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Perdre son emploi à cause d’un « J’aime » ? C’est possible

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Un travailleur avait pris un engagement écrit vis-à-vis de son employeur, consistant à ne plus publier sur son mur de contenus intolérants pouvant mettre son employeur en difficulté vu la nature de son activité. Pourtant, il « like » des contenus « quenelliers ». La Cour d’appel y voit une violation de l’engagement pris et valide le licenciement.

Les faits

Une ASBL (équivalent belge de l’association-loi 1901 en France) a pour objet la dynamisation et la valorisation du centre-ville de Liège dans toutes ses fonctions spécifiques de centre-ville. Dans le cadre de son objet social, l’ASBL, notamment, engage et organise le travail de stewards.

Monsieur L. a été engagé le 26 mars 2002 par l’ASBL en vue d’exercer la fonction de comptable principalement. Il dépend directement du directeur de l’ASBL.

A la fin de l’année 2013, l’ASBL a constaté que Monsieur L. avait publié sur son mur « facebook » plusieurs liens faisant référence à « la quenelle » et à l’artiste controversé DIEUDONNE.

Une réunion a été organisée entre Monsieur L., Monsieur G. et Monsieur W., Président et Vice-président de l’ASBL

A la suite de cette réunion, Monsieur L. a pris un engagement écrit libellé, notamment, en ces termes : « Tenant compte de ma position hiérarchique de cadre et donc, de ce que je peux représenter pour les membres du personnel en termes d’influences (qui pourront tantôt être négatives tantôt positives), d’un des objets sociaux de l’ASBL en tant ‘qu’intégrateur social’ par le travail et du rôle direct ou indirect que j’y joue, de la représentation politique de l’ASBL et j’ajouterais même des principes moraux de base pour tout un chacun, JE M’ENGAGE FERMEMENT ET IRREVOCABLEMENT jusqu’à la fin de ma carrière au sein de (l’ASBL) ; qu’elle soit encore longue ou courte, à ne plus publier par tous réseaux sociaux ou autres moyens de communication type internet voir même de manière orale ou écrite par un autre biais, de l’humour risquant de heurter l’opinion publique ou encore de donner une image qui ne doit être, en aucun cas, celle de la cellule de L mais surtout de sa hiérarchie. J’ajoute que les parutions sur mon mur FACEBOOK ont également été retirées car je suis, dorénavant, bien conscient que ce réseau social est juridiquement réputé public. Je termine par cette phrase de Desproges et/ou Coluche que j’ai particulièrement bien comprise aujourd’hui : ON PEUT RIRE DE TOUT MAIS PAS N’IMPORTE COMMENT. Et dans ce cas de figure, je préférerai dorénavant raisonner avant de rendre public quelque chose qui me fera rire avec du recul et du second degré mais qui donnera autour de moi une mauvaise image de ce que je suis réellement ou, en tout cas, ne veux pas être ou, ce qui permettra à quiconque (au personnel par exemple) de renforcer des idées qui pourraient aller à l’encontre du bon fonctionnement de notre outil de travail d’une part, voire de la société en général… »

Le 3 avril 2014, le directeur de l’ASBL constate que Monsieur L. a « liké » sur son mur facebook différentes publications des « quenelliers parisiens ».

Par courrier recommandé du 18 juin 2014, le conseil d’administration de l’ASBL licencie Monsieur L. pour motif grave.

Par requête du 7 juillet 2014, Monsieur L. a contesté le motif grave et réclamé des arriérés de primes de fin d’année.

L’arrêt rendu

Conformément à la loi, est considéré comme constituant un motif grave toute faute d’une gravité telle qu’elle rende immédiatement et définitivement impossible la collaboration professionnelle entre parties.

Il est reproché à Monsieur L. d’avoir, sur Facebook, « liké » des liens renvoyant à des mouvements « quenelliers » qui affichaient notamment des considérations sur l’antisémitisme, le sionisme, Israël et l’artiste Dieudonné.

La Cour reconnait que la quenelle est un vaste sujet qui s’inscrit souvent dans un débat où « l’humour discutable » prend une large place, mais elle considère néanmoins que celle-ci a une « connotation antisémite bien connue » et que le Like peut être compris comme une marque d’intérêt de Monsieur L. pour ces publications « mais aussi qu’il les apprécie ».

Et la Cour de rappeler l’engagement pris par l’employé.

Oui mais, un simple Like est-il visé par l’engagement pris (reproduit ci-dessus) ?

La Cour répond ce qui suit : « Il est exact que la mention « like » ou « j’aime » d’une publication sur un mur facebook n’entraîne nullement la publication sur ce mur facebook de la publication Toutefois, à partir du moment où sur son site facebook il est publié que Monsieur L. aime les publications sus vantées, la cour considère que Monsieur L. a publié sur son réseau facebook des indications de publications « humoristiques » risquant de heurter l’opinion publique et de publications qui donnent certainement une image qui ne doit pas être celle de l’ASBL et de sa hiérarchie. La cour considère dès lors que Monsieur L. n’a pas respecté son engagement. »

La Cour rappelle que si tout employé a droit à sa liberté d’expression, celle-ci « ne peut en aucun cas pouvoir ternir gravement l’image de [l’employeur] et de ses dirigeants. » Or, pour une association qui entend avoir un objet d’intégration sociale, le fait qu’un cadre affiche des positions intolérantes vis-à-vis des étrangers ou d’une confession spécifique, est préjudiciable.

La Cour considère que les faits sont d’autant plus graves que l’employé avait été averti, et qu’il s’était engagé à ne plus recommencer.

Dès lors, « La cour considère que la faute commise est grave. En effet, non seulement Monsieur L. ne respecte pas les consignes données par son employeur et reconnues comme raisonnables mais par son comportement risque de ternir l’image de l’ASBL. Cette faute est à ce point grave qu’elle rend immédiatement et définitivement la poursuite des relations de travail impossibles ».

(Cour du travail de Liège (3e ch.) – Arrêt du 24 mars 2017 – Rôle n° 2016-AL-94)

Commentaires

Cet arrêt a fait couler beaucoup d’encre, certains y voyant une décision de principe qui assimile un Like à la publication d’un contenu, ou encore la preuve qu’un Like est, en tant que tel, un motif suffisant pour établir la faute grave s’il met l’employeur en position délicate.

Nous pensons que c’est aller un peu vite en besogne.

Nous y voyons plutôt un arrêt fortement influencé par les faits : l’employeur a admirablement géré les choses en convoquant une première fois son employé pour le sensibiliser, et obtenir de sa part un engagement que la cour qualifie de raisonnable. C’est sur la base de cet engagement que l’employeur a pu prendre une décision de licenciement immédiat. Rien n’indique que l’arrêt aurait été le même sans cet engagement.

Il en découle un conseil : en tant qu’employeur, face à un travailleur qui se comporte de façon problématique sur son mur personnel, il est préférable d’agir de façon progressive et méthodique :

  • Vu les faits (fonction du travailleur, nature des faits, activité de l’employeur, etc.) ce comportement met-il la hiérarchie ou l’institution en péril ? Ou, au contraire, relève-t-il exclusivement de la vie privée, de la liberté d’expression et autres droits de la personnalité ?
  • Si la réponse à la première question est positive, il est prudent de convoquer, expliquer, sensibiliser et proposer un engagement raisonnable.
  • L’employé est alors mis devant un choix : soit il refuse cet engagement raisonnable (et ce refus pourra parfois, en fonction des faits et de leur gravité, être en tant que tel un motif grave), soit il accepte et il se trouve alors lié (la Cour considérant que la violation de cet engagement raisonnable peut constituer un motif grave.
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