nombre très élevé de contraintes. Celles-ci constituent, de l’aveu du gouvernement français lui-même, un frein au développement de la vente en ligne.

Partant de ce constat et dans l’optique de voir les pharmaciens français développer leur activité également en ligne et rivaliser avec leurs homologues européens qui ne sont pas soumis aux mêmes règles, le gouvernement français a souhaité proposer un certain nombre d’assouplissements. Il l’a fait dans un projet de loi intitulé « Projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique » (désormais plus connue sous l’acronyme projet de loi « ASAP »), déposé au Sénat le 5 février 2020.

Il s’agissait, pour le gouvernement, d’« assouplir le régime du code de la santé publique applicable à la vente en ligne de médicaments, notamment en passant d’un régime d’autorisation à un régime de déclaration pour la création de sites internet d’officines, afin de permettre le développement de plateformes mutualisées entre officines qui le souhaitent et d’offrir de nouveaux services aux patients, tout en maintenant des exigences de sécurité élevées. Cela reprend pour partie les préconisations émises par l’Autorité de la concurrence dans son avis n° 19-A-08 du 4 avril 2019 relatif aux secteurs de la distribution du médicament en ville et de la biologie médicale privée ».

La montagne accouche d’une souris

La loi n° 2020-1525, issue de ce projet, vient d’être adoptée et promulguée le 7 décembre dernier après âpres discussions qui ont mené à ce que l’ambition initiale d’assouplissement soit revue très sérieusement à la baisse.

Le projet de loi ASAP, en février dernier, envisageait quatre grands assouplissements :

  1. Passer du régime actuel d’autorisation préalable des sites internet de vente en ligne de médicaments par les autorités régionales de santé compétentes à un régime de simple déclaration préalable ;
  2. Adapter les conditions de recrutement des pharmaciens adjoints à l’activité de la pharmacie, en tenant compte notamment de la nature des produits vendus (la vente de produits parapharmaceutiques n’exigeant pas nécessairement les compétences d’un pharmacien).
  3. Permettre la réalisation de l’activité de vente de médicaments sur internet non seulement au sein de l’officine mais également, et c’était la nouveauté, au sein d’un local qui lui est rattaché ;
  4. Permettre aux pharmacies d’officine de mutualiser leurs moyens techniques pour construire une plateforme commune de vente en ligne de médicaments ;

De ces quatre grands assouplissements, seuls les deux premiers ont subsisté.

Exit l’extra-muros

La possibilité de disposer d’un local hors de l’officine pharmaceutique pour réaliser les activités de vente en ligne est discutée depuis de nombreuses années. Avant une modification de 2018, la seule possibilité qui était laissée au pharmacien de disposer d’un local de stockage distinct de celui de l’officine exigeait que ledit local soit « à proximité immédiate » de l’officine. La jurisprudence a montré qu’un local situé à 3.6 km de l’officine n’était pas conforme à cette exigence de proximité immédiate. Ce qui laissait bien peu de marge de manœuvre aux pharmacies souhaitant développer leur activité en ligne et ayant pour cela un besoin criant et croissant d’espaces de stockage.

Critiquée par l’Autorité de la concurrence, qui voyait dans ce régime une restriction non-justifiée, ce texte a été modifié en juillet 2018 : le pharmacien peut désormais disposer de lieux de stockage se trouvant à proximité (non plus « immédiate ») de l’officine, mais dans les limites du quartier d’implantation.

L’idée de la loi ASAP était d’aller encore plus loin et d’élargir cette possibilité. Mais cette ambition a fait long feu et a été très vite abandonnée dans les débats parlementaires. Une telle position stricte est étonnante dès lors qu’en empêchant ainsi, de facto, les pharmacies de disposer de lieux de stockage et de logistique appropriés à la vente en ligne (c’est-à-dire grands), elle limite drastiquement le développement des pharmacies en ligne françaises, avantageant par la même occasion les pharmacies étrangères qui ne sont pas soumises à une telle restriction.

Adieu les plateformes mutualisées

Un autre volet important du projet de loi ASAP pour le développement de la vente en ligne de médicament a volé en éclat : celui consistant à permettre à plusieurs pharmaciens de construire ensemble une plateforme mutualisée et commune de vente en ligne.

A ce jour, le site internet de commerce électronique de médicaments est nécessairement rattaché à une (et une seule) officine physique. Pour être présent en ligne, le pharmacien doit donc, en plus de son art, apprendre un tout autre métier, celui de la vente en ligne (avec les développements informatiques, l’expertise en termes de création et de gestion de site internet de vente et de logistique de stockage et de transport que cela implique). De quoi décourager plus d’un pharmacien.

L’idée de la loi ASAP était donc de faciliter cet apprentissage en permettant aux pharmaciens de mutualiser leurs efforts pour pouvoir se concentrer sur leur métier propre (celui de pharmacien). Mais cette perspective a été très rapidement balayée dans les débats parlementaires.

Le spectre d’un Amazon qui étoufferait les pharmaciens sans se soucier de santé publique a été immédiatement brandi, et pas nécessairement à raison (Amazon n’est pas un pharmacien alors que le projet de loi ASAP n’ouvrait la possibilité de créer une plateforme mutualisée qu’aux pharmaciens). Cela a suffi pour que le projet soit tout simplement abandonné. Encore, une fois, il nous semble que, sous couvert d’une crainte peu motivée et qui aurait pu être facilement jugulée, c’est la pharmacie en ligne française que l’on tue dans l’œuf.

Une occasion ratée

Les deux seuls assouplissements du projet initial qui ont survécus sont donc :

  • le passage d’un régime d’autorisation préalable à une procédure de simple déclaration et
  • l’adaptation des conditions de recrutement des pharmaciens adjoints à l’activité menée en ligne (dont les conditions précises doivent encore néanmoins être définies).

Si ces assouplissements sont bienvenus, il ne suffiront toutefois pas à permettre à la pharmacie en ligne française d’enfin décoller et devenir une concurrence solide face aux pharmacies européennes.

Il est difficile de déterminer ce qui justifie cette frilosité.

La santé publique est souvent mise en avant alors qu’en réalité, on peine à voir le lien entre certaines contraintes et la santé publique.

L’extra-muros est un exemple parfait : en obligeant les pharmaciens actifs en ligne à « bricoler » dans une officine trop petite et mal agencée pour gérer la logistique que cela induit, on augmente le risque d’erreur. La mesure est contreproductive : elle empêche le pharmacien qui le souhaite, d’investir dans une logistique adaptée qui améliore la qualité du service et donc la santé publique. La mesure est aussi injuste pour les pharmaciens dont l’officine est située dans un tissu urbain développé et qui ne peuvent pas “pousser les murs”.

L’autre argument fréquent est la préservation du maillage officinal dans les territoires : en empêchant le développement d’une offre en ligne on préserverait les officines de campagne, permettant à la population de bénéficier d’une offre de proximité.

Là aussi, on peine à comprendre la logique. Si la crainte est de voir l’internet priver les “petites” pharmacies de leur chiffre d’atteinte au point que le maillage territorial en serait atteint, il faut interdire la vente en ligne. Mais ce n’est pas possible car le droit européen s’y oppose. Dès lors, on constate que ces contraintes ne font que déplacer la demande vers des officines situées hors du territoire français. Récemment, la CJUE a confirmé que la France peut interdire à ses pharmaciens de recourir au référencement sur les moteurs de recherche si elle le souhaite, mais qu’elle ne peut pas l’interdire aux sites étrangers qui vendent en France. Cet arrêt n’est pas une surprise, mais il confirme l’urgence de redonner aux pharmacies françaises des moyens d’action en ligne. A terme, le seul effet de ces contraintes disproportionnées est d’appauvrir l’ensemble des pharmaciens au profit d’acteurs étrangers et le maillage territorial en sera quand même affecté. L’objectif annoncé est donc totalement loupé.

Une chose est sûre : dans les pays qui ont très fortement développé la pharmacie en ligne (Pays-Bas, Allemagne, Belgique, etc.), la santé publique est au moins de même qualité qu’en France et l’on ne constate pas plus d’erreur ou de souci. La crise de la Covid y a récemment démontré toute l’utilité de l’offre en ligne pour lutter efficacement et rapidement contre la pandémie. Gants, masques, gels et médicaments n’ont jamais manqués, et à des prix abordables, ce dont la France ne peut pas s’enorgueillir. L’internet est considéré dans ces pays comme un allié de la santé publique, là où la France continue d’y voir un ennemi.

Rendez-vous dans quelques années pour constater les dégâts : que le législateur le veuille ou non, l’offre en ligne se développe année après année (en France, une douzaine de pourcents de l’ensemble du marché pharmaceutique au sens large – médicaments et parapharmacie – devrait basculer vers l’Internet d’ici 5 ans, ce qui constitue une perspective gigantesque) mais elle échappera aux acteurs français dont certains pourraient être tentés d’investir dans les pays limitrophes où le cadre juridique est plus clément sans pour autant nuire à la santé publique.

La loi ASAP est une occasion ratée qui laisse subsister cette question lancinante : qui veut tuer les pharmacies françaises … ?

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