Peer-to-peer et droit d’auteur : entre répression et prévention
Publié le 02/05/2004 par Thibault Verbiest
Le peer-to-peer , système d’échange direct de fichiers entre internautes, popularisé par Napster, puis par Kazaa, connaît un développement sans précédent depuis deux ans. En France, l’on estime à 8 millions le nombre d’utilisateurs occasionnels et à 750 000 le nombre d’utilisateurs réguliers de logiciels peer-to-peer. Mais le système est aussi populaire que controversé :…
Le peer-to-peer , système d’échange direct de fichiers entre internautes, popularisé par Napster, puis par Kazaa, connaît un développement sans précédent depuis deux ans.
En France, l’on estime à 8 millions le nombre d’utilisateurs occasionnels et à 750 000 le nombre d’utilisateurs réguliers de logiciels peer-to-peer.
Mais le système est aussi populaire que controversé : s’agit-il d’une révolution de la communication ou d’un vaste réseau de contrefaçons sauvages ?
Des téléchargements en principe illégaux
Les articles L.335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) disposent notamment que « Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon ; et toute contrefaçon est un délit. » […]
« Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi« […]
En droit, le téléchargement de fichiers audio ou vidéo conduit à une nouvelle exploitation de l’œuvre, sans autorisation des ayants droit (auteurs, interprètes, maisons de disques etc.).
Il est parfois fait référence à l’exception de copie privée pour tenter de justifier la légalité des échanges de fichiers – protégés par le droit d’auteur – via des logiciels peer-to-peer (ou « filesharing »).
Cette disposition autorise que l’on fasse des copies pour des œuvres sonores et audiovisuelles si la copie – d’une œuvre obtenue de façon licite – est faite uniquement pour l’usage personnel du copiste (article L.122-5-5° CPI). Or, dans un réseau peer-to-peer, dans de nombreux cas, la copie privée est prise d’un original qui n’a pas été publié licitement…
Par conséquent, en théorie, toute personne qui utilise des programmes de filesharing pour télécharger des fichiers musicaux protégés par le droit d’auteur – sans l’autorisation des titulaires de droits – est coupable de contrefaçon et s’expose à des sanctions pénales.
A cet égard, depuis, la loi Perben II du 9 mars 2004 « portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité », les sanctions réprimant le piratage informatique ont été renforcées. L’article L335-2 du code de la propriété intellectuelle sanctionne désormais la contrefaçon d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende, au lieu de deux ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende (articles L. 335-2 , L. 335-4 , L. 343-1, L. 521-4, L. 615-14 et L. 716-10 du Code de la Propriété Intellectuelle).
Toutefois, dans le cadre de «délits commis en bande organisée, ces peines sont portées à cinq ans et à 500 000 euros d’amende ».
Au niveau européen, la tendance est également à la répression accrue: le 26 avril 2004, la directive sur le renforcement des droits de propriété intellectuelle (« IP Enforcement Directive ») a été définitivement adoptée. Son objectif est de renforcer la lutte contre la piraterie et la contrefaçon, en édictant notamment un système uniforme de sanctions. Lors des débats ayant présidé à l’adoption de la directive, la question de la répression des « simples » utilisateurs des réseaux peer-to-peer fut évoquée.
Finalement, la Parlement européen décida que les sanctions prévues pour contrefaçon ne sont applicables que si l’infraction a été commise «en vue d’obtenir un avantage économique et commercial direct». Ce qui devrait exclure en théorie les adeptes des systèmes gratuits d’échanges de fichiers…
La jurisprudence : sus à l’ennemi !
Le 29 avril 2004, le Tribunal correctionnel de Vannes a condamné 6 internautes français à des peines de prison avec sursis et à des amendes de plusieurs milliers d’euros, pour avoir téléchargé des films sur l’internet.
En décembre 2003, les gendarmes avaient surpris un collectionneur de films en flagrant délit en effectuant une capture informatique de son écran d’ordinateur, en cours de téléchargement d’un film via le logiciel KaZaa. Lors de cette intervention, 198 CD-Rom gravés après téléchargement via ledit logiciel ont été découverts.
Les 6 utilisateurs du logiciel « peer-to-peer » étaient accusés de piratage, distribution et/ou échange des contenus culturels.
Les parties civiles étaient des producteurs de films (Warner Bros, 20th Century Fox, Walt Disney), la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), le Syndicat de l’édition vidéo et la Fédération nationale des distributeurs de films.
Cette affaire s’inscrit dans une véritable croisade judiciaire engagée par l’industrie du disque, qui commence déjà à porter ses fruits.
Ainsi, en février 2004, le Tribunal correctionnel de Versailles a condamné un particulier qui proposait sur un newsgroup la vente et l’échange de copies de CD audio et de compilations de fichiers MP3.
En mars 2004, la Brigade centrale de répression des contrefaçons industrielles et artistiques de la Police judiciaire a interpellé le responsable de Wisighoteam, un forum sur lequel les adeptes des réseaux peer-to-peer échangeaient conseils et films pirates.
Le statut juridique des logiciels peer-to-peer : controverse
Poursuivre les auteurs des contrefaçons en ligne est une chose, obtenir la condamnation des auteurs des logiciels peer-to-peer en est une autre.
De tels logiciels sont-ils légaux ? La question est fortement controversée, comme le montrent les décisions judiciaires rendues jusqu’à présent, principalement aux Etats-Unis(Napster) et aux Pays-bas (Kazaa). L’incertitude quant au statut légal des logiciels de filesharing est liée à leur objectif : l’échange d’information (y compris la musique) n’est certainement pas interdite dans tous les cas, et les créateurs de ces logiciels invoquent dès lors le fait qu’ils ne peuvent être tenus responsables pour l’utilisation ou l’abus que des personnes font de leurs logiciels.
Les organisations de gestion des droits d’auteur de leur côté insistent sur le fait que, nonobstant les bonnes ou moins bonnes intentions des créateurs, les logiciels de filesharing sont de facto surtout employés à des fins illégales…
Des solutions autres que judiciaires ?
L’industrie du disque commence à mettre en oeuvre des mesures techniques de protection des œuvres (CD…) afin de tenter de juguler la copie non autorisée de celles-ci et leur diffusion massive sur l’internet. Ces mesures sont protégées par la directive européenne de mai 2001 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dont la transposition est en cours en France.
Lors des dernières rencontres européennes des artistes, l’ADAMI (société de gestion collective des droits de propriété intellectuelle des artistes-interprètes) a toutefois exprimé ses doutes sur l’efficacité de ces mesures techniques de protection des œuvres, du reste parfois contestées par les associations de consommateurs. Elle a en conséquence émis la proposition suivante : faire payer une redevance (une « licence légale ») aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) qui serait ensuite redistribuée aux ayants droit.
Selon l’ADAMI, le téléchargement de fichiers musicaux pourrait être toléré à condition qu’une redevance de licence légale soit acquittée par les FAI.
Pareille solution nécessiterait une (légère) révision des articles L.311-4 et L.311-5
du CPI, qui ne font référence qu’à un prélèvement sur le prix des » supports
d’enregistrement « .
Les FAI, de leur côté, contestent, l’on s’en doute, le bien-fondé de pareille mesure, notamment au motif que, dans le cas d’autres systèmes de licence légale (en matière radiophonique par exemple) c’est le diffuseur qui paie et non la personne qui lui fournit les moyens de diffuser. Or, le fournisseur d’accès ne diffuse rien, seul l’internaute réalise la diffusion…
Notons enfin que le législateur ne s’est pas contenté de renforcer la répression. En effet, soucieuse également de prévention, la future loi pour l’économie numérique prévoit que les services en ligne proposant des téléchargements d’oeuvres culturelles devront incruster des signalétiques spécifiques :
« Lorsque les personnes visées au 1 du I de l’article 2 bis invoquent, à des fins publicitaires, la possibilité qu’elles offrent de télécharger des fichiers dont elles ne sont pas les fournisseurs, elles font figurer dans cette publicité une mention facilement identifiable et lisible rappelant que le piratage nuit à la création artistique. » (Chapitre II, Article 2 quater).
Plus d’infos ?
– L’article de Guillaume Gomis « Communautés Peer-to-Peer et ayants droit : la paix par la licence légale ? » sur Juriscom.net .