Peer-to peer : deux rapports contradictoires publiés le même jour. Le débat s’envenime…
Publié le 11/12/2005 par Thibault Verbiest
A la veille du débat parlementaire sur le projet de loi « droit d’auteur dans la société de l’information » (qui débutera, sous le bénéfice de l’urgence, le 20 décembre prochain), les différents protagonistes du débat houleux – voire passionnel – du peer-to-peer fourbissent leurs armes. En effet , deux rapports viennent d’être publiés –…
A la veille du débat parlementaire sur le projet de loi « droit d’auteur dans la société de l’information » (qui débutera, sous le bénéfice de l’urgence, le 20 décembre prochain), les différents protagonistes du débat houleux – voire passionnel – du peer-to-peer fourbissent leurs armes.
En effet , deux rapports viennent d’être publiés – simultanément – qui préconisent des solutions diamétralement opposées.
D’un côté, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), chargé de conseiller le ministre de la culture et de la communication, publie synthèse des travaux commencés un an auparavant.
En porte à faux avec la dernière jurisprudence en la matière, le CSPLA se déclare hostile à l’exception de copie privée appliquée au téléchargement d’œuvres (« downloading ») : « En ce qui concerne le download dissocié de l’opération d’upload, la très grande majorité des membres de la Commission considère qu’il s’agit d’un acte de contrefaçon ».
S’agissant des propositions de licence globale avancées par les associations de consommateurs et d’artistes (voir ci-après), le Conseil les qualifie d’impraticables aux motifs que :
- la solution serait difficilement conciliable avec les engagements internationaux de la France
- l’adoption de la licence globale empêcherait le développement des offres déjà mises en place avec l’autorisation des ayants droit et conduirait à un accroissement rapide du trafic, ce que les réseaux des FAI ne sauraient absorber à court terme dans les mêmes conditions économiques.
Partant de ce constat, le Conseil préconise de :
- Favoriser les dispositifs anti-copie ainsi que l’émergence d’un peer-to-peer légal, étant entendu que de nombreuses questions restent encore à régler (en particulier la modélisation technique, juridique et économique qui permettra d’obtenir toutes les autorisations des ayants droit)
- Une intervention du législateur visant à responsabiliser les fournisseurs de logiciels de peer-to-peer. Dans la foulée de l’arrêt Grokster de la Cour suprême des Etats-Unis, le Conseil recommande en effet de consacrer sans ambiguïté la responsabilité des éditeurs de logiciels peer-to-peer et de tous ceux qui sont directement impliqués dans cette activité. L’avis est accompagné d’un projet d’amendement au Code de la propriété intellectuelle, qui concerne tous les logiciels permettant une « mise à disposition d’œuvres », notion pour le moins large.
Afin de contrecarrer les conclusions du CSPLA, un rapport favorable à une « légalisation » du peer-to-peer a été rendu public le même jour. Ce rapport émane de l’ »Alliance Public-Artistes », qui réunit plus de 15 organismes représentant, entre autres, les intérêts des musiciens, comédiens, producteurs indépendants et des consommateurs.
Ce rapport a été élaboré par l’Institut de Recherche de Droit Privé de l’Université de Nantes, sous la direction du Professeur André Lucas.
Ses conclusions sont sans ambages :
- conformément aux dernières décisions de justice rendues en matière de téléchargement, la copie privée peut être appliquée, même lorsque la source de la copie n’est pas licite
- le système de licence légale n’apparaît pas comme contraire aux engagements internationaux de la France (en particulier le fameux « triple test » consacré par la directive européen sur le droit d’auteur dans la société de l’information)
- il apparaît également légitime car la situation du peer-to-peer ne serait pas très différente de celle des œuvres photocopiées (reprographie), qui font l’objet d’une gestion collective obligatoire.
Sur cette base, l’Alliance propose un système de licence globale similaire à celui déjà présenté par le député Suguenot dans sa proposition de loi du 13 juillet 2005 ( voir notre chronique du Journal du Net du 13 septembre 2005 ).
La proposition du député Suguenot, qui a entre-temps reçu le soutien de dizaines d’autres députés, vise à légaliser les pratiques d’échange à des fins non commerciales entre particuliers d’œuvres et d’interprétations sur les réseaux de communication en ligne, dont les réseaux peer-to-peer.
Toutefois, la position de l’Alliance diffère sur un point : pour elle, la licence globale devrait être optionnelle pour l’internaute. Ainsi, les internautes n’auraient pas à s’acquitter de la rémunération forfaitaire (via leur abonnement internet) s’ils ne procèdent à aucun échange de fichiers ou utilisent des services de plateformes payantes.
De surcroît, ce 9 décembre, un livre blanc sur le peer-to-peer a été remis aux députés de l’Assemblée nationale. Ce livre blanc compile les contributions de différents organismes représentant les auteurs et éditeurs de logiciels, les consommateurs, les artistes-interprètes, les auteurs et éditeurs de logiciels, les auteurs de musique et utilisateurs de logiciels libres.
Inutile de préciser que la fin de l’année s’annonce agitée…
Droit & Technologies