Paris sportifs et hippiques et jeux en ligne : le mouvement sportif se mobilise
Publié le 01/06/2009 par Thibault Verbiest, Geoffroy Lebon
Le 15 mai 2009, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) a adressé aux parlementaires, et plus précisément aux sénateurs, un courrier dans lequel il présente les enjeux mais également les éventuels risques, pour le mouvement sportif, de l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.
Bien que ces derniers jours aient été principalement dédiés à l’élection de sa nouvelle présidence, l’institution sportive française par excellence n’a pas manqué d’alerter les parlementaires sur les conséquences que pourrait engendrer, pour le sport français, une ouverture à la concurrence non maîtrisée du secteur des jeux d’argent en ligne.
Invitée depuis le 27 juin 2007 par la Commission européenne à modifier sa législation sur les loteries et paris sportifs, la France s’est, depuis quelques mois, fixée pour objectif le 1er janvier 2010 comme date de libéralisation effective du marché. A l’heure actuelle, le projet de loi a été présenté en Conseil des ministres, le 25 mars 2009, par Eric Woerth, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, et il doit être prochainement examiné au Parlement.
Cependant, dans un contexte où la rapidité semble être de mise, certains acteurs souhaitent que les autorités prennent réellement le temps d’apprécier les enjeux de l’ouverture des paris sportifs et des jeux en ligne. En effet, le mouvement sportif, par la voie de son représentant, le CNOSF, a entendu prévenir les parlementaires qu’il veillerait à ce que l’ouverture du marché n’ait pas pour effet d’aboutir à remettre en cause la sincérité et l’équité des résultats sportifs ainsi que le modèle d’organisation du sport qui repose principalement sur un mécanisme de solidarité. C’est pourquoi, le CNOSF a formulé des propositions au gouvernement qu’il entend renouveler aujourd’hui aux parlementaires et qui sont destinées à « garantir l’éthique des compétitions et manifestations objet de paris », d’une part, et à « sécuriser et développer les sources de financement du sport », d’autre part.
I. Les propositions garantissant l’éthique sportive
La loyauté et la régularité des résultats sont des composantes qui s’avèrent indispensables à la crédibilité d’une compétition ou d’une manifestation sportive et à l’intérêt qu’elle suscite chez les spectateurs, les téléspectateurs et les partenaires économiques. Dès lors, le mouvement sportif, qui se veut le garant de l’éthique et de l’équité sportive, redoute que l’ouverture à la concurrence du secteur des jeux d’argent vienne entacher, à l’instar des affaires de dopage, la sincérité des résultats des compétitions objet de paris. Plus précisément, les acteurs sportifs craignent que le phénomène de paris truqués ou encore que les problèmes liés au blanchiment d’argent se généralisent avec l’ouverture du marché, ce qui aurait pour conséquence d’anéantir la pérennité des événements sportifs. C’est la raison pour laquelle, le CNOSF suggère trois solutions qui permettraient d’éviter, ou du moins, d’atténuer ces risques.
Tout d’abord, l’institution sportive propose, en tant que garante de l’éthique sportive, qu’elle soit consultée par le Parlement à l’occasion de la discussion du projet de loi ouvrant à la concurrence le marché des paris sportifs et hippiques et des jeux en ligne.
Ensuite, elle considère que la présence de deux représentants, au moins, du mouvement sportif au sein de l’Autorité de Régulation des Jeux en Ligne (ARJEL) serait un moyen efficace de préserver l’équité du sport. D’ailleurs, le projet de loi précise que l’ARJEL, autorité administrative indépendante de régulation des jeux en ligne, est composée d’un collège de sept membres, d’une commission de sanctions, d’une commission consultative et, le cas échéant, de commissions spécialisées (article 26). Plus précisément, il est prévu que la commission consultative, qui peut être consultée par le collège pour préparer ses décisions, est composée notamment « de représentants du monde du sport ».
Enfin, le mouvement sportif estime que la consolidation législative du droit de propriété des organisateurs sportifs, et en premier lieu des fédérations, aurait pour effet « de promouvoir en Europe un modèle d’organisation et un fonctionnement des paris sportifs permettant un jeu éthique, équitable et responsable ». S’ils se réjouissent du fait que le projet de loi reconnaisse le droit de propriété des organisateurs sur les paris sportifs, les acteurs sportifs n’oublient pas de rappeler aux parlementaires la nécessité de consacrer réellement la plénitude de ce droit. A ce titre, le CNOSF avance plusieurs arguments d’ordre éthique, économique et juridique. Par exemple, la consolidation législative de ce droit facilitera, selon lui, la lutte contre le jeu illégal puisque les acteurs sportifs disposeront de bases juridiques solides pour défendre leurs droits et ils pourront négocier les conditions d’organisation des paris sportifs avec les opérateurs (les types de paris, les événements sur lesquels parier tels que le nombre de buts, de touches, de fautes…). De même, l’institution sportive considère que le contexte actuel est propice à une insécurité juridique tant pour le mouvement sportif que pour les opérateurs de paris sportifs. Certes, il existe deux décisions du Tribunal de grande instance de Paris du 30 mai 2008 qui ont affirmé que l’exploitation des paris sportifs relevait bien du monopole des organisateurs sportifs prévu à l’article L. 333-1 du Code du sport. Mais, le CNOSF pense « qu’il est nécessaire que le législateur intervienne pour garantir l’exercice du droit de propriété dans toutes ses composantes » dans la mesure où « le mouvement sportif a besoin d’une plus grande sécurité et d’une meilleure lisibilité juridiques (…) et ce notamment dans ses relations avec ses partenaires économiques ». Or, les partenaires économiques et notamment les opérateurs de paris sportifs contestent fortement cette reconnaissance du droit de propriété sur les jeux sportifs en ligne. En effet, malgré les décisions jurisprudentielles du 30 mai 2008, les opérateurs considèrent qu’ils doivent pouvoir exploiter librement, sous forme de paris, les résultats des événements sportifs dans la mesure où la ratio legis ainsi que l’ordonnancement de l’article L. 331-1 dans le Code du sport s’opposent à une conception aussi étendue du monopole d’exploitation. D’après eux, ce monopole légal a été institué dans un seul but : l’exploitation des sons et des images des événements sportifs. En ce sens, un récent jugement du Tribunal de grande instance de Paris, en date du 9 décembre 2008, est venu préciser que « le droit d’exploitation, prévu à l’article L. 331-1 du Code du sport, en ce qu’il constitue un monopole, doit s’apprécier de façon restrictive. Ce droit d’exploitation ne porte que sur un événement singulier à savoir le spectacle vivant que constitue la manifestation sportive et non sur ses effets indirects ». En conséquence, les opérateurs n’hésiteront pas à se fonder également sur cette solution jurisprudentielle pour s’opposer à la consolidation législative du droit de propriété.
Néanmoins, il reste que le CNOSF voit, dans la consolidation de ce droit, une opportunité non négligeable, pour les acteurs sportifs, de générer et de pérenniser des ressources financières qui contribueront à la promotion et au développement du sport.
II. Les propositions sécurisant le financement du sport
En France, il existe une dualité du financement du sport en ce sens qu’une partie des ressources économiques provient de la sphère publique (Etat, collectivités territoriales) et qu’une autre repose essentiellement sur des initiatives privées (ménages, entreprises). Cependant, la part des ressources publiques et des ressources privées n’est pas identique puisqu’elle varie en fonction de l’activité sportive en cause et du caractère amateur ou professionnel de ladite activité. Quoi qu’il en soit, le CNSOF s’inquiète des répercussions, que peut engendrer l’ouverture à la concurrence du secteur des jeux d’argent en ligne, sur le modèle de financement du secteur sportif. Dès lors, il envisage deux possibilités qui visent à assurer le financement des activités physiques et sportives tout en diversifiant leurs ressources.
En premier lieu, l’institution sportive propose que les organisateurs sportifs disposent de la possibilité de commercialiser les droits d’exploitation des paris sportifs aux opérateurs qui sont intéressés. Il s’agit là du corollaire du droit de propriété pour lequel l’institution demande une consolidation législative aux parlementaires. A cet égard, le projet de loi envisage cette faculté de commercialisation des résultats sportifs sous forme de paris par les organisateurs de compétitions et de manifestations sportives. Cependant, il précise que, contrairement à la commercialisation des droits d’exploitation audiovisuelle, aucune exclusivité ne pourra être concédée aux opérateurs de paris sportifs. S’agissant de la répartition du produit de la commercialisation des droits d’exploitation relatifs aux paris sportifs, rien n’est précisé ni par le CNOSF, ni par le projet de loi. Pourtant, à l’instar des droits d’exploitation audiovisuelle, il serait opportun que le mouvement sportif se mobilise également pour mener une réflexion sur une répartition efficace et solidaire du produit de la vente, par les fédérations, des droits des paris sportifs.
Par ailleurs, le CNOSF, toujours dans cette perspective de développer les ressources privées du sport, suggère d’autoriser les organisateurs sportifs à conclure des conventions de partenariat avec les opérateurs de paris en ligne, sous réserve de respecter le droit de la concurrence. Ceci permettrait de légaliser une pratique que certains acteurs sportifs n’ont pas hésité à entreprendre d’ores et déjà, pour accroître leurs revenus, et ce malgré les interdictions légales qui demeurent sous le régime actuel.
En second lieu, l’institution sportive émet des propositions destinées à éviter que soit compromis le financement public du sport. Elle constate que, durant ces dernières années, il y a eu un désengagement financier de l’Etat et un accroissement important du financement du sport par le biais du Centre National pour le Développement du Sport (CNDS). Pour assurer ce financement, le CNDS est alimenté par plusieurs ressources dont la principale provient de prélèvements effectués sur le chiffre d’affaires de la Française des Jeux. Il paraît évident que la libéralisation du marché des jeux en ligne devrait avoir un impact, plutôt négatif, sur le chiffre d’affaires de la Française des Jeux. Dès lors, l’ouverture à la concurrence suscite des incertitudes de la part du mouvement sportif au sujet de l’évolution du budget du CNDS qui est un outil essentiel au développement de la pratique sportive. C’est pourquoi, afin de doter le sport français des moyens nécessaires à son développement, le CNOSF souhaite que, d’une part, soit maintenu le prélèvement financier de 1.8% effectué sur les sommes misées sur les jeux de tirage et de grattage de la Française des Jeux et que, d’autre part, soit mis en place un prélèvement, avec un taux identique de 1.8%, sur les paris sportifs. Selon le Comité olympique et sportif, ces prélèvements auront pour objet d’alimenter le CNDS mais aussi de compenser la nouvelle charge issue de la lutte pour la préservation de l’ordre social et de l’ordre éthique que devra mener le mouvement sportif. Le projet de loi, quant à lui, diffère quelque peu en ce qui concerne le taux de prélèvement à prendre en compte. L’article 43 de ce projet de loi prévoit que le CNDS sera alimenté par un prélèvement de 1,8% effectué uniquement sur les sommes misées sur les jeux gérés par la Française des Jeux (jeux de tirage et de grattage) et par un prélèvement de 1% sur les sommes misées sur les paris sportifs gérés par la Française des Jeux et les nouveaux opérateurs.
Autant dire qu’au regard de l’ensemble des propositions faites par le CNOSF au Gouvernement et au Parlement, celles qui s’intéressent aux ressources du CNDS devraient susciter de nombreux débats entre les parlementaires et pourraient, en fonction de la teneur des discussions, engendrer un « lobbying » assez conséquent du mouvement sportif.