P2P : condamnation d’un utilisateur. Le débat s’envenime…
Publié le 06/02/2005 par Thibault Verbiest
Le débat juridique sur le P2P est loin d’être clos : après le jugement du TGI de Rodez de novembre 2004 qui avait relaxé un utilisateur de Kazaa sur le fondement de la copie privée, une décision prend le contre-pied et condamne un utilisateur de P2P. En effet, dans son jugement du 2 février dernier,…
Le débat juridique sur le P2P est loin d’être clos : après le jugement du TGI de Rodez de novembre 2004 qui avait relaxé un utilisateur de Kazaa sur le fondement de la copie privée, une décision prend le contre-pied et condamne un utilisateur de P2P.
En effet, dans son jugement du 2 février dernier, le Tribunal de Grande Instance de Pontoise a condamné un utilisateur du P2P pour contrefaçon sur la base notamment des articles L.112-2, 121-8, 122-3, 122-4, L.122-6 et L.335-2 du Code de la propriété intellectuelle.
Le Tribunal a considéré que :
« L’ensemble des éléments constitutifs de contrefaçon est réuni ;
L’élément matériel ressort du téléchargement d’environ 10.000 œuvres musicales provenant d’autres ordinateurs connectés pour la plupart à ce HUB et la mise à disposition des internautes ;
L’élément légal consiste en le transfert de programmes ou de données d’un ordinateur vers un autre. La jurisprudence a précisé les contours de cette notion ;
Il s’agit d’un acte de reproduction, chaque fichier d’une œuvre numérisée étant copié pour être stocké sur le disque dur de l’internaute qui le réceptionne et d’un acte de représentation consistant dans la communication de l’œuvre au public des internautes par télédiffusion ;
Ainsi dans le réseau de « peer-to-peer » utilisé par Monsieur O., celui-ci accomplit les deux opérations. Il convient de préciser que le logiciel DC++, contrairement à ce que la défense a soutenu à l’audience, impose aux utilisateurs d’ouvrir leurs disques durs aux autres internautes raccordés au HUB ;
Enfin l’élément intentionnel résulte de la simple matérialité de cet agissement telle que la jurisprudence l’a défini et confirmé à plusieurs reprises. »
Le Tribunal a condamné Monsieur O. à une amende délictuelle de 3.000 euros avec sursis, à la confiscation du matériel informatique et à la publication du jugement dans deux quotidiens.
Sur l’action civile, le Tribunal l’a condamné à 10.200 euros de dommages et intérêts et à 2.200 euros au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale à verser aux parties civiles : la SACEM, la Société pour l’administration du droit de reproduction mécanique des auteurs, compositeurs et éditeurs (SDRM), la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) et la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP).
Les consommateurs et les artistes-interprètes en résistance
Cette condamnation, qui n’est pas la première d’utilisateurs de P2P (voire notamment la décision du Tribunal correctionnel de Vannes d’avril 2004) et probablement pas la dernière (plus de 500 procédures sont en cours en France), semble avoir suscité une prise de conscience de l’opinion publique au-delà des simples adeptes de ce système.
Ainsi, l’appel « Libérez la Musique » lancé mercredi dernier par le « Nouvel Observateur » pour un arrêt des poursuites visant les internautes qui téléchargent de la musique sur internet avec des logiciels de peer-to-peer a déjà recueilli ce vendredi midi plus de 12.000 signatures d’internautes, qui viennent s’ajouter à celles d’artistes, d’acteurs de l’industrie musicale et de personnalités politiques.
Il est intéressant de noter que L’UFC Que Choisir, la Société civile pour l’administration des droits des artistes interprètes (ADAMI) et la Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes de la musique et de la danse (SPEDIDAM) sont parmi les signataires.
Déjà lors du MIDEM à Cannes, cette association et ces sociétés faisaient partie des associations de consommateurs et des sociétés de gestion des droits des artistes réunies au sein de l’ALLIANCE PUBLIC-ARTISTES pour demander:
- « la suspension des poursuites judiciaires contre des particuliers pour « piratage ou contrefaçon » lorsqu’ils échangent à des fins non-commerciales de la musique sur Internet ;
- des solutions pour le développement de la musique en ligne (plates-formes commerciales ou services d’échanges P2P) qui respectent une éthique à l’égard du public et des artistes ;
- un cadre juridique pour encourager les nouveaux modes d’exposition (MP3blogs, webradios, P2P, etc.) et garantir la rémunération des artistes, tout en offrant au public de nouveaux modes d’accès, de découverte et des nouveaux usages ;
- que l’accès à la culture ne soit pas l’otage de batailles commerciales sur les standards, les systèmes de contrôle et les formats. C’est une technologie dont il faut encourager les pratiques positives. »
Des alternatives réalistes à la répression ?
Parmi les alternatives à une politique répressive, certains artistes et acteurs de l’industrie musicale proposent d’imposer une taxe aux fournisseurs d’accès à internet afin d’indemniser forfaitairement les auteurs et interprètes pour le téléchargement illégal de leurs œuvres.
D’autres vont plus loin en imaginant un système comparable à celui imposé aux radios tenus de payer des droits à la SACEM à chaque diffusion d’une chanson. Selon eux, les mêmes outils que ceux actuellement utilisés par les producteurs contre le piratage pourraient permettre de déterminer à l’unité près, après le lancement d’un album, combien de fichiers ont été téléchargés en France pendant une période déterminée. Les fournisseurs d’accès se verraient alors imposer le paiement de droits pour ces œuvres.
L’adoption du projet de loi transposant en droit français la directive européenne du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information offre l’occasion d’une réflexion profonde sur la question de la rémunération des auteurs et interprètes notamment face à l’usage du P2P et l’emploi de nouveaux supports pour l’enregistrement d’œuvres musicales et audiovisuelles.
Affaire à suivre…