Pharma en ligne : les « bonnes pratiques » passent mal auprès de l’Autorité de la concurrence
Publié le 26/05/2013 par Etienne Wery , Cathie-Rosalie Joly, Camille Bourguignon
L’Autorité de la concurrence a publié, le 15 mai 2013, un avis défavorable sur le projet d’arrêté relatif aux « bonnes pratiques » de dispensation des médicaments par voie électronique que lui a soumis le Ministère de la Santé. Le dossier e-pharma semble enlisé en France pendant qu’ailleurs de gros acteurs prospèrent et préparent leur plan d’attaque du marché français.
Ces bonnes pratiques sont attendues, dans le milieu pharmaceutique, avec une certaine impatience, depuis l’adoption, le 19 décembre 2012, de l’Ordonnance n°2012-1427 relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments, à l’encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments, qui a ouvert aux pharmaciens la possibilité de vendre en ligne des médicaments sur le territoire français.
Et pour cause, en leur absence, les pharmaciens ne disposent d’aucune sécurité juridique quant à la marge de manœuvre qui est la leur pour vendre en ligne des médicaments, et ne savent pas à quelles conditions précises ils peuvent développer une telle activité de commerce électronique, en toute légalité. Une telle situation est évidemment bien peu confortable.
Dans ces conditions, le Ministère de la Santé a soumis pour avis à l’Autorité de la concurrence un projet d’arrêté relatif à ces désormais fameuses « bonnes pratiques ». C’est à cette occasion que celle-ci a rendu l’avis défavorable objet du présent article.
Sans véritable surprise au vu du précédent avis qu’elle avait rendu concernant le projet d’ordonnance ayant donné lieu à l’adoption de l’Ordonnance du 19 décembre 2012, l’Autorité de la concurrence relève le caractère particulièrement contraignant du projet d’arrêté qui lui a été soumis. Elle affirme précisément que le projet d’arrêté « contient un ensemble de dispositions particulièrement restrictives, dont l’accumulation conduit à créer un cadre extrêmement contraignant et limitatif, qui a pour conséquence de brider toute initiative commerciale en termes de prix, de gammes de produits, de services nouveaux. » Elle dénonce catégoriquement que « Les «bonnes pratiques» proposées retirent tout intérêt à la commercialisation de médicaments par Internet, tant pour le patient-consommateur que pour les pharmaciens et apparaissent dissuasives. »
Parmi les dispositions qu’elle juge particulièrement restrictives, l’Autorité de la concurrence relève à nouveau, après l’avoir soulignée dans son précédent avis, la limitation du champ des médicaments pouvant être vendus en ligne aux seuls médicaments de médication officinale. Elle rappelle qu’une telle mesure « est excessivement limitative et introduit une restriction supplémentaire par rapport au droit européen qui ne distingue qu’entre les médicaments soumis à prescription et ceux qui ne le sont pas ». Selon le droit européen en effet, la vente en ligne des médicaments non soumis à prescription ne peut être interdite par un Etat membre. C’est pourtant ce que prévoit la règle française, à l’égard des médicaments non inscrits sur la liste des médicaments de médication officinale. La disposition des bonnes pratiques faisant référence à ladite limitation devrait logiquement, selon l’Autorité concurrence française, être supprimée.
L’autorité de la concurrence remet en cause bien d’autres dispositions :
– L’autorité suggère notamment de supprimer l’obligation qui vise à imposer aux pharmaciens de pratiquer des prix de vente identiques que le médicament soit vendu en officine ou sur Internet. L’Autorité de la concurrence justifie sa position en rappelant que la plupart des médicaments non soumis à prescription ne fait pas l’objet de règlementation tarifaire, ce qui devrait laisser au pharmacien toute latitude pour baisser le prix. En outre, les pharmaciens seraient obligés de facturer aux clients des frais de port « au prix réel ». Ces deux obligations, d’un point de vue purement économique, pourraient aboutir, pour le pharmacien, à pratiquer nécessairement des prix plus élevés lorsqu’il vend sur Internet que lorsqu’il vend en officine dans la mesure où il devrait ajouter le prix de livraison au prix de vente. En toute hypothèse, de telles mesures ne seraient pas de nature à inciter, ni le pharmacien, ni le consommateur, à utiliser Internet pour vendre ou acheter des médicaments.
– Par ailleurs, l’Autorité de la concurrence relève que l’interdiction qui serait faite aux pharmaciens de proposer sur un même site des médicaments et des produits de parapharmacie ne serait pas fondée, aucune justification ne venant soutenir une telle limitation à l’activité des pharmaciens en ligne. A été relevée, de plus, l’obligation d’utiliser les mêmes locaux de stockage pour les médicaments délivrés en officine et pour ceux vendus sur Internet. Une telle obligation constituerait un « obstacle artificiel de nature à limiter le développement de la vente en ligne ».
L’Autorité de la concurrence décortique, ainsi, une par une, les dispositions qui lui ont été soumises pour conclure que le projet d’arrêté « semble vouloir priver de portée la liberté déjà limitée que l’ordonnance du 19 décembre 2012 avait accordée aux pharmaciens français. Il devrait donc faire l’objet de modifications sur de nombreux points ».
C’est donc l’esprit même du « Projet de Bonnes pratiques » (qui devait normalement préciser la mise en œuvre de l’ordonnance et non pas en restreindre encore la portée), qui pose questionnement, et sur ce point l’Autorité de la concurrence française est claire : « si les règles applicables aux pharmaciens français pour la vente en ligne s’avéraient excessivement contraignantes, elles mettraient ces derniers dans une situation défavorable par rapport à celle de leurs concurrents européens et viendraient ainsi altérer leur compétitivité ». En effet, la mise en place de mesures trop restrictives pour la vente en ligne de médicaments par des pharmaciens français constituerait une « discrimination à rebours ».
L’Autorité souligne de plus, un risque de manquement au droit de l’Union européenne et de transposition imparfaite de la directive du 8 juin 2011 que l’Ordonnance du 19 décembre 2012 est pourtant censée mettre en œuvre.
L’avis de l’Autorité de la concurrence, dont le sens est particulièrement clair, sera-t-il, cette fois-ci, suivi par le Ministère de la Santé ?
(Avis 13-A-12: http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/13a12.pdf)