Paris hippiques en ligne : après l’opérateur, les hébergeurs condamnés en référé
Publié le 09/11/2005 par Thibault Verbiest
Dans un arrêt – très attendu – du 4 janvier, la Cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance de référé du 8 juillet 2005, qui avait ordonné la cessation des activités de prise de paris du site Zeturf sur le territoire français. Rappel des faits Le 2 juin 2005, le PMU assignait devant le TGI…
Dans un arrêt – très attendu – du 4 janvier, la Cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance de référé du 8 juillet 2005, qui avait ordonné la cessation des activités de prise de paris du site Zeturf sur le territoire français.
Rappel des faits
Le 2 juin 2005, le PMU assignait devant le TGI de Paris la société de droit maltais Zeturf, afin de faire cesser ses activités de prise de paris sur le territoire français.
Par ordonnance du 8 juillet 2005, le TGI de Paris faisait droit à la demande du PMU aux motifs que :
« Attendu qu’il ressort du constat dressé le 21 juin 2005 le fait que le site se trouve exclusivement rédigé en langue française, et ne permet de prendre de paris qu’en cette langue, alors que les courses concernées se déroulent sur le territoire français ; que c’est l’internaute français qui est d’évidence visé ;
Qu’au demeurant, bien que le « règlement » affiché évoque la loi maltaise, l’accès au jeu se trouve interdit aux résidents maltais ;
Que dès lors, le lieu de réalisation du trouble, soit du fait dommageable au sens des dispositions de l’article 46 du ncpc, se situe bien en France, le constat ayant été dressé à Paris ;
Que c’est au PMU qu’a été confiée la gestion relative à l’organisation par les sociétés de courses autorisées du pari mutuel en dehors des hippodromes, comme prévu par l’article 27 du décret n°97-456 du 5 mai 1997 modifié par le décret n°02-1346 du 12 novembre 2002 ;
Que la prise de paris en ligne cause donc bien un trouble manifestement illicite au PMU, dès lors qu’elle n’a pas été autorisée ; »
L’ordonnance ne produisait toutefois pas directement ses effets puisqu’elle devait d’abord être exécutée à Malte, après une procédure de visa d’un tribunal local (qui n’a pas été octroyé à ce jour).
La question de la compatibilité du droit français au droit européen
L’ordonnance attaquée était critiquable car elle omettait un débat fondamental : celui de la compatibilité du droit français en matière de jeux et paris avec le droit européen, à la lumière de l’arrêt du 6 novembre 2003 de la Cour de justice des Communautés européennes (voir notre actualité ……)
La Cour d’appel de Paris ne fait pas l’impasse sur cette question, mais la tranche d’une manière pour le moins expéditive. En effet, pour la Cour, le droit français, qui réserve l’organisation de paris hippiques sur le territoire français au PMU, est certes une restriction à la libre prestation de services garantie par l’article 49 du Traité de Rome, mais cette restriction serait justifiée par le souci de sauvergarder l’ordre public. Toujours selon la Cour, cet objectif est en fait double : d’une part lutter contre les délits et les fraudes et d’autre part limiter les occasions de jeu.
Il est vrai que ces justifications sont traditionnellement avancées par les monopoles nationaux (français et autres) pour justifier les restrictions imposées aux jeux et paris provenant d’autres Etats membreds (souvent le Royaume-Uni ou Malte). Mais, il est aussi vrai que ces justifications doivent reposer sur des faits avérés. La Cour de justice l’a clairement rappelé dans ses arrêts Gambelli et Lindman : les Etats membres doivent prouver que les craintes et justifications alléguées sont réelles.
Or, la Cour se contente de bonnes intentions déclarées. Elle se fonde pourtant sur le rapport Trucy du Sénat, mais sans en extraire les passages les plus assassins pour la politique française en matière de jeux…
En réalité, force est de constater que les juges français ont agi par réflexe de protectionnisme national. Le même phénomène a pu être constaté dans d’autres Etats membres, comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Italie.
Dans ces pays, les juges – statuant dans des procédures de référé – ont d’abord, comme dans l’affaire Zeturf, appréhendé ce type de litige avec hostilité, voyant dans les bookmakers étrangers de vulgaires « pirates ».
Puis, le jusprudence a mûri, pour finalement s’interroger sérieusement sur la compatibilité du droit national invoqué avec l’article 49 précité du Traité de Rome.
Il existait pourtant un échappatoire élégant pour la Cour d’appel, qui eût été de saisir la Cour de justice des Communautés européennes, à l’image de ce que fit le juge italien dans l’affaire Gambelli…
Le triple test de la « politique de canalisation du jeu »
Le principe essentiel dégagé par la Cour de justice est le suivant : un opérateur de jeu européen ne peut se voir interdit d’offrir ses services en libre prestation sur le territoire d’un autre Etat membre si (i) il est soumis à un régime de licence et de contrôle sérieux dans son pays d’origine et (ii) l’Etat membre qui se plaint de cette offre ne mêne pas (ou plus) de politique de canalisation du jeu « cohérente et systématique ».
De plus en plus, l’on estime que trois facteurs principaux doivent être pris en considération pour apprécier l’existence d’une politique de canalisation du jeu « cohérente et systématique » :
- l’existence d’une autorité administrative indépendante chargée d’octroyer les autorisations de jeu et de contrôler l’activité des opérateurs autorisés, q’ils soient privés ou publics. Sur ce point, la France est défaillante puisque pareille autorité n’existe pas. Seule la sous-direction des couses et jeux des Renseignements généraux (Miniustère de l’intérieur) est investi de pouvoirs de contrôle des courses du PMU.
- le caractère plus ou moins mesuré du marketing exercé par les monopoles nationaux. Ce marketing est-il agressif et/ou massif ? Vise-t-il essentiellement à acquérir ou fidéliser de nouveaux clients ? Est-il destiné à séduire des mineurs ?
- l’existence de politiques nationales, ou soutenues/financées par les pouvoirs publics, visant à prevenir l’abus de jeu, à l’instar de l’abus de tavac ou d’alcool. Or, nulle politique de ce type en France à ce jour.
Ajoutons qu’une politique de canalisation du jeu cohérente et systématique doit s’apprécier dans sa globalité, et non par rapport à un segment isolé (en l’espèce les paris hippiques). Ainsi, si la Cour de justice était amenée à apprécier la compatibilité du droit français en la matière avec le droit européen, elle le ferait en examinant l’ensemble des textes et des politiques applicables aux jeux de casino, aux loteries et aux paris sportifs (y compris ceux de la Française des jeux).
En attendant, Zeturf tentera peut-être sa chance devant la Cour de cassation, dans l’attente d’une décsion de la Commission européenne, déjà saisie de deux plaintes contre la France émanant de bookmakers maltais…