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Microsoft est condamée par la Commission européenne pour abus de position dominante

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Ce 24 mars 2004, la Commission européenne a (provisoirement puisque l’appel a déjà été confirmé) clôturé l’un des plus dossiers les plus chauds en droit de la concurrence dans le secteur informatique. Elle a en effet communiqué sa décision à l’encontre de Microsoft, déclarée coupable d’abus de position dominante à deux reprises au moins :…

Ce 24 mars 2004, la Commission européenne a (provisoirement puisque l’appel a déjà été confirmé) clôturé l’un des plus dossiers les plus chauds en droit de la concurrence dans le secteur informatique. Elle a en effet communiqué sa décision à l’encontre de Microsoft, déclarée coupable d’abus de position dominante à deux reprises au moins :

  1. Microsoft a illicitement élargit aux serveurs « bas de gamme » le pouvoir que lui confère sa position dominante dans le secteur des ordinateurs personnels ;

  2. en liant Windows Media Player au système d’exploitation pour ordinateurs personnels Windows, Microsoft a affaiblit la concurrence sur la qualité intrinsèque, étouffé l’innovation et réduit, en définitive, le choix offert au consommateur.

En réalité, le suspens a pris fin il y a quelques jours, lorsque les parties ont rompu les négociations qu’elles menaient au sommet pour trouver un accord amiable (discussions menées par le Commissaire Monti d’un côté et Steve Ballmer de l’autre côté). Les parties ont bloqué sur le règlement de l’avenir : Microsoft ne voulait pas entendre parler de limitation dans sa liberté d’intégrer, à l’avenir, de nouvelles fonctionnalités dans son système d’exploitation vedette Windows.

Historique du dossier

En décembre 1998, l’entreprise américaine Sun Microsystems s’est plainte du refus de Microsoft de lui communiquer les informations sur les interfaces dont elle avait besoin pour concevoir des produits capables de dialoguer correctement avec Windows, et dès lors être à même d’opposer une concurrence à armes égales sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail.

L’enquête de la Commission a révélé que Sun n’était pas la seule entreprise à laquelle ces informations avaient été refusées et que ces refus de divulguer des informations nécessaires à l’interopérabilité s’inscrivaient dans une stratégie plus large, conçue pour évincer les concurrents du marché.

Microsoft pouvait ainsi reléguer au second plan la concurrence sur d’autres caractéristiques, comme la fiabilité, la sécurité ou la vitesse, et être sûre de réussir sur le marché. Une écrasante majorité de clients interrogés par la Commission ont confirmé que l’avantage en termes d’interopérabilité avec Windows que Microsoft assure à ses propres produits en refusant ces informations à ses concurrents orientait leur choix vers les produits pour serveurs de cette entreprise. Les résultats d’enquêtes communiqués par Microsoft ont confirmé l’existence d’un lien de causalité entre l’avantage que l’entreprise se réservait sur le plan de l’interopérabilité et la progression de ses parts de marché.

En 2000, la Commission a, de sa propre initiative, étendu son enquête aux effets des ventes liées du lecteur WMP de Microsoft avec le système d’exploitation pour PC Windows 2000.

Cette partie de l’enquête a débouché sur la conclusion que l’omniprésence dont bénéficiait immédiatement le lecteur WMP du fait de sa vente liée avec le système d’exploitation pour PC Windows réduisait artificiellement les incitations des créateurs de contenus musicaux, cinématographiques et autres sociétés multimédias, ainsi que celles des concepteurs de logiciels et des fournisseurs de contenus, à concevoir des produits pour les lecteurs multimédias concurrents.

La vente liée, par Microsoft, de son lecteur multimédia a par conséquent pour effet de faire obstacle aux concurrents et, dès lors, de réduire le choix offert au consommateur en désavantageant les produits concurrents, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec leur prix ou leur qualité.

La Commission craint que la vente liée, par Microsoft, de son lecteur WMP ne soit un exemple de modèle économique de rentabilité plus général qui, étant donné le quasi-monopole que cette entreprise possède sur les systèmes d’exploitation pour PC, décourage l’innovation et limite le choix offert au consommateur dans les technologies auxquelles il n’est pas exclu que Microsoft puisse s’intéresser et dont elle pourrait lier la vente, à l’avenir, à son système Windows.

Le résultat de l’enquête : Microsoft a abusé de sa position dominante

Après une enquête exhaustive et approfondie de plus de cinq ans, et après trois communications des griefs, la Commission a adopté aujourd’hui une décision par laquelle elle conclut à la violation, par l’entreprise de logiciels américaine Microsoft Corporation, des règles de concurrence consacrées par le traité CE (article 82), pour avoir abusé de son quasi-monopole sur les systèmes d’exploitation pour PC.

Microsoft a abusé de son pouvoir de marché en limitant, de propos délibéré, l’interopérabilité entre les PC Windows et les serveurs de groupe de travail de ses concurrents, et en liant la vente de son lecteur Windows Media (WMP) avec Windows, son système d’exploitation présent sur la quasi-totalité des PC dans le monde.

Ce comportement illicite a permis à Microsoft d’acquérir une position dominante sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail, produits logiciels qui sont au cœur des réseaux informatiques d’entreprises, et risque purement et simplement d’éliminer la concurrence sur ce marché. Par ailleurs, le comportement de Microsoft a affaibli, dans une très large mesure, la concurrence sur le marché des lecteurs multimédias.

Ces abus, qui n’ont pas cessé, constituent un frein à l’innovation et sont préjudiciables au jeu de la concurrence et aux consommateurs, qui ont, en définitive, moins de choix et doivent payer des prix plus élevés.

Les mesures correctrices ordonnées

Pour la Commission, il s’agit d’abus très graves et continus, commis depuis cinq ans et demi, justifiant une amende de 497,2 millions d’euros. Le montant peut paraître important. Il doit être mis en rapport avec le milliard de dollars que Microsoft engrange chaque mois (!).

Plus important, afin de rétablir les conditions d’une concurrence loyale, la Commission a imposé les mesures correctives suivantes :

  1. Dans le dossier des logiciels serveurs

    En matière d’interopérabilité, Microsoft devra, dans un délai de 120 jours, divulguer une documentation complète et précise sur les interfaces de Windows, de manière à assurer une interopérabilité totale entre les serveurs de groupe de travail concurrents et les PC et serveurs sous Windows. Les concepteurs concurrents pourront ainsi mettre au point des produits capables d’opposer une concurrence à armes égales sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail. Les informations ainsi divulguées devront être mises à jour chaque fois que Microsoft lancera sur le marché de nouvelles versions des produits en cause.

    Dans la mesure où certaines informations concernées pourraient être couvertes par des droits de propriété intellectuelle valables dans l’Espace économique européen, Microsoft pourrait prétendre à une rémunération, qui doit demeurer raisonnable et non-discriminatoire. La divulgation ne concerne que la documentation sur les interfaces, et non le code source Windows, qui n’est pas nécessaire au développement de produits interopérables.

  2. Dans le dossier de MS Media Player

    En ce qui concerne les ventes liées, Microsoft devra, dans un délai de 90 jours, proposer aux équipementiers une version de son système d’exploitation Windows pour PC clients ne comprenant pas le lecteur WMP. Cette mesure corrective, qui met un terme aux ventes liées, ne signifie pas que les consommateurs obtiendront des PC et des systèmes d’exploitation sans lecteur multimédia. Les consommateurs achètent, pour la plupart, un PC à un équipementier qui a déjà groupé, pour leur compte, un système d’exploitation et un lecteur multimédia. L’effet de la mesure corrective ordonnée par la Commission sera que ces ventes groupées seront configurées en fonction des souhaits des consommateurs, et non de choix imposés par Microsoft.

    Microsoft conserve le droit d’offrir une version de son système d’exploitation Windows pour PC équipée du lecteur WMP. Elle devra cependant s’abstenir de recourir à tout moyen commercial, technique ou contractuel ayant pour effet de rendre moins intéressante ou moins performante la version non liée. En particulier, elle ne devra pas subordonner les rabais qu’elle accorde aux équipementiers à leur achat de Windows conjointement avec le lecteur WMP.

Pour que la décision soit mise en œuvre de manière efficace et dans les délais prescrits, la Commission désignera un mandataire qui aura pour mission, entre autres, de vérifier que les divulgations de Microsoft concernant les interfaces sont complètes et précises et que les deux versions de Windows sont équivalentes sous l’angle de leurs performances.

Brefs commentaires et infos complémentaires

Microsoft a d’ores et déjà annoncé son intention de faire appel. Il appartiendra donc au tribunal de 1ère instance de Luxembourg de se prononcer sur le fond, et dans l’intervalle de se pencher sur l’application ou non des mesures dont Microsoft ne manquera pas de demander la suspension en invoquant un préjudice grave et irréparable.

Sur le fond, le dossier de la Commission paraît bien ficelé. Les commentaires unanimes autour du dossier indiquent des violations manifestes et incontestables. Dont acte. N’étant pas devin, nous nous abstiendrons de faire un pronostic.

Le plus intéressant dans les dossiers de ce type réside ailleurs : dans les mesures correctives ordonnées. C’est là que se situe l’enjeu véritable, comme l’a d’ailleurs montré l’épisode américain impliquant Explorer et Netscape (enquête similaire à celle portant sur WMP), dans lequel un juge avait ordonné le démantèlement de Microsoft avant d’être réformé par la cour d’appel.

On peut aisément concevoir qu’en matière d’interopérabilité, l’obligation de divulguer une documentation complète et précise sur les interfaces de Windows constituera un remède efficace … si Microsoft joue le jeu. Et si elle ne le fait pas, le mandataire désigné pour vérifier la bonne application de la mesure ne manquera pas de revenir vers la Commission qui dispose de moyens de contrainte.

On est plus dubitatif concernant Media Player.

D’une part, à bien y réfléchir, l’impact de la mesure risque d’être marginal car il va déplacer le débat vers les contenus : si les internautes trouvent sur l’internet une majorité de contenus formatés en WMP, ils choisiront WMP. Le logiciel n’est en effet qu’un outil permettant de lire un contenu. Les investissements passés et futurs de MS et de M. Gates dans les contenus (Corbis et autres plateformes musicales) confirment cette crainte.

D’autre part, la décision n’a apparemment pas réglé la question la plus délicate : où est la frontière entre l’innovation (inclure de nouvelles fonctionnalités dans le système d’exploitation) et l’abus de position dominante (lorsque cette inclusion permet d’étendre illicitement sa position dominante sur un marché vers un autre marché) ? Ce débat a eu lieu pour Explorer ; parions qu’il se répètera dans les années à venir pour les logiciels de messagerie, les antivirus, les filtres antispams, les moteurs de recherche, etc. Toutes ces fonctionnalités sont susceptibles d’être intégrées dans le système d’exploitation, et chaque fois cette inclusion sera dénoncée par certains. L’histoire se répètera-t-elle ? Nous en sommes convaincus en l’absence de réponse claire à la question posée.

Dès que la décision sera disponible, nous la publierons.

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