Même en droit de la concurrence, un enregistrement téléphonique réalisé à l’insu d’une partie est déloyal
Publié le 19/10/2008 par Etienne Wery
Un enregistrement sonore réalisé à l’insu d’un participant est déloyal, même dans une procédure devant le conseil de la concurrence. Le fossé entre les chambres commerciale et pénale de la Cour de cassation se creuse, dans une matière qui, pourtant, mélange souvent les deux.
La Cour de Cassation française a rendu ce 3 juin 2008, dans l’affaire Sony et Philips, une décision importante relative à la légalité d’enregistrements sonores réalisés à l’insu de l’auteur des propos tenus, dans le cadre d’une procédure devant le Conseil de la Concurrence.
Pour la Cour de Cassation, qui s’appuie sur l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme garantissant le droit à un tribunal indépendant et impartial, « l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisée par une partie à l’insu de l’auteur des propos tenus, constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production au titre de preuve ».
La Chambre commerciale de la Cour de Cassation confirme donc sa jurisprudence antérieure.
La position divergente du Conseil de la Concurrence
En statuant ainsi, la Cour de Cassation a réformé l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris qui lui était soumis, lequel avait lui-même validé le raisonnement du Conseil de la Concurrence. La haute Cour s’oppose donc à la fois au Conseil de la Concurrence et à la Cour d’Appel de Paris.
Quels sont les motifs qui avaient amené le Conseil de la Concurrence à admettre les enregistrements lui présentés ? :
- pour le Conseil, la procédure applicable devant lui est autonome par rapport aux procédures civiles et pénales ;
- la preuve est libre en droit de la concurrence ;
- le caractère répressif de l’action du Conseil de la Concurrence lui permet de se prévaloir du principe du procès pénal, et donc d’invoquer la jurisprudence divergente de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation.
Le Conseil de la Concurrence avait toutefois posé 3 limites tenant à ce que :
- les rapporteurs et les enquêteurs ne bénéficient pas de cette possibilité ;
- les enregistrements n’ont qu’une valeur d’indice ;
- les enregistrements doivent être soumis au principe du contradictoire.
La position divergente de la chambre criminelle de la Cour de cassation
La situation est cocasse, car ce n’est pas sans pertinence que le Conseil de la Concurrence avait retenu l’existence d’une position divergente de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation sur la question des enregistrements indiscrets.
Cette situation augure des difficultés intenses, car les contentieux liés au droit de la concurrence sont souvent étroitement liés aux enjeux pénaux des dossiers.
Imaginons la scène : je suis plaignant-victime d’un acte répréhensible en droit de la concurrence, que je peux établir grâce à l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus. Devant le juge pénal, ma pièce a des chances de passer. Devant le Conseil de la Concurrence, la même pièce est irrecevable. Et en cas d’aller-retour entre une procédure pénale et un contentieux devant le Conseil, nul ne sait très bien.
Si l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de Cassation a le mérite de la clarté et s’inscrit dans la lignée de plusieurs autres arrêts commerciaux et civils, il ne simplifie pas l’administration de la preuve dans les dossiers de droit de la concurrence. Tout compte fait, peut-être le problème ne trouve t-il pas sa source dans la décision commentée, mais bien dans la jurisprudence divergente de la Chambre criminelle ?
Plus d’infos ?
En prenant connaissance de la décision du Conseil de la Concurrence, et de l’arrêt de la Cour de Cassation, en annexe de cette actualité.