Malgré le nouveau Règlement, le géo-blocage des contenus numériques perdure
Publié le 08/03/2018 par Maud Cock
C’est l’histoire du verre à demi-vide ou à demi-plein. Le nouveau règlement européen du 28 février supprimant le géo-blocage laisse de côté les contenus numériques. Votre sœur résidant en France vous vante les mérites de la dernière série disponible sur Canal +? Vous n’y avez pas accès en Belgique ? Pour les contenus numériques, votre frustration durera encore un certain temps.
Elles peuvent paraitre loin les promesses de la Commission européenne quant à l’interdiction programmée du géo-blocage de contenus. Il y a 18 mois, on titrait une de nos actus comme suit : « Le géoblocage des contenus va probablement disparaitre ». En effet, en 2015, avec son ambitieux projet de marché digital unique (Digital Single Market), la Commission promettait que où que vous soyez, quelle que soit la technologie utilisée, un fournisseur ne devrait plus pouvoir bloquer l’accès au contenu en raison de l’endroit où vous vous trouvez.
Le géo-blocage vise toute type de discrimination technique ou contractuelle basée sur la nationalité ou la résidence du consommateur.
Ce géoblocage, les consommateurs le subissent tous les jours dans les offres de biens et de services qui leur sont faites sur Internet, et notamment en matière de contenus en ligne. Les internautes sont redirigés et se voient proposer des produits ou services, prix et/ou modalités différentes en fonction de la localisation de leur adresse IP.
En matière de contenus culturels, le constat est le même. Et la problématique n’est pas simple.
En effet, pour pouvoir offrir un contenu dans toute l’UE, un fournisseur de contenus (Netflix, Spotify etc…) doit en obtenir l’autorisation des titulaires de droits (artistes interprètes, producteurs, auteurs etc..) et plus encore respecter la législation applicable dans l’ensemble des Etats membres. Au-delà de certaines situations ou les titulaires de droits cloisonnement eux-mêmes les marchés par le biais de licences exclusives, ce cloisonnement s’explique notamment par le caractère territorial du droit d’auteur. Malgré de nombreux efforts, la matière n’est pas encore harmonisée. Il est donc parfois plus simple pour un fournisseur de géo-bloquer plutôt que garantir le respect des droits de diffusion dans un nombre important de pays.
Un nouveau règlement …
Ce 2 mars est publié le Règlement (UE) 2018/302 du Parlement européen et du Conseil du 28 février 2018 visant à contrer le blocage géographique injustifié et d’autres formes de discrimination fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d’établissement des clients dans le marché intérieur, et modifiant les règlements (CE) n° 2006/2004 et (UE) 2017/2394 et la directive 2009/22/CE.
… Qui ne s’applique pas aux contenus numériques
Force est de constater qu’avec la version finalement adoptée, on est bien loin de l’objectif annoncé par la Commission.
Comme son titre (pourtant prometteur) l’indique, ce texte a pour objet essentiel d’interdire à un professionnel d’appliquer des conditions générales d’accès aux biens et services qui diffèrent en fonction de la nationalité ou du lieu de résidence/établissement du client.
Si certaines (timides) avancées sont bel et bien là en matière d’e-commerce pour des produits plus traditionnels (voyez notre récente news), certains des enjeux principaux ne sont pas rencontrés, et en matière de contenus numériques plus particulièrement.
L’article 4.1 b) du règlement exclut en effet de son application les « services dont la principale caractéristique est de fournir un accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés ou de permettre leur utilisation, y compris la vente sous une forme immatérielle des œuvres protégées par le droit d’auteur ou des objets protégés ».
Sont donc exclus les contenus culturels : vidéo, musique, ebooks, etc…
Les fournisseurs de contenus pourront ainsi bel et bien continuer à différencier leurs offres et catalogues en fonction de la localisation du consommateur.
La portabilité des contenus
Une avancée tout de même : dans un autre règlement relatif à la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur, l’Europe impose toutefois aux fournisseurs de contenus en ligne d’offrir à leurs abonnés temporairement présents dans un autre Etat membre ( en vacances, voyages d’affaires etc…) d’accéder à et d’utiliser leur service de contenu en ligne comme si il était resté dans son Etat de résidence.
Une nouvelle actu sera consacrée prochainement à ce règlement qui entrera en vigueur le 20 mars prochain.
Une lueur d’espoir ?
La frustration de la Commission elle-même se devine à la simple lecture du règlement. Ce sont les Etats qui n’ont pas voulu aller au bout de la logique. Le texte prévoit une déclaration de la Commission et une « clause de réexamen » imposant une évaluation de la question du géo-blocage des contenus en ligne au plus tard dans 2 ans (23 mars 2020) et puis tous les 5 ans. La Commission pèsera de tout son poids pour finaliser l’édifice.
Un autre espoir vient du projet de simplification des règles applicables en cas de diffusion de contenus en ligne avec la proposition du Parlement européen et du conseil établissant des règles sur l’exercice du droit d’auteur et des droits voisins applicables à certaines diffusions en ligne d’organismes de radiodiffusion et retransmissions d’émissions de télévision et de radio, qui a vocation à , comme en matière de câble et de satellite, permettre l’application d’une loi unique (la loi du pays d’origine) à l’exclusion de l’ensemble des lois des pays de réception des diffusions.
En savoir plus :
https://www.droit-technologie.org/actualites/leurope-interdit-geo-blocage-internet/)
Règlement (UE) 2018/302 du Parlement européen et du Conseil du 28 février 2018 visant à contrer le blocage géographique injustifié (en annexe).
Règlement (UE) 2017/1128 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 relatif à la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne (en annexe).
Proposition de Règlement établissant des règles sur l’exercice du droit d’auteur et des droits voisins applicables à certaines diffusions en ligne d’organismes de radiodiffusion et retransmissions d’émissions de télévision et de radio.