M. Schrems peut engager en Autriche une action contre Facebook
Publié le 26/01/2018 par Etienne Wery
Bien que militant et même s’il utilise son compte Facebook pour soutenir ses activités militantes, M. Schrems reste un consommateur et bénéfice à ce titre du privilège du for. En revanche, en tant que cessionnaire de droits d’autres consommateurs, il ne saurait bénéficier du for du consommateur aux fins d’une action collective.
Maximilian Schrems, qui habite en Autriche, a attrait Facebook Ireland (« Facebook ») devant les juridictions autrichiennes.
Il reproche à Facebook d’avoir violé plusieurs dispositions en matière de protection des données en rapport avec son compte Facebook privé et ceux de sept autres utilisateurs qui lui auraient cédé leurs droits pour cette action. Ces autres utilisateurs seraient eux aussi des consommateurs et habiteraient en Autriche, en Allemagne ou en Inde. M. Schrems souhaite notamment que la justice autrichienne déclare invalides certaines clauses contractuelles et condamne Facebook, d’une part, à cesser l’utilisation des données litigieuses pour ses propres fins ou celles de tiers et, d’autre part, à payer des dommages et intérêts.
Facebook considère que les juridictions autrichiennes ne sont pas internationalement compétentes.
Selon Facebook, M. Schrems ne peut pas invoquer la règle de l’Union qui permet aux consommateurs d’attraire un partenaire contractuel étranger devant les tribunaux de leur domicile (« for du consommateur »). En effet, en utilisant Facebook également à des fins professionnelles (en particulier au moyen d’une page Facebook destinée à informer de ses démarches contre Facebook), M. Schrems ne pourrait pas être considéré comme consommateur. En ce qui concerne les droits cédés, Facebook fait valoir que le for du consommateur n’est pas applicable à ceux-ci du fait que ce for n’est pas transférable.
C’est dans ce contexte que l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) demande à la Cour de justice de préciser les conditions dans lesquelles le for du consommateur peut être invoqué.
Un consommateur militant reste un consommateur
Par son arrêt de ce 25 janvier 2018, la Cour répond que l’utilisateur d’un compte Facebook privé ne perd pas la qualité de « consommateur » lorsqu’il publie des livres, donne des conférences, exploite des sites Internet, collecte des dons et se fait céder les droits de nombreux consommateurs afin de faire valoir ceux-ci en justice.
En revanche, le for du consommateur ne peut pas être invoqué pour l’action d’un consommateur visant à faire valoir, devant le tribunal du lieu où il est domicilié, non seulement ses propres droits, mais également des droits cédés par d’autres consommateurs domiciliés dans le même État membre, dans d’autres États membres ou dans des États tiers.
En ce qui concerne la qualification de consommateur, la Cour observe que le for du consommateur ne s’applique en principe que dans l’hypothèse où la finalité du contrat conclu entre les parties a pour objet un usage autre que professionnel du bien ou du service concerné. S’agissant de services d’un réseau social numérique ayant vocation à être utilisés pendant une longue durée, il y a lieu de tenir compte de l’évolution ultérieure de l’usage qui est fait de ces services.
Ainsi, l’auteur d’une action en justice, qui utilise de tels services, ne pourrait invoquer la qualité de consommateur que si l’usage essentiellement non professionnel de ces services, pour lequel il a initialement conclu un contrat, n’a pas acquis par la suite un caractère essentiellement professionnel.
En revanche, étant donné que la notion de « consommateur » se définit par opposition à celle d’« opérateur économique » et qu’elle est indépendante des connaissances et des informations dont la personne concernée dispose réellement, ni l’expertise que cette personne peut acquérir dans le domaine duquel relèvent les services ni son engagement aux fins de la représentation des droits et des intérêts des usagers de ces services ne lui ôtent la qualité de « consommateur ». En effet, une interprétation de la notion de « consommateur » qui exclurait de telles activités reviendrait à empêcher une défense effective des droits que les consommateurs détiennent à l’égard de leurs cocontractants professionnels, y compris ceux relatifs à la protection de leurs données personnelles.
En ce qui concerne les droits cédés, la Cour rappelle que le for du consommateur a été créé afin de protéger le consommateur en tant que partie au contrat en cause. Dès lors, le consommateur n’est protégé que dans la mesure où il est personnellement demandeur ou défendeur dans une procédure. Par conséquent, le demandeur qui n’est pas lui-même partie au contrat de consommation en cause ne peut pas bénéficier de ce for. Cela vaut également à l’égard d’un consommateur cessionnaire de droits d’autres consommateurs.
Plus d’infos ?
En lisant notre précédente actu consacrée à l’avis de l’avocat général dans cette affaire.
Notre dossier : In Which country should you sue/be sued?
(source : communiqué de la Cour)