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Les OGM dans notre assiette, c’est pour bientôt !

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La justice a tranché : les Etats ne peuvent pas s’opposer aux OGM autorisés au niveau européen, sauf à prouver un risque « grave », « évident », pour « la santé ou l’environnement ». Ce faisant, la CJUE réduit à presque rien le « principe de précaution » appliqué aux OGM qui font, il est vrai, l’objet d’une règlementation ad hoc.

L’Europe va (encore) être montrée du doigt comme étant la cause de tous les maux … Et cette fois, c’est en effet très objectivement la règlementation européenne qui est en cause.

Les faits

En 1998, la Commission a autorisé la mise sur le marché du maïs génétiquement modifié MON 810.

Dans sa décision, la Commission s’est référée à l’avis du comité scientifique qui considérait qu’il n’y avait pas de raison de penser que ce produit aurait des effets indésirables sur la santé humaine ou sur l’environnement.

En 2013, le gouvernement italien a demandé à la Commission d’adopter des mesures d’urgence pour interdire la culture du maïs MON 810, compte tenu de nouvelles études scientifiques réalisées par deux instituts de recherche italiens.

Sur la base d’un avis scientifique rendu par l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), la Commission a conclu qu’aucune preuve scientifique nouvelle ne permettait de justifier les mesures d’urgence demandées et d’invalider ses conclusions précédentes sur l’innocuité du maïs MON 810.

En dépit de cela, le gouvernement italien a adopté en 2013 un décret interdisant la culture du MON 810 sur le territoire italien.

En 2014, M. Giorgio Fidenato et d’autres personnes ont cultivé du maïs MON 810 en violation de ce décret et ont été poursuivis pour ce fait.

Dans le cadre de la procédure pénale engagée à l’encontre de ces personnes, le Tribunale di Udine (tribunal d’Udine, Italie) demande notamment à la Cour de justice si des mesures d’urgence peuvent, en matière alimentaire, être adoptées sur le fondement du principe de précaution. Selon ce principe, les États membres peuvent adopter des mesures d’urgence pour prévenir les risques pour la santé humaine qui n’ont pas encore été pleinement décelés ou compris en raison des incertitudes scientifiques.

L’avis de l’avocat général

Nous avons déjà consacré une actu à l’avis de l’AG. En résumé, celui-ci relevait l’existence de deux textes applicables, rédigés de manière subtilement différentes :

  • Le règlement (CE) n° 1829/2003 du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés (règlement « OGM »).
  • Le règlement (CE) n° 178/2002 du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (« règlement sécurité alimentaire »).

Dans le règlement « sécurité alimentaire », les États membres peuvent adopter des mesures d’urgence « dans des cas particuliers où […] la possibilité d’effets nocifs sur la santé [a été révélée], mais où il subsiste une incertitude scientifique ».

Dans le règlement « OGM », les États membres ne peuvent adopter ces mesures d’urgence que « lorsqu’un produit [génétiquement modifié autorisé] est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement ».

Le second impose donc aux Etats une preuve sensiblement plus compliquée : de la possibilité d’effets nocifs, on passe à l’évidence d’un risque grave.

Précisons que cette rédaction différente ne résulte pas du hasard. Elle est le fruit d’un compromis. En effet, en ce qui concerne les OGM, l’Europe a mis en place une procédure qui les soumet à une évaluation scientifique avant leur mise sur le marché.

L’idée sous-jacente est donc la suivante : dans la mesure où une autorité centralisée européenne procède déjà à une évaluation scientifique, il n’est pas illogique d’imposer aux États qui veulent aller à l’encontre de cette évaluation, un niveau de preuve plus élevé.

L’arrêt rendu

La Cour constate que, lorsqu’il n’est pas établi qu’un produit génétiquement modifié est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement, ni la Commission ni les États membres n’ont la faculté d’adopter des mesures d’urgence telles que l’interdiction de la culture du maïs MON 810.

La Cour souligne que le principe de précaution, qui suppose une incertitude scientifique quant à l’existence d’un certain risque, ne suffit pas pour adopter de telles mesures. Si ce principe peut justifier l’adoption de mesures provisoires de gestion du risque dans le champ des aliments en général, il ne permet pas d’écarter ou de modifier, en particulier en les assouplissant, les dispositions prévues pour les aliments génétiquement modifiés, ceux-ci ayant déjà été soumis à une évaluation scientifique complète avant leur mise sur le marché.

Par ailleurs, la Cour relève qu’un État membre peut, lorsqu’il a informé officiellement la Commission de la nécessité de recourir à des mesures d’urgence et que la Commission n’a pris aucune mesure, prendre de telles mesures au niveau national. En outre, il peut maintenir ou renouveler ces mesures, tant que la Commission n’a pas adopté de décision imposant leur prorogation, leur modification ou leur abrogation. Dans ces circonstances, les juridictions nationales sont compétentes pour apprécier la légalité des mesures concernées.

Commentaires

Les conséquences de cet arrêt sont, en pratique, les suivantes :

  • Un État ne peut plus prendre unilatéralement de mesure législative de nature à interdire ou rendre plus compliquée la culture sur son sol d’OGM préalablement autorisés au niveau européen, sauf à prouver l’évidence d’un risque grave pour la santé ou l’environnement. Tâche très difficile puisque, précisément, si l’OGM a été autorisé au niveau européen c’est en raison d’une évaluation scientifique concluant à son innocuité …
  • Un OGM provenant d’un État favorable à cette technologie doit pouvoir circuler librement au niveau européen.

En bref, les OGM dans notre assiette c’est pour bientôt. Ils y arriveront directement (le maïs acheté en grande surface sera peut-être génétiquement modifié) ou indirectement (un OGM entrera dans la composition d’un produit transformé).

Certains États particulièrement réfractaires aux OGM ne devraient pas tarder à rediscuter l’ensemble de la question en vue de modifier éventuellement le règlement OGM.

Plus fondamentalement, la question centrale derrière cette problématique est la suivante : quelle confiance peut-on avoir dans l’évaluation scientifique effectuée avant la mise sur le marché ?

Il ne se passe pas une semaine sans que l’intégrité de certains experts soit questionnée (Untel a travaillé pour l’industrie avant d’être Expert). Une autre fois, c’est la fiabilité des informations transmises par les industriels qui est montrée du doigt (telle société produit 3 rapports favorables mais passe sous silence les 2 études défavorables). Parfois encore, ce sont des pratiques bizarres qui sont mises à jour (tel auteur indépendant est payé pour mettre son nom au bas d’un article écrit par les services internes du producteur d’OGM). Enfin, vu les moyens financiers restreints dont les experts disposent, ils fondent essentiellement leur avis sur les informations fournies par le fabricant de l’OGM.

C’est probablement là que le bât blesse : si l’Europe souhaite arbitrer l’équilibre entre la liberté de circulation des produits et la sécurité alimentaire des OGM au moyen d’une évaluation scientifique préalable à la mise sur le marché, la condition sine qua non est l’autorité, la fiabilité et l’indépendance incontestables de cette évaluation scientifique … Sur ce point, il y a encore du boulot.

Plus d’infos ?

En lisant l’arrêt rendu, disponible en annexe.

En prenant connaissance de notre étude relative à l’avis de l’avocat général.

Droit & Technologies

Annexes

Arrêt rendu par la CJUE

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