Obama plaide pour la neutralité du net
Publié le 20/11/2014 par Etienne Wery
On reparle de la neutralité du net, après un discours du président Obama qui se positionne clairement en faveur de ce principe, allant à l’encontre des récentes recommandations de la FCC américaine. L’Europe quant à elle est divisée. Le point sur cette question fondamentale.
FCC et Obama pas en accord
En novembre, dans un discours prononcé devant la FCC (Federal Communications Commission), le président Obama a souhaité un « Internet libre et ouvert », appelant de ses vœux des règles « les plus strictes possibles » afin de préserver la neutralité d’Internet : « Nous ne pouvons pas permettre aux fournisseurs d’Internet de restreindre le meilleur accès ou de choisir des gagnants et des perdants sur le marché en ligne pour des services et des idées », a-t-il exprimé.
La neutralité du net expliquée aux enfants
Nous avons tous déjà vécu l’épreuve douloureuse d’un trajet sur l’autoroute du soleil entre Lyon et la Côte d’Azur, le week-end du 1er août. Des heures pour avancer de quelques kilomètres, les enfants qui hurlent à l’arrière et/ou vomissent, l’airco qui tombe en panne, la dernière qui doit faire pipi, et l’apéro de 18 heures avec les amis qui tombe à l’eau.
Imaginez maintenant votre réaction si le gestionnaire de l’autoroute dégage à cet instant la bande de circulation rapide et vous autorise à y rouler parce que … vous roulez en Lancia. Les autres marques de voitures doivent se contenter des deux bandes de droite surchargées, mais grâce à l’achat de votre Lancia vous bénéficiez d’un traitement de faveur et une bande de circulation rapide vous est réservée. Bien sûr, le fabricant italien a payé pour ce traitement de faveur qui fait partie des avantages que la marque réserve à ses clients.
La neutralité du net, c’est exactement la même chose.
Depuis que l’Internet existe, les fournisseurs d’accès sont priés de traiter tous leurs clients de la même manière. Lorsque le réseau est saturé, c’est tout le monde qui ralentit. On dit que le net est neutre en ce sens où tout les clients du fournisseur d’accès avancent à la même vitesse.
La remise en cause de la neutralité du net, c’est le fait de permettre de conclure un accord entre un fournisseur d’accès et un gros prestataire en ligne (Netflix par exemple) de façon à garantir aux clients de ce prestataire un débit constant, quitte à ralentir les autres.
La remise en cause de la neutralité du net
Les premiers à avoir remis en cause la neutralité du net sont quelques gros fournisseurs d’accès.
Il faut en effet savoir que les fournisseurs d’accès sont obligés, depuis de très nombreuses années, à consentir d’énormes investissements pour que la vitesse d’accès à l’Internet soit maintenue. Cela n’a l’air de rien, mais on parle de sommes faramineuses. Chaque année, le volume des données qui circulent sur l’Internet augmente, et les fournisseurs sont condamnés à une course effrénée à l’investissement pour tenir le rythme.
Or, les fournisseurs n’arrivent généralement pas à reporter ces investissements sur le prix de l’abonnement qui évolue plus doucement, quand il ne baisse tout simplement pas sous la pression de la concurrence.
Dépités, les fournisseurs regardent avec envie quelques très gros opérateurs sur Internet qui se remplissent les poches ou font des introductions en bourse de plusieurs milliards et se disent : « ce n’est pas juste, pendant qu’ils se remplissent les poches nous investissons, alors que sans nous ils n’auraient rien ».
Netflix fait partie de ces sociétés sur lesquelles cette frustration s’est cristallisée. Aux États-Unis, certains soirs, Netflix à lui tout seul monopoliserait 30 % de l’ensemble de la bande passante du pays ! Pour que les 400 millions d’Américains ne souffrent pas d’un ralentissement généralisé de leur connexion, ce sont donc les fournisseurs qui investissent.
De là est née l’idée de passer un accord avec ces gros opérateurs sur Internet : « On veut bien investir, on veut bien vous garantir un débit, mais vous devez contribuer au financement de tout cela puisque c’est, à la fin, vous qui en profitez ».
La remise en cause de la neutralité du net
Dès 2004, la FCC (Federal Communications Commission) adopte une déclaration visant à protéger la neutralité du Net. Ces règles sont appliquées contre l’opérateur Comcast, sanctionné pour avoir bridé le protocole BitTorrent, mais sont ensuite invalidées une première fois par la justice pour manque de base légale.
En réaction, la FCC adopte de nouvelles règles en la matière en 2010. L’opérateur Verizon conteste l’autorité de la FCC à les édicter et engage à son tour un recours devant la Cour d’appel des États-Unis pour le district de Columbia. Le 14 janvier 2014, la Cour donne finalement raison à Verizon même si elle ne remet pas en cause la neutralité en tant que telle mais seulement la méthode juridique choisie par la FCC pour la mettre en application. Le 19 février 2014, la FCC annonce qu’elle ne fera pas appel du jugement, pour privilégier la recherche d’une troisième rédaction de ces règles susceptible d’éviter la censure judiciaire. (Wikipedia)
Fruit de cette réflexion, la FCC a confirmé le principe de « fast lanes » ou « voies rapides », qui permettront à un éditeur de service de s’assurer d’une bande passante garantie sur le réseau d’un opérateur.
C’est dans ce contexte que le président Obama s’est exprimé, prenant le contre-pied de l’évolution actuelle et souhaitant au contraire le maintien du principe de neutralité.
En Europe, le Parlement européen a adopté en avril dernier en première lecture, le projet le Règlement européen relatif au marché unique des télécommunications qui consacre le principe de neutralité. Tout en autorisant le traitement différentié d’applications nécessitant une qualité de service garantie dans le cadre de certaines offres d’accès (appelées « services spécialisés »), le texte interdit les pratiques discriminatoires de la part de l’opérateur. (Wikipedia)
Pourtant, tout le monde ne parle pas d’une seule voix. Ainsi, en France, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a-t-il créé l’émotion en déclarant en juillet que « Il faut en finir avec la conception absolutiste de la neutralité du Net. ».
Pour ou contre ? Quelques enjeux
Il y a évidemment ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Quels sont les enjeux ? Pointons-en cinq :
Le premier enjeu est démocratique. Si l’on admet que les fournisseurs d’accès puissent appliquer un traitement différencié selon la nature de l’information à laquelle leurs clients accèdent sur l’Internet, où le curseur s’arrêtera-t-il ? L’approche est un peu caricaturale, mais va-t-on demain privilégier le débit de la presse de droite au détriment de celle de gauche, ou vice versa ?
Le second enjeu est économique. Assez rapidement, on risque d’assister à une barrière à l’entrée au détriment des nouveaux venus. Exemple : si Netflix arrive à sécuriser sa bande passante parce qu’elle en a les moyens, comment feront les sociétés innovantes qui pénètrent sur le marché de la vidéo à la demande et qui, tout en ayant une offre plus innovante, ne disposent pas des mêmes moyens financiers ?
Le troisième enjeu est technologique. Comment s’opérera la régulation de la vitesse de circulation ? Chaque fournisseur sera-t-il libre de négocier des accords ou créera-t-on un système centralisé ? Dans ce cas, comment concilier les intérêts des différents Etats. Il y a longtemps que le reste du monde n’apprécie plus la mainmise américaine sur la régulation de l’Internet alors que dire si c’est la FCC (ou un autre organisme contrôlé par les USA) qui centralise la régulation de la vitesse du trafic.
Le quatrième enjeu est concurrentiel. Comment vont faire les opérateurs qui ont des intérêts divergents avec certains acteurs en ligne. On pense par exemple à tous les services de VoIP (skype, etc.) qui sont de gros consommateurs de bande passante, surtout lorsqu’ils sont doublés d’une fonction caméra. Ce sont des concurrents directs des fournisseurs d’accès lorsque ceux-ci font partie d’un groupe de télécommunications comme c’est la plupart du temps le cas. Le fournisseur d’accès résistera-t-il à la tentation de dégrader le service ou faire payer plus cher la bande passante ?
Enfin, le cinquième enjeu est pratico-tarifaire. Les accords seront-ils publiés ? Les clients pourront-ils savoir ce qu’il en est avant de contracter avec tel ou tel fournisseur d’accès ? L’abonnement sera-t-il résiliable en fonction de l’évolution des accords conclus ? Les services en lignes qui souscrivent un contrat préférentiel avec un fournisseur d’accès pourront-ils répercuter le prix sur leur propre client ?
Enfin, le dernier enjeu est symbolique. La neutralité du net est un des piliers sur lesquels l’internet s’est créé, aussi bien dans son rôle contestaire que dans sa fonction commerciale. Pour plusieurs observateurs, on ne peut pas toucher à ce principe sans remettre en cause l’ensemble.