Payer via mobile et développer le m-commerce : les juristes français ont encore du travail
Publié le 15/02/2005 par Etienne Wery
Le mobile vit une époque de transition : plus tout à fait « voix », et pas encore totalement « data », il promet l’Eldorado à ceux qui veulent bien y croire. Il en va de même du cadre juridique des paiements électroniques : à peine adapté à l’internet via PC, il lance de nouveaux…
Le mobile vit une époque de transition : plus tout à fait « voix », et pas encore totalement « data », il promet l’Eldorado à ceux qui veulent bien y croire. Il en va de même du cadre juridique des paiements électroniques : à peine adapté à l’internet via PC, il lance de nouveaux défis à l’industrie du mobile !
Le mobile dispose d’un avantage par rapport au « bon vieux » web : les utilisateurs n’y ont jamais été habitués au tout-gratuit, et acceptent donc facilement l’idée qu’une prestation suppose un paiement. L’industrie de la musique connaît bien ce phénomène : alors que ses ventes sont en chute libre, elle est en partie sauvée grâce au téléchargement payant des sonneries. C’est dire l’importance du paiement pour l’industrie du mobile !
Pour l’instant, les transactions via mobiles se limitent pour l’essentiel aux micro-paiements : sonneries et logos, abonnement à un service d’actualités, météo, horoscope, etc. C’est la multiplicité de ces micro-transactions qui génère le bénéfice.
Depuis quelques temps, le mobile sert aussi à compléter – le plus souvent pour mieux les sécuriser – les transactions réalisées ailleurs. On cite souvent en exemple les banques qui permettent de payer sur un site web via une carte bancaire, mais ajoutent une étape sous forme d’un code confidentiel supplémentaire envoyé à l’acheteur par SMS.
Enfin, il arrive de plus en plus souvent que le mobile intervienne comme instrument de paiement, autonome dans le sens où il n’intervient pas dans la prestation sauf, précisément, en tant qu’instrument de paiement. Exemple révélateur de cette évolution : plusieurs sites payants délivrent un mot de passe valable pendant un temps déterminé via l’envoi d’un SMS surtaxé ; de très nombreux sites pour adultes fonctionnent de la sorte.
Que l’on ne s’y trompe pas, il s’agit d’une véritable révolution copernicienne ! Cette (r)évolution ira grandissant avec la généralisation de l’accès à l’internet mobile large bande. Il arrivera un jour où le mobile rivalisera avec le PC, tant pour la bande passante que le confort de lecture ; cet événement se traduira par une explosion des transactions.
Hélas ! le cadre juridique doit encore être adapté. Nous avons retenu trois points révélateurs qui nécessitent chacun un traitement urgent :
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La monnaie électronique est définie, dans une directive européenne, comme « une valeur monétaire représentant une créance sur l’émetteur, qui est : (1) stockée sur un support électronique ; (2) émise contre la remise de fonds d’un montant dont la valeur n’est pas inférieure à la valeur monétaire émise ; (3) acceptée comme moyen de paiement par des entreprises autres que l’émetteur ».
Les unités prépayées constituent-elles de la monnaie électronique ? Dans un avis du 10 mai 2004, la Commission européenne s’est posé la question. S’il y a plus ou moins unanimité pour apporter une réponse négative lorsque les unités ne servent qu’à payer les minutes de communications, la situation est nettement plus floue quand elles servent aussi à payer des produits et services de tiers. Concrètement, cela se traduirait par de lourdes contraintes pesant sur les établissements émetteurs. Cela étant, la Commission semble admettre qu’un régime ad hoc pourrait le cas échéant se justifier pour les opérateurs de téléphonie mobile, eu égard notamment aux faits que les unités stockées ne sont généralement pas remboursables alors que la remboursabilité est l’un des points cardinaux du régime juridique applicable à la monnaie électronique.
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Le droit français a été modifié afin de mieux protéger l’utilisateur lors d’une transaction à distance. Les articles L 132-1 et suivants du Code monétaire et financier réglementent en conséquence le paiement effectué au moyen d’une « carte de paiement », c’est-à-dire, « toute carte émise par un établissement de crédit (…) et permettant à son titulaire de retirer ou de transférer des fonds ».
A défaut de lecteur de carte intégré, ce type de transactions est rare via mobile. C’est notamment pour ce motif que les ingénieurs travaillent sur des cartes de paiements virtuelles. Après le rasoir, le mouchoir ou les vêtements, voici donc la carte de crédit jetable ! Le secret tient en un logo : un numéro de transaction unique pour un achat unique (un logiciel embarqué génère, à la volée, une carte virtuelle unique). Est-on encore en présence d’une « carte de paiement » au sens de l’article L 132-1 ? Le libellé suggère en effet l’exigence d’un support physique, mais est-ce aussi clair ? La loi française doit évoluer vers une définition de l’instrument de paiement qui soit technologiquement neutre.
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Pour un certain temps encore, les SMS et appels vers des numéros surtaxés resteront un moyen privilégié de paiement pour les micro-transactions. Les services sous-jacents sont infinis : de l’œuvre humanitaire récoltant des dons de cette manière, aux services conviviaux (une élégante manière de décrire les services pour adultes), en passant par les votes et sondages, horoscope et autres sonneries ou logos tantôt coquins tantôt non.
Le cadre juridique est incertain, coincé entre un règlement parfois suranné (les dons par SMS, couramment pratiqués, sont en principe interdits par le Conseil Supérieur de la Télématique) et le bon vouloir des opérateurs qui décâblent aléatoirement les lignes servant aux services que leur morale réprouve, tout en proposant aussitôt de les réactiver ou en proposant parfois eux-mêmes des services similaires. Ici aussi, il y a un toilettage des textes à réaliser, et des prises de position à avoir (notamment quant à l’ouverture, ou non, de familles de numéros réservées aux services sensibles).
L’avenir du mobile est radieux ; au travail mesdames et messieurs les juristes !