Nouvelles technologies: un cheval de Troie contre l’arriéré judiciaire

Publié le 30/06/1999 par Philippe Vanlangendonck

  La Tribune a illustré dans son édition du 1er mars dernier l’irruption de l’ére numérique dans le procès judiciaire.   A l’heure où l’arriéré judiciaire atteint ici et là des sommets inégalés, les nouvelles technologies (codes-bares, CD-ROM, disquettes et vidéos, …) surgissent de façon prometteuse pour contribuer à le résoudre. Bien entendu, la technologie…

 

La Tribune a illustré dans son édition du 1er mars dernier l’irruption de l’ére numérique dans le procès judiciaire.  

A l’heure où l’arriéré judiciaire atteint ici et là des sommets inégalés, les nouvelles technologies (codes-bares, CD-ROM, disquettes et vidéos, …) surgissent de façon prometteuse pour contribuer à le résoudre. Bien entendu, la technologie est un outil au service de l’art et il ne faut pas perdre de vue que la machine ou le numérique ne remplaceront jamais l’homme de loi. 
 

L’avantage pour les avocats 
 

L’avantage de l’usage du numérique pour les avocats est indéniable, il leur permet d’être précis, démonstratifs et réactifs. ”Les nouvelles technologies nous permettent de disposer d’outils qui rendent une partie de notre métier plus facile, explique Lawrence B. Friedman, avocat new-yorkais.Dans les procès, nous devons gérer des masses très importantes d’informations. Il n’est pas rare que chaque partie ait 100.000 pages de documents. Certaines affaires ont des dossiers de 1 million de pages ! Désormais, tout est sur CD-ROM. Nous n’arrivons plus dans les prétoires avec des dossiers mais avec un ordinateur. » 
 

L’avantage pour les tribunaux 
 

Pour les juridictions et les greffes l’avantage n’est pas moindre, surtout pour la classification: car l’un des principaux atouts est de faciliter la recherche de certains documents. Les CD-ROM offrent en effet la possibilité de classer par noms de témoins, mots clés, dates… Ainsi par exemple, après des mois de procès et des auditions successives, comment retrouver le détail qui prouvera qu’un témoin a menti ? Une recherche sur le CD-ROM permet de retrouver le détail crucial en quelques secondes.

Depuis un peu plus d’un an, les juridictions américaines acceptent que les dossiers eux-mêmes soient numériques. Les avocats rendent leurs conclusions sur disquettes et les juges travaillent désormais les dossiers sur ordinateur. 

En Belgique, où les dossiers de plusieurs centaines de milliers de pages ou de plusieurs dizaines de “cartons” deviennent de plus en plus nombreux, une utilisation de ces nouvelles technologies aiderait sans doute à mieux “digérer” de tels dossiers tout en préservant à la fois le traitement diligent des affaires “normales”, moins volumineuses, et surtout en préservant malgré tout l’ensemble des droits des justiciables concernés en examinant avec le même soin voulu leurs dossiers, les plus volumineux soient-ils. 
 

L’avantage pour les justiciables 
 

Au niveau des justiciables, les conséquences sont également appréciables, car les avantages pour leur avocat se répercutent directement en amélioration de la qualité et de l’efficacité, les nouvelles technologies apportent une meilleure garantie pour les justiciables et les mettent mieux à l’abri des éventuelles “failles” de mémoire de leur avocat. En effet, les avocats même s’ils sont très bien préparés, sans la technologie, ils peuvent toujours être surpris par une question et perdre alors beaucoup de temps à retrouver l’information pertinente.

Dans cette panoplie, les codes-barres ont donc une place de choix. Ils sont associés à un certain nombre de documents, notamment des graphiques et des images présélectionnés. Grâce à un stylo numérique, l’avocat choisit sur une palette de codes le document souhaité, qui apparaît immédiatement. Il est important d’aller vite entre chaque document pour que les jurés n’attendent pas entre deux informations. 
 

Les effets pervers du “virtuel”  
 
Il incombe par ailleurs à l’instar de ce qui se déroule actuellement aux USA de ne pas sombrer dans la dérive du “virtuel”: réalité virtuelle, CD-ROM, codes-barres, les prétoires des tribunaux américains sont devenus des vitrines de la technologie numérique. Les documents papier, les photos ou les dessins sont en voie de disparition. L’ère du « procès sans papier » est amorcée. Rendue possible par le succès de ce que l’on appelle désormais outre-Atlantique la « preuve virtuelle ». 

Parmi toutes les innovations que la technologie numérique met à disposition du système judiciaire américain, l’une est destinée à séduire les jurés. Dans un pays où les procès se déroulent devant des jurys populaires, en première instance, les armes de la conviction sont cruciales et tranforment le prétoire en théâtre. La moitié de la communication repose sur la façon dont sont présentées les choses, pas dans leur contenu. C’est une forme de persuasion visuelle : une image doit avoir un impact dans le cerveau du jury. 

Cette technique ne constitue pas une preuve, mais elle permet une mise en scène de la preuve. Deux présentations disant la même chose mais exposées différemment peuvent avoir un effet complètement différent, selon Lawrence B. Friedman. 

Cette évolution repose sur deux analyses principales. En premier lieu, les sociologues ont démontré qu’un individu garde en mémoire, au bout de trois jours, trois à cinq fois plus (selon les statistiques) d’informations qui ont été vues et entendues plutôt celles ayant été seulement entendues. Vidéos à la carte. 

D’autre part, selon une croyance largement répandue, « la télévision ne ment pas ». A cet égard, l’individu croit plus facilement à la contrefaçon d’un papier qu’au mensonge d’une image. 

On ne saurait également oublier l’effet « corde sensible » de l’image. Des documents du type « 24 heures dans la vie de la victime » se multiplient devant les jurys car leur influence est certaine. Enfin, les jurys n’ont plus à choisir entre lire un document papier et écouter ce qui se dit au même moment. Les juristes ont vite compris l’intérêt de l’écran dont dispose chaque juré. « Nous présentons dans un dessin animé ou dans une vidéo ce qui se trouve dans notre argumentaire. 

”L’outil s’avère particulièrement utile en cas d’accidents de voiture, d’une catastrophe aérienne, de handicaps provoqués par un tiers. Cela nous permet d’expliquer au jury ce qui s’est passé en le lui montrant. Par exemple, s’agissant d’un accident de voiture, nous reconstituons tout en image virtuelle : le jury verra l’accident sous tous ses angles. Si deux témoignages divergent, nous faisons deux vidéos différentes « , explique Lawrence B. Friedman.

Des sociétés se font une spécialité de produire ces images. Par exemple, Animators at Law propose de « transformer le complexe en compréhensible ». Elle explique que la réussite d’une telle démonstration suppose la « lisibilité », qui doit sous-tendre « le style des caractères, la couleur générale et la disposition du texte et des graphiques ». S’agissant des couleurs, on apprend qu’elles peuvent « effectivement organiser un message ». A cet effet, Animators at Law prévient que ses designers « évitent les couleurs qui évoquent des sousentendus négatifs et s’orientent vers des couleurs associées à des émotions positives ». 
 

Conclusion: ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain …  
 

En Belgique ou ailleurs, l’arriéré judiciaire pourrait se résorber radicalement par la disparition du poid de ses masses énormes de papier en utilisant les nouvelles technologies de l’ére numérique. 

L’avenir nous le dira, en tout état de cause un homme de loi bien informé en vaut deux. Espérons que les Etats-Unis n’aient pas le monopole des nouvelles initiatives en la matière et puissions-nous éviter les dérives “virtuelles” …