L’Union européenne souhaite le démantèlement de Google
Publié le 15/06/2023 par Etienne Wery
La commission européenne ouvre une enquête pour abus de position dominante à l’encontre de Google. La Commission estime qu’une mesure « comportementale » ne permettrait probablement pas de corriger les choses. Elle estime à titre préliminaire qu’une « cession obligatoire » de certains actifs de Google est nécessaire. En clair : elle souhaite le démantèlement du groupe.
L’annonce de la Commission européenne va dans le même sens que le communiqué de l’administration américaine d’il y a quelques mois. Manifestement, les régulateurs ne supportent plus la toute-puissance de Google sur Internet, et en particulier sur le marché de la publicité programmatique. Avec deux autorités, non des moindres, qui semblent se rejoindre pour organiser le démantèlement (partiel) du groupe, celui-ci a des soucis à se faire.
La publicité programmatique : c’est quoi ?
Prenons un exemple : vous êtes l’éditeur d’un site consacré à la musique. Vous avez une belle audience de personnes intéressées qui visitent votre site. Pour faire entrer de l’argent dans la caisse, vous allez « monétiser » votre audience. Comme ce n’est pas votre métier de contacter des annonceurs pour qu’ils mettent une bannière publicitaire sur votre site et ne savez donc pas par où commencer, vous allez probablement recourir à ce qu’on appelle la publicité programmatique.
La publicité programmatique est un processus automatisé d’achat et de vente de publicités en ligne. Schématiquement, il y a trois intervenants :
- Les éditeurs de sites web (e-shop, site d’information, etc.) qui proposent leur « inventaire publicitaire », c’est-à-dire la liste des endroits sur leurs sites qu’ils acceptent de monétiser en y affichant de la publicité. Ils répertorient cet inventaire publicitaire dans une plateforme « éditeurs » et y précisent les conditions et modalités de l’affichage.
- Les annonceurs qui ont un message à diffuser (les marques). Ils répertorient leurs campagnes sur une plateforme appelée « annonceurs » et y précisent les objectifs poursuivis, la cible voulue, le prix qu’ils sont prêts à payer, etc.
- Une plateforme intermédiaire qui assure le lien entre les deux précédents grâce à un système automatisé. Il s’agit plus ou moins d’une grande Bourse automatisée de la publicité web, dans laquelle une offre et une demande se rencontrent sous la forme d’enchères en temps réel.
Google : omni-présent dans les adtechs
La principale source de revenus de Google est la publicité en ligne, et dans ce secteur Google est partout.
Côté annonceurs. Google Ads et DV 360 sont deux plateformes publicitaires de Google qui permettent aux annonceurs de diffuser :
- Google Ads, anciennement connu sous le nom de Google AdWords, est la principale plateforme publicitaire de Google. Elle permet de diffuser des annonces sur le moteur de recherche maison, sur des sites Web partenaires, sur YouTube et sur d’autres plateformes Google. Google Ads permet de cibler des mots clés spécifiques, des emplacements géographiques, des intérêts des utilisateurs et d’autres critères de ciblage.
- DV 360, ou Display & Video 360, est une plateforme publicitaire programmatique plus avancée qui combine l’achat automatisé de publicités display (affichage), vidéo, audio et natives sur plusieurs canaux : sites Web de tiers, applications, écrans de télévision connectés etc. L’une des principales différences entre Google Ads et DV 360 réside dans leur périmètre : Google Ads est principalement axé sur les annonces sur le réseau Google, tandis que DV 360 est conçu pour les annonceurs qui souhaitent diffuser leurs annonces sur des sites et des réseaux tiers.
Côté éditeurs. DoubleClick for Publishers (DFP), également connu sous le nom de Google Ad Manager, permet aux éditeurs de gérer leurs espaces. La plateforme est étroitement lié à Google Ads et DV 360, car elle permet aux éditeurs de gérer et de diffuser des publicités sur leurs sites Web et applications mobiles. DFP offre aux éditeurs la possibilité de gérer leur inventaire publicitaire, de planifier et de diffuser des annonces, et de générer des revenus grâce à la vente d’espaces publicitaires. Les éditeurs peuvent gérer différentes sources de publicité, telles que les campagnes directes, les réseaux publicitaires et les enchères en temps réel, le tout à partir d’une interface centralisée. L’intégration avec Google Ads et DV 360, permet permet un ciblage très efficace.
Côté bourse d’échange. Au milieu, Google propose AdX, l’élément central de l’écosystème publicitaire de Google, Google Ad Exchange (AdX) agit comme une place de marché automatisée reliant les éditeurs et les acheteurs d’annonces. Il s’intègre avec Google Ads, DV 360 et DoubleClick for Publishers pour faciliter les transactions publicitaires, offrir un inventaire de qualité aux annonceurs et permettre aux éditeurs de gérer la diffusion des publicités sur leurs sites et applications.
Les soupçons d’abus de position dominante favorisant AdX
La Commission constate à titre préliminaire que, depuis 2014 au moins, Google a abusé de ses positions dominantes :
- en favorisant sa propre bourse d’annonces AdX dans les enchères gérées par son serveur publicitaire des éditeurs dominant DFP, par exemple en informant à l’avance AdX de la valeur de la meilleure offre concurrente à battre pour remporter l’enchère;
- en favorisant sa bourse d’annonces AdX dans la manière dont ses outils d’achat d’annonces Google Ads et DV360 placent leurs offres sur les bourses d’annonces. Par exemple, Google Ads évitait les bourses d’annonces concurrentes et plaçait principalement des offres sur AdX, faisant de cette dernière la bourse d’annonces la plus attractive.
La Commission craint que les pratiques présumées intentionnelles de Google aient eu pour but de conférer un avantage concurrentiel à AdX et aient pu évincer les bourses d’annonces concurrentes, renforçant ainsi le rôle central d’AdX dans la chaîne de fourniture « adtech » et la capacité de Google à facturer des frais élevés pour son service.
Si elles sont confirmées, ces pratiques seraient contraires à l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui interdit les abus de position dominante sur le marché.
La solution : démanteler (en partie) Google
Dans son communiqué, la Commission dit craindre qu’une mesure corrective « comportementale » suffise pas.
Elle constate que Google est présente de part et d’autre du marché avec son serveur publicitaire des éditeurs et ses outils d’achat d’annonces et occupe une position dominante des deux côtés. En outre, elle exploite la plus grande bourse d’annonces.
Pour la Commission, « Il en résulte une situation de conflits d’intérêts inhérents pour Google. La Commission estime donc à titre préliminaire que seule la cession obligatoire, par Google, d’une partie de ses services permettrait d’écarter ses préoccupations en matière de concurrence ».
En clair : on démantèle une partie du groupe.
Plus d’infos ?
Vous pouvez suivre cette affaire (et toutes les autres) dans le registre public des affaires de concurrence. Cette enquête porte le numéro AT.40670.